Avec l’accord de Paris sur le climat, le monde s’est fixé un but : maintenir le réchauffement global dans la limite de 1,5° Celsius par rapport aux niveaux préindustriels. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a expliqué pourquoi cet objectif est légitime. Dépasser le seuil de 1,5° C mettrait en péril la vie sur la planète avec une possible montée du niveau des mers de plusieurs mètres, l’effondrement d’écosystèmes essentiels et les rejets atmosphériques du méthane emprisonné dans le permafrost en fusion qui rendraient incontrôlable le réchauffement. Pourtant, le monde est actuellement sur une trajectoire qui aboutit à un réchauffement global des températures de 2,7° C – catastrophique.
Au printemps de cette année, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a indiqué par quels moyens technologiques il est possible de parvenir à l’objectif de 1,5° C. Nous devons avoir décarboné le système énergétique mondial d’ici 2050. Échéance accessible, en remplaçant les énergies fossiles par des sources renouvelables et des biocarburants pour la production d’électricité, les transports, le bâtiment et l’industrie. Au-delà de tout cela, nous devons aussi cesser la déforestation et restaurer massivement les sols dégradés.
Jusqu’à présent, la participation des États est un échec lamentable. Pour reprendre l’inimitable expression de Greta Thunberg, ils doivent dépasser le « Blah, blah, blah », c’est-à-dire vouloir les moyens de la décarbonation.
Tout d’abord, les États doivent prévoir comment auront évolué les systèmes énergétiques et l’utilisation des sols au milieu du siècle. Nous ne disposons que de vingt-huit années avant 2050 : les gouvernements, face à la nécessité d’une réorientation massive des systèmes énergétiques et des pratiques d’utilisation des sols, doivent planifier les politiques publiques et les nécessaires investissements qui les accompagneront. Ils doivent aussi faire comprendre leurs projets en les soumettant à la critique et au débat publics, en les y adaptant, afin qu’ils soient acceptés et soutenus.
Deuxièmement, les gouvernements doivent réglementer. Comme l’écrit clairement l’AIE dans son rapport, il n’est plus nécessaire ni justifié d’investir dans les carburants fossiles. Nous disposons d’assez de réserves prouvées. Aucun pays ne devrait pouvoir déroger à la fin des explorations et à l’arrêt du développement des énergies fossiles.
Troisièmement, les gouvernements doivent financer – à grande échelle – des infrastructures neutres en carbone, notamment des réseaux électriques alimentés pas des énergies renouvelables, nationaux et régionaux (reliant, par exemple, l’Union européenne, l’Afrique du Nord, la Méditerranée orientale et le Moyen-Orient), mais aussi l’électrification des transports et des bâtiments.
Quatrièmement, les gouvernements des pays riches doivent contribuer aux efforts des pays pauvres pour financer les investissements nécessaires. C’est une promesse déjà ancienne, mais les pays riches ne sont pas même parvenus à rassembler les maigres 100 milliards de dollars annuels – 0,1 % de la production mondiale – auxquels ils s’étaient engagés en 2009.
Cinquièmement, les pays développés devraient dédommager les pays en développement pour les dégâts climatiques qu’ils ont déjà causés et qui vont s’aggraver avec le temps. Les États-Unis sont responsables à eux seuls de 25 % des émissions cumulées de dioxyde de carbone depuis 1751, alors qu’ils ne représentent que 5 % de la population mondiale. Dans le monde entier, des pays connaissent des catastrophes climatiques qui sont la conséquence des méfaits énergétiques commis par les États-Unis. Pourtant, ni ces derniers ni les principaux émetteurs historiques n’ont offert la moindre compensation pour les ravages qu’ils causent.
Enfin, les plus fortunés de ce monde, responsables de la prépondérance qui fut accordée à l’usage des carburants fossiles dans leurs propres pays puis sur toute la planète, doivent payer leur juste part des coûts induits par l’adaptation au changement climatique. Pourtant, les personnes les plus riches échappent le plus souvent à une imposition juste, comme l’ont une fois de plus montré les Pandora Papers ainsi qu’un rapport de l’organisation de presse d’investigation ProPublica sur l’évasion fiscale.
Toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises, néanmoins. De nombreux gouvernements ont fait dans la bonne direction quelques progrès. L’Union européenne mène la danse, avec le Pacte vert pour l’Europe, par lequel elle s’engage à la neutralité carbone d’ici 2050. Le Japon et la Corée du Sud ont pris le même engagement, et le président Joe Biden tente de faire suivre les États-Unis. La Chine, l’Indonésie et la Russie prévoient d’atteindre en 2060 la neutralité de leurs émissions, échéance encourageante, mais qui peut et devrait être avancée.
