Le président de la Banque nationale suisse s'explique

Lundi 19 Janvier 2015

La décision de Thomas Jordan, le président de la Banque nationale suisse (BNS), de laisser flotter le franc suisse a surpris tout le monde. Elle a provoqué un séisme sur les marchés des devises et à la Bourse de Zurich, et risque de fragiliser l'économie du pays. Thomas Jordan s'est justifié dans la presse locale samedi.


Thomas Jordan, le président de la Banque nationale suisse  vivement critiqué dans les médias et les milieux économiques suisses et internationaux
Thomas Jordan, le président de la Banque nationale suisse vivement critiqué dans les médias et les milieux économiques suisses et internationaux
Deux jours après l'annonce surprise de la Banque nationale suisse (BNS) de l'abandon de sa politique d'intervention sur le franc, qui a provoqué un séisme sur les marchés financiers, le président de la Banque centrale suisse a tenté de calmer le jeu samedi.
Selon Thomas Jordan, qui est vivement critiqué dans les médias et les milieux économiques suisses et internationaux, les marchés financiers ont réagi de manière excessive, et ont poussé le franc suisse vers des sommets surévalués.
Le franc suisse, qui n'est plus poussé à la baisse artificiellement par la BNS depuis jeudi dernier, est "nettement surévalué par rapport au dollar et à l'euro", a estimé Thomas Jordan, dans une interview publiée samedi par les journaux suisses Le Temps et la Neue Zuercher Zeitung (NZZ).
"Nous observons d'importants excès dans les cours actuels", a déclaré Thomas Jordan, alors que le franc suisse s'est apprécié de 20% depuis que la BNS n'intervient plus.
Pour le patron de la BNS, les marchés vont devoir trouver progressivement leur équilibre,"ce qui pourra prendre du temps",  précisant que la BNS était consciente que sa décision inattendue pouvait avoir un fort impact.

Annonce surprise

La banque centrale suisse a pris les marchés par surprise jeudi en annonçant l'abandon du cours plancher, ce qui a fait bondir le franc face à la devise européenne et entraîné une chute des titres des grandes sociétés  helvétiques cotées en Bourse, et dont les exportations risquent de souffrir.
Vendredi vers 18h15, la monnaie unique européenne valait 0,981 franc suisse pour 1 euro, contre 1,20 franc suisse pour 1 euro, qui était le cours garanti par la BNS.
Le dollar cotait pour sa part à 85,22 centimes pour 1 dollar, contre 1,01 franc suisse pour 1 dollar avant l'annonce de la BNS.

Le maintien du taux plancher n'était plus possible

Thomas Jordan, qui a déjà donné une conférence de presse jeudi à Zurich après l'annonce choc de la banque centrale, a répété samedi que le maintien du taux plancher, fixé il y a 3 ans et demi quand le franc suisse était au plus haut, n'était plus possible.
"Si la BNS avait poursuivi cette politique, elle risquait de perdre le contrôle de sa politique monétaire de long terme", a-t-il déclaré.
Pendant 3 ans et demi, la BNS est intervenue massivement sur les marchés des changes, chaque fois que les investisseurs achetaient trop de francs suisses, ce qui faisait grimper la monnaie helvète. La BNS est intervenue en achetant des euros à tour de bras, ce qui a fait gonfler ses réserves dans la monnaie européenne, multipliées par 10 en 4 ans.
"Nous étions conscients des difficultés que la décision allait engendrer pour les entreprises", a ajoutéThomas Jordan, en réponse à la levée de boucliers constatée en Suisse dans les milieux économiques. Le patron de la BNS demande cependant aux patrons de ne "pas surréagir et d'analyser la nouvelle situation de manière approfondie". Le directeur de la banque centrale rappelle encore que le taux plancher était une mesure exceptionnelle d'une durée limitée. Il devait être "abandonné" un jour.

Mesure efficace

Pour la BNS, il n'était pas possible de sortir du taux plancher de manière graduelle, il fallait prendre les marchés par surprise pour que la mesure soit efficace. Des patrons de sociétés suisses, telles que Nick Hayek (Swatch Group) et des banquiers comme Michel Juvet, associé-gérant aorès de la banque privée suisse Bordier & Cie, ont publiquement fait part de leur surprise et de leur incomprénhension, face à cette mesure de la BNS, qui a provoqué deux jours de panique à la Bourse suisse, avec -8,7% jeudi et -6% vendredi.
Pour Michel Juvet, il s'agit clairement "d'un krach". Des commentateurs dans la presse suisse ont même demandé la démission de Thomas Jordan. "Cet homme doit partir", écrit ainsi le journal suisse-allemand Blick. Pour Christoph Blocher, leader du parti UDC (droite populiste) et premier parti suisse, il faut attendre pour évaluer correctement les conséquences de l'abandon du taux plancher. Il estime cependant que "tous ceux qui s'excitent aujourd'hui contre cette mesure n'ont pas assez anticipé ces dernières années"l'abandon du taux plancher.

Un problème pour les entreprises exportatrices suisses

Ce sont surtout les entreprises exportatrices qui sont en première ligne. "De telles sociétés doivent redoubler d'efforts, sinon elles ne survivront pas", a estimé Christoph Blocher, qui contrôle une grande société suisse EMS-Chemie.
La décision jeudi de la BNS a provoqué une onde de choc dans l'économie helvétique et encore secoué les marchés financiers vendredi. Les actions des banques et de l'industrie du luxe ont subi les baisses les plus spectaculaires durant les 2 jours de panique boursière.
En outre, pour la première fois, le taux d'emprunt à 10 ans de la Suisse sur le marché obligataire secondaire est devenu négatif, avec un taux de -0,031%, contre +0,076% la veille à la clôture. Concrètement, cela signifie que celui qui veut prêter de l'argent à la Suisse doit payer pour le faire.

Taux négatifs

Ces taux négatifs devraient donc en principe décourager les investisseurs de placer en franc suisse et les inciter à se tourner vers d'autres monnaies comme l'euro. La grande banque suisse UBS a aussi sabré ses prévisions de croissance pour la Suisse en 2015, en raison de cette nouvelle donne financière : elle table désormais sur une progression de 0,5% du PIB en 2015, au lieu de 1,8% précédemment, et d'1,1% en 2016, au lieu d'1,7%.
Latribune.fr
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