La nécessaire globalisation des taxes

Jeudi 6 Novembre 2014

BERLIN – Nous assistons aujourd’hui à de profonds changements dans la manière dont fonctionne l’économie mondiale. À mesure de l’accélération du rythme et de l’intensité de la mondialisation et de la numérisation, de plus en plus de processus économiques revêtent une dimension internationale. Ainsi les entreprises sont-elles de plus en plus nombreuses à adapter leur structure aux législations et règles fiscales nationales et étrangères.


Wolfgang Schäuble est ministre fédéral allemand des Finances.
Wolfgang Schäuble est ministre fédéral allemand des Finances.
Grâce aux progrès techniques de l’économie numérique, les entreprises sont en mesure de desservir les marchés sans pour autant avoir besoin d’y être physiquement présentes. Dans le même temps, la mobilité des sources de revenu se fait croissante : l’accent se porte de plus en plus sur des actifs incorporels et revenus d’investissements mobiles susceptibles d’être facilement « optimisés » d’un point de vue fiscal, et transférés à l’étranger.
La législation fiscale n’a pas suivi le rythme de ces évolutions. La plupart des principes régissant encore aujourd’hui l’application des taxes remontent à une époque à laquelle faire des affaires à l’international signifiait pour l’essentiel transporter des marchandises vers un pays situé de l’autre côté de la frontière. Or, les règles prévues à cet effet dans les années 1920 et 1930 ne sont plus en phase avec une intégration aujourd’hui internationale des processus économiques et des structures d’entreprise. Il nous faut les adapter à la réalité économique des services numériques.
En l’absence de règles applicables, les États sont privés des recettes dont ils auraient besoin au plus vite pour honorer leurs responsabilités. Dans le même temps, la nécessité d’une taxation équitable se fait de plus en plus pressante, dans la mesure où diminue le nombre de contribuables fournissant une contribution adéquate au financement des biens et services publics.
Les tensions qui en résultent, entre la souveraineté fiscale des États et la portée sans frontière des activités d’affaires, ne pourront être résolues qu’au travers d’un dialogue international et de normes mondiales uniformisées. Au sein de l’Union européenne, la démarche consistant à permettre à des groupes d’États d’aller de l’avant autour de solutions à des difficulté qui ne peuvent être appréhendées que de manière multilatérale, a souvent fonctionné par le passé. Lorsque de telles mesure se révèlent fructueuses, les autres États ont tendance suivre la démarche.
Cette approche peut également servir de modèle de gouvernance globale dans la résolution de problématiques internationales. Dans le monde d’aujourd’hui, les États même les plus puissants ne peuvent établir et appliquer seuls quelque cadre international. Les groupes d’États sont en revanche en mesure de le faire. Cet aspect se vérifie dans le cadre de la réglementation des marchés financiers, commençant à apparaître clairement s’agissant du cadre réglementaire de l’économie numérique, et se trouvant actuellement confimé dans le domaine de la taxation.
Le septième rassemblement du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales  a eu lieu cette semaine à Berlin, réunissant les représentants de quelque 122 États et juridictions, aux côtés de l’UE. Un accord conjoint sur les échanges automatiques d’informations relatives aux comptes financiers a été conclu mercredi.
Cet accord conjoint a été dans un premier temps à l’initiative de l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et l’Espagne. Environ 50 pays et territoires s’y sont ralliés en tant que premiers adoptants, plusieurs autres États ayant fait part de leur volonté de se joindre à la démarche.
Cet accord repose sur la norme commune de déclaration et de diligence raisonnable  (ou CRS, pour Common Reporting Standard), élaborée par l’OCDE. En vertu de la norme CRS, les autorités fiscales sont en mesure de recevoir des informations de la part des banques et autres prestataires de services financiers, et de les partager automatiquement avec les autorités fiscales d’autres États. Dorénavant, la quasi-totalité des informations liées à un compte bancaire seront signifiées aux autorités fiscales de l’État du titulaire du compte, parmi lesquelles le nom de ce titulaire, le solde, les intérêts et revenus de dividendes, ainsi que les gains en capital s’y rattachant.
Diverses mesures sont désormais en place qui permettent aux banques d’identifier un titulaire bénéficiaire, et d’en informer en conséquence les autorités fiscales concernées. La norme CRS vient par conséquent étendre la portée de la coopération globale et transfrontalière entre les différentes autorités fiscales nationales. Ainsi sommes-nous aujourd’hui en capacité d’établir un cadre réglementaire en phase avec l’époque de la mondialisation.
Cet échange automatique d’informations constitue une réponse pragmatique et efficace à un sentiment de manque de gouvernance globale s’agissant des problématiques de fiscalité internationale. En rendant la taxation plus équitable, les gouvernements contribueront positivement à faire accepter aux citoyens leur propre régime fiscal.
Cette grande victoire, dans la lutte contre l’évasion fiscale internationale, aurait été impensable il y a seulement quelques années. Il convient désormais de poursuivre les efforts de l’OCDE et du G20 dans le domaine de la taxation des entreprises. Nous devons faire en sorte que les démarches fiscales ingénieuses, de type transfert et réduction artificielle des bénéfices, ne constituent plus désormais un modèle d’entreprise lucratif.
La politique fiscale du « chacun pour soi, » en vertu de laquelle un État applique des politiques de taxation au détriment des autres pays, est précisément aussi dangereuse que la mise en œuvre de politiques monétaires du chacun pour soi, fondées sur une dévaluation compétitive de la monnaie. Ceci n’engendre en effet qu’une affectation inappropriée des ressources – érodant en fin de compte la prospérité dans le monde entier.
C’est pourquoi nous devons nous entendre sur des normes internationales uniformisées, afin d’aboutir à une juste compétition fiscale internationale. Les progrès accomplis à Berlin autour de l’échange automatique d’informations fiscales nous démontrent combien, à condition de travailler ensemble, nous sommes en mesure d’atteindre cet objectif.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Wolfgang Schäuble est ministre fédéral allemand des Finances.
 
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