Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de santé publique, est directeur de l’Institut de la Terre à l'université de Columbia à New-York
La campagne en faveur de l'indépendance de l'Ecosse est basée sur quatre revendications portant sur :
- la culture : protéger et renforcer l'identité du peuple écossais,
- l'idéologie : faire évoluer l'Ecosse vers une démocratie sociale de type scandinave,
- la politique : rapprocher la gouvernance démocratique du peuple,
- l'économie : exiger une part plus importante des gisements de pétrole et de gaz en mer du Nord.
Les dirigeants britanniques et nombre de gouvernements européens pressent les Ecossais de voter contre l'indépendance. Pour les partisans du Non, l'indépendance n'apporterait pratiquement aucun des avantages promis. Au contraire, elle entraînerait de nombreux déboires économiques, de la panique financière à la fuite des emplois et des industries. Par ailleurs une Ecosse indépendante risque d'être exclue de l'UE et de l'OTAN.
Que penser de ce débat ? Faut-il saluer une possible indépendance écossaise comme une avancée dans la revendication de l'identité culturelle et du droit des peuples à se gouverner eux-mêmes ou la considérer comme une source supplémentaire d'instabilité et de faiblesse en Europe (ce qui accroîtra les incertitudes dans d'autres pays et dans d'autres parties du monde) ?
Les mouvements de sécession peuvent indiscutablement susciter une forte instabilité. Il suffit de considérer le désordre régional et même mondial engendré par la situation au Kosovo, au Soudan du Sud, au Kurdistan et en Crimée. Une transition vers l'indépendance peut néanmoins se dérouler pacifiquement et sans heurt ainsi que cela s'est passé en 1993 lors de la partition de la Tchécoslovaquie qui a donné naissance à la République tchèque et à la Slovaquie. Ce célèbre "divorce de velours" a eu lieu sans coût exorbitant ou conséquences néfastes pour les nouveaux Etats ainsi créés. Tous deux ont accepté la partition, et sachant que leur avenir était dans l'Europe, ils ont concentré leurs efforts sur l'accession à l'UE.
Ce serait le bon scénario pour une Ecosse indépendante. Le reste du Royaume-Uni (l'Angleterre, le pays de Galles et l'Irlande du Nord) et l'Ecosse pourraient se montrer rapides et efficaces pour parvenir à un accord sur les conditions de l'indépendance et le partage de la dette publique et des actifs du Royaume-Uni, notamment le pétrole et le gaz offshore. Il faudrait que les deux cotés fassent preuve de pragmatisme et de modération dans leurs revendications.
Quant à l'UE, elle devrait accepter immédiatement le maintien de l'Ecosse en son sein, étant donné que cette dernière répond déjà aux normes démocratiques voulues et à toutes les autres conditions exigées. De la même manière, l'OTAN devrait accepter immédiatement de garder l'Ecosse dans l'Alliance (même si l'engagement du parti national écossais de fermer les bases de sous-marins américains et britanniques complique les choses).
Le Royaume-Uni et l'Ecosse pourraient convenir que le nouvel Etat conserverait provisoirement la livre britannique avant d'évoluer vers une livre écossaise ou vers l'euro. Si ces dispositions étaient prises dans un climat de coopération et en toute transparence, la transition monétaire pourrait se dérouler en douceur, sans crise financière.
Mais si le Royaume-Uni, l'UE et l'OTAN réagissaient agressivement à un vote favorable à l'indépendance - que ce soit pour donner une leçon à l'Ecosse ou dissuader d'autres régions d'en faire autant (la Catalogne par exemple) - la situation pourrait se dégrader sérieusement. Si une Ecosse indépendante était expulsée de l'UE et de l'OTAN pour quelques années, cela pourrait déclencher une panique financière lourde de conséquences tout à la fois pour l'Ecosse et le Royaume-Uni.
J'insiste sur le fait que le coût d'une possible séparation est une question de choix - il n'y a rien d'inévitable. Ce coût dépend de la manière dont le Royaume-Uni, l'UE et l'OTAN réagiraient à un vote en faveur de l'indépendance et à la modération dont ferait preuve une Ecosse indépendante dans les relations avec ses partenaires. Si chacun gardait la tête froide, le coût de l'indépendance écossaise ne serait pas excessivement lourd.
