Quand le Parti travailliste a perdu les élections en mai dernier, il a fait l'objet de nombreuses critiques (même de la part de ses propres députés membres du gouvernement), pour son échec à englober les milieux d'affaires « créateurs de richesses ». Mais si les entreprises créent clairement des richesses, il en va de même des travailleurs, des institutions publiques et des organisations de la société civile, qui grâce à des partenariats dynamiques, sont des moteurs de la productivité et de la croissance à long terme. En effet, un plan d'action économique progressiste doit avant toute chose reconnaître que la création de richesses est un processus collectif et que les résultats sur le marché sont le produit des interactions entre plusieurs types de « créateurs de richesses » distincts.
Nous devons abandonner la fausse dichotomie qui oppose les gouvernements aux marchés et commencer à concevoir plus nettement les résultats sur le marché que nous désirons. Il y a une foule de leçons à tirer des investissements publics qui ont été orientés vers un objectif précis, plutôt que sur ceux qui se sont concentrés sur le fait de « faciliter » ou de « fournir des mesures incitatives » aux entreprises. La politique doit activement façonner et créer des marchés et non pas simplement les remettre d'aplomb quand ils ne fonctionnent plus.
En effet, les politiques traditionnellement considérées comme étant « favorables aux entreprises » comme les crédits d'impôts et les taux d'imposition plus bas, peuvent être mauvaises pour les entreprises à long terme, si elles limitent la future capacité des gouvernements à investir dans les secteurs qui augmentent la croissance orientée vers l'innovation. De même, il est temps de passer du débat sur l'austérité à une nouvelle conversation sur la manière d'établir des partenariats intelligents entre les secteurs public et privé, de tels partenariats pouvant être mutuellement bénéfiques pour alimenter des décennies de croissance.
Tout d'abord, nous devons investir dans l'éducation, dans le capital humain, dans la technologie et dans la recherche. D'énormes avancées technologiques et organisationnelles ont augmenté la productivité dans de nombreux secteurs. Beaucoup (sinon la plupart) de ces percées scientifiques ont leur origine dans la recherche subventionnée par l'État. Garantir les prochaines avancées va nécessiter des interventions directes de la politique et des investissements dans l'innovation, sur l'ensemble de la chaîne d'innovation : recherche fondamentale, recherche appliquée et financement précoce de l'entreprise.
En outre, nous avons besoin de financements plus patients et à plus à long terme. La plupart des finances existantes sont trop spéculatives et trop axées sur les résultats à court terme. Les capitaux à risques orientés sur les débouchés sont peut-être appropriés pour des gadgets. Mais les révolutions technologiques ont historiquement exigé un financement public engagé. Dans certains pays comme l'Allemagne et la Chine, les banques publiques assument cette fonction. Dans d'autres, cette tâche est dévolue aux autorités publiques stratégiques.
Cela signifie également de dé-financiariser l'économie réelle, traditionnellement trop axée sur les préoccupations à court terme, afin de réinvestir les bénéfices dans la production et la recherche et le développement, plutôt que de les thésauriser ou de les dépenser en rachat d'actions. Durant la dernière décennie, les entreprises classées au Fortune 500 (dans des domaines comme les technologies de l'information, les produits pharmaceutiques et l'énergie), ont dépensé plus de 3 milliards de dollars en rachat d'actions afin de stimuler le cours des actions, les options d'achat de titres et les salaires des dirigeants. Durant cette même période, aux États-Unis et en Europe seulement, les entreprises ont thésaurisé près de 4 milliards de dollars. Il faut récompenser les entreprises pour qu'elles réinvestissent leurs bénéfices dans la production, l'innovation et la formation du capital humain.
Nous devons ensuite augmenter les salaires et les niveaux de vie. Jusqu'aux années 1980, les augmentations de la productivité s'accompagnaient d'une augmentation des salaires et d'une hausse des niveaux de vie. Ce lien fut rompu par une baisse du pouvoir de négociation de la main d'œuvre et par l'orientation financière accrue des entreprises. Les syndicats sont essentiels à un processus efficace de gouvernance d'entreprise : ils doivent par conséquent être davantage impliqués dans la politique d'innovation et faire pression sur les investissements dans l'éducation et la formation, qui sont les moteurs à long terme des salaires.
Les institutions publiques doivent également être renforcées. Des choix audacieux de politique nécessitent des agences et des institutions publiques capables de prendre des risques et de tirer les leçons d'une telle pratique. L'externalisation des services publics qui tombent sous la compétence propre du gouvernement gêne ce processus, car elle réduit la « capacité d'absorption » du secteur public. La création d'un réseau bien financé et décentralisé d'institutions et d'organismes travaillant en partenariat avec l'entreprise pourrait rendre le gouvernement à la fois plus efficace et renforcer son orientation stratégique.