D’importants pays émetteurs, dont l’Australie, l’Inde et l’Arabie saoudite se sont gardés de telles promesses, et les États-Unis semblent à nouveau se diriger, malgré les efforts de Biden, vers un échec politique fracassant dans la lutte contre les changements climatiques.
Ce passé de tergiversations et d’inaction, qui constitue pour le monde une menace, semble devoir perdurer. Au cours des derniers jours, le Sénat des États-Unis n’a pas ménagé ses efforts pour purger le paquet législatif censé incarner la présidence Biden de ses principales dispositions concernant le réchauffement. L’ensemble des 50 sénateurs républicains et une poignée de démocrates menés par Joe Manchin, élu de Virginie occidentale, s’opposent au plan Biden pour une énergie propre visant à décarboner le secteur énergétique aux États-Unis.
Ce qui est remarquable avec la corruption aux États-Unis, c’est qu’elle s’étale au grand jour. L’industrie pétrolière et gazière a dépensé 140,7 millions de dollars lors des élections de 2020 (dont 84% pour soutenir des candidats républicains) et 112 millions en lobbying l’année dernière. Un représentant des intérêts d’ExxonMobil a été enregistré alors qu’il confessait que Manchin était au Congrès le « faiseur de roi » de l’industrie pétrolière. Le pouvoir de Biden est si faible et la corruption si enracinée au Congrès des États-Unis, que le président ne peut pas même faire front à un sénateur élu d’un petit État, sous l’étiquette de son propre parti, qui devrait être couvert de honte et de ridicule pour sa servilité envers les géants du pétrole.
Les gouvernements du G20 ont l’impératif moral d’adopter les moyens nécessaires à la sécurité climatique, c’est-à-dire à une fin dont ils ont convenu ensemble. Leurs pays totalisent environ 80 % de la production mondiale et des émissions de CO2. Un accord entre ces gouvernements – suivi d’actions concrètes, concernant notamment la corruption dans chacun de leurs pays – peut changer la trajectoire des changements climatiques dans le monde.
Les gouvernements du G20 qui sont prêts à l’action, et ils sont nombreux, devraient tancer les indécis. Les États-Unis devraient se voir signifier que l’inefficacité de l’Amérique n’est pas tolérable pour le reste du monde. Et le même message devrait être envoyé à l’Australie, à l’Inde et à l’Arabie saoudite. Dans un monde en feu, nous ne pouvons tolérer ni la corruption ni l’impunité climatiques.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Jeffrey D. Sachs, professeur des universités à l’université Columbia, est directeur du Centre pour le développement durable de Columbia et du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations Unies.
Au printemps de cette année, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a indiqué par quels moyens technologiques il est possible de parvenir à l’objectif de 1,5° C. Nous devons avoir décarboné le système énergétique mondial d’ici 2050. Échéance accessible, en remplaçant les énergies fossiles par des sources renouvelables et des biocarburants pour la production d’électricité, les transports, le bâtiment et l’industrie. Au-delà de tout cela, nous devons aussi cesser la déforestation et restaurer massivement les sols dégradés.
Jusqu’à présent, la participation des États est un échec lamentable. Pour reprendre l’inimitable expression de Greta Thunberg, ils doivent dépasser le « Blah, blah, blah », c’est-à-dire vouloir les moyens de la décarbonation.
Tout d’abord, les États doivent prévoir comment auront évolué les systèmes énergétiques et l’utilisation des sols au milieu du siècle. Nous ne disposons que de vingt-huit années avant 2050 : les gouvernements, face à la nécessité d’une réorientation massive des systèmes énergétiques et des pratiques d’utilisation des sols, doivent planifier les politiques publiques et les nécessaires investissements qui les accompagneront. Ils doivent aussi faire comprendre leurs projets en les soumettant à la critique et au débat publics, en les y adaptant, afin qu’ils soient acceptés et soutenus.
Deuxièmement, les gouvernements doivent réglementer. Comme l’écrit clairement l’AIE dans son rapport, il n’est plus nécessaire ni justifié d’investir dans les carburants fossiles. Nous disposons d’assez de réserves prouvées. Aucun pays ne devrait pouvoir déroger à la fin des explorations et à l’arrêt du développement des énergies fossiles.
Troisièmement, les gouvernements doivent financer – à grande échelle – des infrastructures neutres en carbone, notamment des réseaux électriques alimentés pas des énergies renouvelables, nationaux et régionaux (reliant, par exemple, l’Union européenne, l’Afrique du Nord, la Méditerranée orientale et le Moyen-Orient), mais aussi l’électrification des transports et des bâtiments.