Les dangers d'une sécession sont exacerbés en l'absence d'entités puissantes telles que l'UE ou l'OTAN pour mettre de l'ordre dans les relations entre les nouveaux Etats. Sans intervention de ce type, les déclarations d'indépendance unilatérales auxquelles s'opposent les Etats nationaux ou des unités sub-nationales conduisent souvent à un effondrement du commerce et de la finance - et parfois même à la guerre, ainsi qu'on l'a vu après l'effondrement de l'Union soviétique et de la Yougoslavie, et plus récemment au Soudan.
Dans d'autres cas, la séparation a été suivie d'une grave crise économique et politique qui laisse encore des traces. En ce qui concerne l'ex-Yougoslavie et l'ex-Union soviétique, l'UE et l'OTAN ont absorbé certains des nouveaux Etats, ce qui a conduit à de graves tensions géopolitiques.
La politique internationale du 21° siècle ne peut plus être exclusivement du ressort des Etats-nations. La plupart des éléments clè sur lesquels repose le bien-être d'un pays (le commerce, la finance, le respect de la loi, la sécurité et la qualité de l'environnement) dépendent au moins autant de l'existence d'institutions régionales et internationales efficaces. Même si l'Ecosse devient indépendante, elle sera partie prenante - et devra rester partie prenante - d'une communauté internationale dont les membres sont liés par toute une série d'engagements et d'obligations, que ce soit au niveau de l'Europe ou du reste du monde.
Je suis favorable à l'indépendance de l'Ecosse en tant que moyen d'encourager la démocratie et l'identité culturelle écossaise - mais seulement si l'Ecosse et le Royaume-Uni restent membres d'une UE et d'une OTAN fortes et efficaces.
Une victoire du Oui au référendum donnerait encore plus d'importance à la qualité de la gouvernance européenne. Mais si l'UE et l'OTAN voulaient "punir" une Ecosse indépendante en l'excluant, cela pourrait conduire à un désastre, non seulement pour l'Ecosse et le Royaume-Uni, mais aussi pour la démocratie et la sécurité en Europe.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de santé publique, est directeur de l’Institut de la Terre à l'université de Columbia à New-York. Il est également conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU pour les Objectifs du millénaire pour le développement.
Copyright: Project Syndicate, 2014.
www.project-syndicate.org
- la culture : protéger et renforcer l'identité du peuple écossais,
- l'idéologie : faire évoluer l'Ecosse vers une démocratie sociale de type scandinave,
- la politique : rapprocher la gouvernance démocratique du peuple,
- l'économie : exiger une part plus importante des gisements de pétrole et de gaz en mer du Nord.
Les dirigeants britanniques et nombre de gouvernements européens pressent les Ecossais de voter contre l'indépendance. Pour les partisans du Non, l'indépendance n'apporterait pratiquement aucun des avantages promis. Au contraire, elle entraînerait de nombreux déboires économiques, de la panique financière à la fuite des emplois et des industries. Par ailleurs une Ecosse indépendante risque d'être exclue de l'UE et de l'OTAN.
Que penser de ce débat ? Faut-il saluer une possible indépendance écossaise comme une avancée dans la revendication de l'identité culturelle et du droit des peuples à se gouverner eux-mêmes ou la considérer comme une source supplémentaire d'instabilité et de faiblesse en Europe (ce qui accroîtra les incertitudes dans d'autres pays et dans d'autres parties du monde) ?
Les mouvements de sécession peuvent indiscutablement susciter une forte instabilité. Il suffit de considérer le désordre régional et même mondial engendré par la situation au Kosovo, au Soudan du Sud, au Kurdistan et en Crimée. Une transition vers l'indépendance peut néanmoins se dérouler pacifiquement et sans heurt ainsi que cela s'est passé en 1993 lors de la partition de la Tchécoslovaquie qui a donné naissance à la République tchèque et à la Slovaquie. Ce célèbre "divorce de velours" a eu lieu sans coût exorbitant ou conséquences néfastes pour les nouveaux Etats ainsi créés. Tous deux ont accepté la partition, et sachant que leur avenir était dans l'Europe, ils ont concentré leurs efforts sur l'accession à l'UE.