La fiscalité doit aussi être rendue plus progressiste, avec des crédits d'impôt pour les entreprises en vue d'encourager les résultats d'intégration. Nous devons mettre fin à la pratique actuelle de réduction aveugle des impôts, qui crée des échappatoires permettant l'évasion fiscale juridique et qui propose des crédits d'impôt ayant peu d'effet sur les investissements et la création d'emplois.
Puisque le secteur public prend des risques essentiels dans la chaîne d'innovation (par exemple en fournissant des prêts garantis à des sociétés comme Tesla), nous devons réfléchir de manière plus créative aux types de contrats permettant au public de partager non seulement les risques, mais également une part des récompenses.
Nous devons également façonner un nouveau récit sur la dette. Plutôt que de nous concentrer sur les déficits budgétaires, nous devons nous concentrer sur le dénominateur du ratio de la dette au PIB. Aussi longtemps que les investissements publics augmenteront la productivité à long terme, le ratio restera en échec. Au sein de l'OCDE, bon nombre des pays ayant les ratios de la dette au PIB les plus élevés (dont l'Italie, le Portugal et l'Espagne), ont enregistré des déficits relativement modestes, mais n'ont pas pu investir efficacement dans l'éducation, dans la recherche, dans la formation ou dans des politiques sociales bien conçues en vue de faciliter le rajustement économique.
La politique fiscale et monétaire sera importante, mais seulement si elle est couplée avec la création de possibilités dans l'économie réelle. La création monétaire par assouplissement quantitatif ne va pas stimuler l'économie réelle, si ce nouvel argent se retrouve finalement dans des banques qui ne prêtent pas. Et lorsque les entreprises ne trouvent pas d'opportunités, les taux d'intérêt cessent d'avoir de l'influence sur les investissements.
Enfin, nous ne devons pas garder nos distances face à l'orientation du développement vers une économie verte. Au-delà des projets d'infrastructure « prêts à démarrer », le stimulus fiscal doit soutenir des projets transformationnels, du type de ceux qui ont conduit aux avancées en technologie de l'information et de la communication, en biotechnologie et en nanotechnologie, qui ont été « choisis » par la politique publique en collaboration avec des entreprises. Le développement vert peut concerner un secteur bien plus étendu que celui de l'énergie renouvelable : il peut devenir une nouvelle orientation pour l'ensemble de l'économie.
Le Parti travailliste britannique, ainsi que d'autres partis progressistes à travers le monde, ont la responsabilité de faire évoluer le débat sur la politique économique. En ce sens, il dispose d'une chance de façonner l'avenir.
Mariana Mazzucato, professeure d'économie à SPRU à l'Université du Sussex, a publié The Entrepreneurial State: Debunking Public vs. Private Sector Myths .
Nous devons abandonner la fausse dichotomie qui oppose les gouvernements aux marchés et commencer à concevoir plus nettement les résultats sur le marché que nous désirons. Il y a une foule de leçons à tirer des investissements publics qui ont été orientés vers un objectif précis, plutôt que sur ceux qui se sont concentrés sur le fait de « faciliter » ou de « fournir des mesures incitatives » aux entreprises. La politique doit activement façonner et créer des marchés et non pas simplement les remettre d'aplomb quand ils ne fonctionnent plus.
En effet, les politiques traditionnellement considérées comme étant « favorables aux entreprises » comme les crédits d'impôts et les taux d'imposition plus bas, peuvent être mauvaises pour les entreprises à long terme, si elles limitent la future capacité des gouvernements à investir dans les secteurs qui augmentent la croissance orientée vers l'innovation. De même, il est temps de passer du débat sur l'austérité à une nouvelle conversation sur la manière d'établir des partenariats intelligents entre les secteurs public et privé, de tels partenariats pouvant être mutuellement bénéfiques pour alimenter des décennies de croissance.
Tout d'abord, nous devons investir dans l'éducation, dans le capital humain, dans la technologie et dans la recherche. D'énormes avancées technologiques et organisationnelles ont augmenté la productivité dans de nombreux secteurs. Beaucoup (sinon la plupart) de ces percées scientifiques ont leur origine dans la recherche subventionnée par l'État. Garantir les prochaines avancées va nécessiter des interventions directes de la politique et des investissements dans l'innovation, sur l'ensemble de la chaîne d'innovation : recherche fondamentale, recherche appliquée et financement précoce de l'entreprise.
En outre, nous avons besoin de financements plus patients et à plus à long terme. La plupart des finances existantes sont trop spéculatives et trop axées sur les résultats à court terme. Les capitaux à risques orientés sur les débouchés sont peut-être appropriés pour des gadgets. Mais les révolutions technologiques ont historiquement exigé un financement public engagé. Dans certains pays comme l'Allemagne et la Chine, les banques publiques assument cette fonction. Dans d'autres, cette tâche est dévolue aux autorités publiques stratégiques.