Quatrièmement, les gouvernements des pays riches doivent contribuer aux efforts des pays pauvres pour financer les investissements nécessaires. C’est une promesse déjà ancienne, mais les pays riches ne sont pas même parvenus à rassembler les maigres 100 milliards de dollars annuels – 0,1 % de la production mondiale – auxquels ils s’étaient engagés en 2009.
Cinquièmement, les pays développés devraient dédommager les pays en développement pour les dégâts climatiques qu’ils ont déjà causés et qui vont s’aggraver avec le temps. Les États-Unis sont responsables à eux seuls de 25 % des émissions cumulées de dioxyde de carbone depuis 1751, alors qu’ils ne représentent que 5 % de la population mondiale. Dans le monde entier, des pays connaissent des catastrophes climatiques qui sont la conséquence des méfaits énergétiques commis par les États-Unis. Pourtant, ni ces derniers ni les principaux émetteurs historiques n’ont offert la moindre compensation pour les ravages qu’ils causent.
Enfin, les plus fortunés de ce monde, responsables de la prépondérance qui fut accordée à l’usage des carburants fossiles dans leurs propres pays puis sur toute la planète, doivent payer leur juste part des coûts induits par l’adaptation au changement climatique. Pourtant, les personnes les plus riches échappent le plus souvent à une imposition juste, comme l’ont une fois de plus montré les Pandora Papers ainsi qu’un rapport de l’organisation de presse d’investigation ProPublica sur l’évasion fiscale.
Toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises, néanmoins. De nombreux gouvernements ont fait dans la bonne direction quelques progrès. L’Union européenne mène la danse, avec le Pacte vert pour l’Europe, par lequel elle s’engage à la neutralité carbone d’ici 2050. Le Japon et la Corée du Sud ont pris le même engagement, et le président Joe Biden tente de faire suivre les États-Unis. La Chine, l’Indonésie et la Russie prévoient d’atteindre en 2060 la neutralité de leurs émissions, échéance encourageante, mais qui peut et devrait être avancée.
D’importants pays émetteurs, dont l’Australie, l’Inde et l’Arabie saoudite se sont gardés de telles promesses, et les États-Unis semblent à nouveau se diriger, malgré les efforts de Biden, vers un échec politique fracassant dans la lutte contre les changements climatiques.
Ce passé de tergiversations et d’inaction, qui constitue pour le monde une menace, semble devoir perdurer. Au cours des derniers jours, le Sénat des États-Unis n’a pas ménagé ses efforts pour purger le paquet législatif censé incarner la présidence Biden de ses principales dispositions concernant le réchauffement. L’ensemble des 50 sénateurs républicains et une poignée de démocrates menés par Joe Manchin, élu de Virginie occidentale, s’opposent au plan Biden pour une énergie propre visant à décarboner le secteur énergétique aux États-Unis.
Ce qui est remarquable avec la corruption aux États-Unis, c’est qu’elle s’étale au grand jour. L’industrie pétrolière et gazière a dépensé 140,7 millions de dollars lors des élections de 2020 (dont 84% pour soutenir des candidats républicains) et 112 millions en lobbying l’année dernière. Un représentant des intérêts d’ExxonMobil a été enregistré alors qu’il confessait que Manchin était au Congrès le « faiseur de roi » de l’industrie pétrolière. Le pouvoir de Biden est si faible et la corruption si enracinée au Congrès des États-Unis, que le président ne peut pas même faire front à un sénateur élu d’un petit État, sous l’étiquette de son propre parti, qui devrait être couvert de honte et de ridicule pour sa servilité envers les géants du pétrole.
Les gouvernements du G20 ont l’impératif moral d’adopter les moyens nécessaires à la sécurité climatique, c’est-à-dire à une fin dont ils ont convenu ensemble. Leurs pays totalisent environ 80 % de la production mondiale et des émissions de CO2. Un accord entre ces gouvernements – suivi d’actions concrètes, concernant notamment la corruption dans chacun de leurs pays – peut changer la trajectoire des changements climatiques dans le monde.
Les gouvernements du G20 qui sont prêts à l’action, et ils sont nombreux, devraient tancer les indécis. Les États-Unis devraient se voir signifier que l’inefficacité de l’Amérique n’est pas tolérable pour le reste du monde. Et le même message devrait être envoyé à l’Australie, à l’Inde et à l’Arabie saoudite. Dans un monde en feu, nous ne pouvons tolérer ni la corruption ni l’impunité climatiques.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Jeffrey D. Sachs, professeur des universités à l’université Columbia, est directeur du Centre pour le développement durable de Columbia et du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations Unies.