Ce serait le bon scénario pour une Ecosse indépendante. Le reste du Royaume-Uni (l'Angleterre, le pays de Galles et l'Irlande du Nord) et l'Ecosse pourraient se montrer rapides et efficaces pour parvenir à un accord sur les conditions de l'indépendance et le partage de la dette publique et des actifs du Royaume-Uni, notamment le pétrole et le gaz offshore. Il faudrait que les deux cotés fassent preuve de pragmatisme et de modération dans leurs revendications.
Quant à l'UE, elle devrait accepter immédiatement le maintien de l'Ecosse en son sein, étant donné que cette dernière répond déjà aux normes démocratiques voulues et à toutes les autres conditions exigées. De la même manière, l'OTAN devrait accepter immédiatement de garder l'Ecosse dans l'Alliance (même si l'engagement du parti national écossais de fermer les bases de sous-marins américains et britanniques complique les choses).
Le Royaume-Uni et l'Ecosse pourraient convenir que le nouvel Etat conserverait provisoirement la livre britannique avant d'évoluer vers une livre écossaise ou vers l'euro. Si ces dispositions étaient prises dans un climat de coopération et en toute transparence, la transition monétaire pourrait se dérouler en douceur, sans crise financière.
Mais si le Royaume-Uni, l'UE et l'OTAN réagissaient agressivement à un vote favorable à l'indépendance - que ce soit pour donner une leçon à l'Ecosse ou dissuader d'autres régions d'en faire autant (la Catalogne par exemple) - la situation pourrait se dégrader sérieusement. Si une Ecosse indépendante était expulsée de l'UE et de l'OTAN pour quelques années, cela pourrait déclencher une panique financière lourde de conséquences tout à la fois pour l'Ecosse et le Royaume-Uni.
J'insiste sur le fait que le coût d'une possible séparation est une question de choix - il n'y a rien d'inévitable. Ce coût dépend de la manière dont le Royaume-Uni, l'UE et l'OTAN réagiraient à un vote en faveur de l'indépendance et à la modération dont ferait preuve une Ecosse indépendante dans les relations avec ses partenaires. Si chacun gardait la tête froide, le coût de l'indépendance écossaise ne serait pas excessivement lourd.
Les dangers d'une sécession sont exacerbés en l'absence d'entités puissantes telles que l'UE ou l'OTAN pour mettre de l'ordre dans les relations entre les nouveaux Etats. Sans intervention de ce type, les déclarations d'indépendance unilatérales auxquelles s'opposent les Etats nationaux ou des unités sub-nationales conduisent souvent à un effondrement du commerce et de la finance - et parfois même à la guerre, ainsi qu'on l'a vu après l'effondrement de l'Union soviétique et de la Yougoslavie, et plus récemment au Soudan.
Dans d'autres cas, la séparation a été suivie d'une grave crise économique et politique qui laisse encore des traces. En ce qui concerne l'ex-Yougoslavie et l'ex-Union soviétique, l'UE et l'OTAN ont absorbé certains des nouveaux Etats, ce qui a conduit à de graves tensions géopolitiques.
La politique internationale du 21° siècle ne peut plus être exclusivement du ressort des Etats-nations. La plupart des éléments clè sur lesquels repose le bien-être d'un pays (le commerce, la finance, le respect de la loi, la sécurité et la qualité de l'environnement) dépendent au moins autant de l'existence d'institutions régionales et internationales efficaces. Même si l'Ecosse devient indépendante, elle sera partie prenante - et devra rester partie prenante - d'une communauté internationale dont les membres sont liés par toute une série d'engagements et d'obligations, que ce soit au niveau de l'Europe ou du reste du monde.
Je suis favorable à l'indépendance de l'Ecosse en tant que moyen d'encourager la démocratie et l'identité culturelle écossaise - mais seulement si l'Ecosse et le Royaume-Uni restent membres d'une UE et d'une OTAN fortes et efficaces.
Une victoire du Oui au référendum donnerait encore plus d'importance à la qualité de la gouvernance européenne. Mais si l'UE et l'OTAN voulaient "punir" une Ecosse indépendante en l'excluant, cela pourrait conduire à un désastre, non seulement pour l'Ecosse et le Royaume-Uni, mais aussi pour la démocratie et la sécurité en Europe.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de santé publique, est directeur de l’Institut de la Terre à l'université de Columbia à New-York. Il est également conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU pour les Objectifs du millénaire pour le développement.
Copyright: Project Syndicate, 2014.
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