Ainsi, alors que la volatilité des flux de capitaux constitue déjà un défi permanent pour de nombreuses économies émergentes et en développement, le cadre du FMI réduira les options dont disposent les pays pour atteindre leurs objectifs sociaux et pourrait, à terme, rendre l'économie mondiale moins stable.
Le précédent cadre du FMI, approuvé en 2012 et connu sous le nom de "Vision institutionnelle " (Institutional View, ou IV, en anglais), considérait que les contrôles sur les sorties de capitaux n'étaient légitimes que lorsqu'un pays était en proie à une crise, et que les contrôles sur les entrées de capitaux ne devaient être utilisés qu'en dernier recours, lorsque le pays connaissait un afflux très important de fonds étrangers. L'IV était un compromis politique, reflétant les profondes divisions entre les États membres du FMI (dont certains des plus gros actionnaires) qui étaient en faveur d'une libéralisation totale des mouvements de capitaux, et ceux (dont de nombreuses économies émergentes et en développement) qui voulaient la bénédiction du FMI pour adopter des politiques visant à atténuer la volatilité.
Certains pays se sont opposés à l'IV non pas parce qu'ils n'étaient pas d'accord avec elle, mais parce qu'ils la considéraient comme une "surenchère". Ils craignaient que le FMI n'aille au-delà des attributions définies par ses statuts (les Articles of Agreement), qui laissent aux pays une latitude considérable en matière de politiques de contrôle des capitaux, et qu'un futur conseil d'administration du FMI ne puisse changer soudainement de cap et tenter de limiter la marge des manœuvre des pays.
La mission du FMI est d'empêcher que les politiques nationales ne génèrent des retombées internationales négatives. Les pères fondateurs du Fonds, John Maynard Keynes et Henry Dexter White, très préoccupés par les implications des dépréciations concurrentielles des monnaies, ont mis l'accent, dans les statuts du FMI, sur des règles empêchant les politiques entrainant des externalités négatives pour les pays voisins. Plus récemment, nous avons vu ce qui peut arriver lorsque les problèmes financiers d'un pays s'étendent à d'autres, comme cela s'est produit pendant la crise financière mondiale.
Lorsque les statuts du FMI ont été rédigés, la plupart des pays – y compris les économies avancées d'aujourd'hui – utilisaient largement les contrôles de capitaux. Les statuts ne donnaient donc pas au FMI le pouvoir de pousser à la libéralisation des marchés de capitaux. De plus, la dernière tentative d'extension des statuts – lors de l'assemblée annuelle du FMI à Hong Kong en 1997 – a eu lieu au pire moment, alors que la crise financière asiatique, précipitée par des sorties massives de capitaux, éclatait.
Quoi qu'il en soit, les petits pays dont la monnaie n'est pas sous-évaluée ne génèrent pas d'externalités négatives et ne s'engagent pas dans des politiques qui nuisent aux pays voisins. Ainsi, lorsqu'ils ont recours au contrôle des capitaux, c'est généralement dans des circonstances qui n'ont pas grand-chose à voir avec les attributions du FMI.
Prenons l'exemple de l'objectif social consistant à garantir un logement abordable à la classe moyenne, que de nombreuses économies de marché avancées et émergentes ont poursuivi en restreignant les achats étrangers de biens immobiliers nationaux. Ces restrictions ne relèvent pas de la responsabilité du FMI, surtout si elles ne déprécient pas sensiblement le taux de change ou ne provoquent pas de retombées financières transfrontalières importantes. Néanmoins, le FMI a récemment exhorté l'Australie à reconsidérer une petite taxe sur les entrées de biens immobiliers en Tasmanie (541 000 habitants), même si cette mesure ne pouvait pas être significative sur le plan macroéconomique. Et ce n'est là qu'un exemple flagrant parmi tant d'autres. De tels conseils, et des positions connexes impliquant des pays aussi différents que le Canada et Singapour, sapent la crédibilité de la "surveillance" (monitoring) du FMI.
Le cadre révisé du FMI permet à juste titre de prendre des mesures préventives contre les flux entrants dans certaines circonstances. Le Fonds s'est rendu compte qu'il n'est pas judicieux d'attendre que les déséquilibres financiers atteignent un point de basculement avant de faire quelque chose. Ce raisonnement, qui plaide essentiellement en faveur d'une réglementation macroprudentielle préventive, s'applique aussi bien aux déséquilibres générés par la volatilité des flux financiers en provenance de l'étranger qu'à ceux générés par des emprunts excessifs auprès de sources nationales.
Mais qu'en est-il du côté des flux sortants de l'équation ? Maintenant que la Réserve fédérale américaine relève ses taux d'intérêt, cette question est devenue très pertinente pour de nombreux marchés émergents. Pourtant, le nouveau cadre du FMI élude curieusement la question.
Les économistes sont généralement très méfiants à l'égard des contrôles des sorties de capitaux, car ils craignent que ces politiques ne reviennent à une expropriation partielle. Mais la question est celle de la conception des politiques, et de savoir si les règles du jeu sont claires et connues à l'avance. Par exemple, une politique annoncée à l'avance visant à taxer les sorties de capitaux à court terme (mais pas les flux à plus long terme), et à imposer des contrôles plus étendus en cas de crise, pourrait en fin de compte renforcer la stabilité macroéconomique et, à cet égard, rendre les investissements étrangers plus attrayants. Il appartient au FMI d'évaluer si les contrôles des flux sortants sont nécessaires, comment leur conception peut être améliorée et quel rôle ils pourraient jouer dans le pays.
La sagesse conventionnelle évolue constamment pour tenir compte des progrès de la théorie économique, qui a clairement fait preuve de prudence en matière de contrôles des capitaux en fonction des circonstances. Ce qui était tabou à la fin des années 1990 (lorsque le FMI se faisait le champion d'une libéralisation totale des comptes de capitaux) diffère de ce qui l'était en 2012 (lorsque le FMI a approuvé le contrôle des entrées en cas d’afflux importants) et en 2022 (lorsqu'il a approuvé le contrôle préventif des entrées).
Il semble clair, y compris pour le FMI, que des contrôles des sorties de capitaux auraient pu être souhaitables dans le cadre de son prêt à l'Argentine sous l'ancien président Mauricio Macri. En l’absence de tels contrôles, le FMI permettait simplement aux investisseurs internationaux de retirer leur argent du pays, laissant l'Argentine avec une dette de 44 milliards de dollars et peu de résultats. Dans des circonstances telles que celles auxquelles l'Argentine a été confrontée, le FMI devrait envisager non seulement d'autoriser les contrôles des sorties de capitaux, mais aussi d'encourager ces contrôles.
Les statuts du FMI donnent, à juste titre, une grande latitude aux gouvernements des États membres pour déployer des contrôles de capitaux, à condition que ces politiques ne nuisent pas aux autres pays. Les pays riches ont exploité cette flexibilité au maximum. Le FMI pourrait faire pire que de respecter l'esprit de ses fondateurs.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Joseph E. Stiglitz, lauréat du prix Nobel d'économie, est professeur à l'université de Columbia et membre de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises. Jonathan D. Ostry, futur professeur de la pratique de l'économie à l'université de Georgetown, est un ancien directeur adjoint du FMI, où il a dirigé l'équipe responsable de l'Institutional View on Capital Flows, et est co-auteur de Taming the Tide of Capital Flows (MIT Press, 2018).
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