Cela signifie également de dé-financiariser l'économie réelle, traditionnellement trop axée sur les préoccupations à court terme, afin de réinvestir les bénéfices dans la production et la recherche et le développement, plutôt que de les thésauriser ou de les dépenser en rachat d'actions. Durant la dernière décennie, les entreprises classées au Fortune 500 (dans des domaines comme les technologies de l'information, les produits pharmaceutiques et l'énergie), ont dépensé plus de 3 milliards de dollars en rachat d'actions afin de stimuler le cours des actions, les options d'achat de titres et les salaires des dirigeants. Durant cette même période, aux États-Unis et en Europe seulement, les entreprises ont thésaurisé près de 4 milliards de dollars. Il faut récompenser les entreprises pour qu'elles réinvestissent leurs bénéfices dans la production, l'innovation et la formation du capital humain.
Nous devons ensuite augmenter les salaires et les niveaux de vie. Jusqu'aux années 1980, les augmentations de la productivité s'accompagnaient d'une augmentation des salaires et d'une hausse des niveaux de vie. Ce lien fut rompu par une baisse du pouvoir de négociation de la main d'œuvre et par l'orientation financière accrue des entreprises. Les syndicats sont essentiels à un processus efficace de gouvernance d'entreprise : ils doivent par conséquent être davantage impliqués dans la politique d'innovation et faire pression sur les investissements dans l'éducation et la formation, qui sont les moteurs à long terme des salaires.
Les institutions publiques doivent également être renforcées. Des choix audacieux de politique nécessitent des agences et des institutions publiques capables de prendre des risques et de tirer les leçons d'une telle pratique. L'externalisation des services publics qui tombent sous la compétence propre du gouvernement gêne ce processus, car elle réduit la « capacité d'absorption » du secteur public. La création d'un réseau bien financé et décentralisé d'institutions et d'organismes travaillant en partenariat avec l'entreprise pourrait rendre le gouvernement à la fois plus efficace et renforcer son orientation stratégique.
La fiscalité doit aussi être rendue plus progressiste, avec des crédits d'impôt pour les entreprises en vue d'encourager les résultats d'intégration. Nous devons mettre fin à la pratique actuelle de réduction aveugle des impôts, qui crée des échappatoires permettant l'évasion fiscale juridique et qui propose des crédits d'impôt ayant peu d'effet sur les investissements et la création d'emplois.
Puisque le secteur public prend des risques essentiels dans la chaîne d'innovation (par exemple en fournissant des prêts garantis à des sociétés comme Tesla), nous devons réfléchir de manière plus créative aux types de contrats permettant au public de partager non seulement les risques, mais également une part des récompenses.
Nous devons également façonner un nouveau récit sur la dette. Plutôt que de nous concentrer sur les déficits budgétaires, nous devons nous concentrer sur le dénominateur du ratio de la dette au PIB. Aussi longtemps que les investissements publics augmenteront la productivité à long terme, le ratio restera en échec. Au sein de l'OCDE, bon nombre des pays ayant les ratios de la dette au PIB les plus élevés (dont l'Italie, le Portugal et l'Espagne), ont enregistré des déficits relativement modestes, mais n'ont pas pu investir efficacement dans l'éducation, dans la recherche, dans la formation ou dans des politiques sociales bien conçues en vue de faciliter le rajustement économique.
La politique fiscale et monétaire sera importante, mais seulement si elle est couplée avec la création de possibilités dans l'économie réelle. La création monétaire par assouplissement quantitatif ne va pas stimuler l'économie réelle, si ce nouvel argent se retrouve finalement dans des banques qui ne prêtent pas. Et lorsque les entreprises ne trouvent pas d'opportunités, les taux d'intérêt cessent d'avoir de l'influence sur les investissements.
Enfin, nous ne devons pas garder nos distances face à l'orientation du développement vers une économie verte. Au-delà des projets d'infrastructure « prêts à démarrer », le stimulus fiscal doit soutenir des projets transformationnels, du type de ceux qui ont conduit aux avancées en technologie de l'information et de la communication, en biotechnologie et en nanotechnologie, qui ont été « choisis » par la politique publique en collaboration avec des entreprises. Le développement vert peut concerner un secteur bien plus étendu que celui de l'énergie renouvelable : il peut devenir une nouvelle orientation pour l'ensemble de l'économie.
Le Parti travailliste britannique, ainsi que d'autres partis progressistes à travers le monde, ont la responsabilité de faire évoluer le débat sur la politique économique. En ce sens, il dispose d'une chance de façonner l'avenir.
Mariana Mazzucato, professeure d'économie à SPRU à l'Université du Sussex, a publié The Entrepreneurial State: Debunking Public vs. Private Sector Myths .