Nos politiques monétaires orthodoxes ne sacralisent plus désormais l’étalon-or, qui conduisit les banquiers centraux des années 1920 à une mauvaise gestion des taux d’intérêt, créatrice d’un effondrement économique mondial qui aboutira finalement à la Seconde Guerre mondiale. Pour autant, une période actuelle sans précédent, caractérisée par l’assouplissement coordonné des politiques monétaires depuis la crise financière de 2008, pourrait bien se révéler tout aussi problématique. En effet, l’impact perceptible sur les marchés financiers s’avère d’ores et déjà considérable.
Le principal effet engendré est tout à fait clair. Il réside en ce que les investisseurs institutionnels éprouvent de plus en plus de difficultés à générer des rendements réels positifs dans le cadre de l’ensemble des investissements traditionnellement refuges. Les prestataires d’assurance-vie peinent notamment à satisfaire aux taux de rendement garantis. Selon un récent rapport publié par Swiss Re, si les obligations publiques avaient été négociées à un niveau plus proche de leur « juste valeur », les assureurs d’Amérique et d’Europe auraient enregistré des bénéfices d’environ 40 à 80 milliards $ entre 2008 et 2013 (dans l’hypothèse d’une attribution aux revenus fixes habituellement située entre 50 et 60 %). S’agissant des fonds publics de retraite, un rendement supérieur de 1 % au cours de cette période aurait permis d’accroître le revenu annuel de 40 à 50 milliards $.
Les investisseurs ont réagi aux taux d’intérêt proches de zéro par des ajustements inédits dans leur manière d’affecter les actifs. Dans la plupart des cas, ils ont prix davantage de risques. Pour commencer, ils se sont orientés vers des instruments de crédit plus risqués, ce qui a entraîné une compression des écarts d’obligations d’entreprise. Une fois les rendements sur effets de commerce abaissés jusqu’à des niveaux historiquement faibles, les investisseurs ont continué de pousser en direction des actions. Environ 63 % des investisseurs institutionnels mondiaux ont augmenté leurs affectations en direction d’actions de marchés développés au cours des six mois précédent avril 2015, d’après les données issues d’une récente étude réalisée par State Street – bien qu’environ 60 % d’entre eux prévoient une correction de marché de 10 à 20 %.
Les investisseurs les plus conservateurs de la planète ont eux-mêmes pris des risques sans précédent. Les fonds publics de retraite japonais, qui comptent parmi les plus importants au monde, ont abandonné les obligations locales à des rythmes record. En plus de booster les investissements en direction des obligations et bourses étrangères, ces fonds augmentent désormais leur détention de stocks domestiques, pour le cinquième trimestre consécutif.
Bien que ces décisions d’affectation soient compréhensibles, étant donné les rendements dérisoires générés par les investissements à revenu fixe, un deuxième effet engendré pourrait en fin de compte se révéler dévastateur.
Le marché des actions à la hausse en est aujourd’hui à sa sixième année d’existence. Même à l’issue de l’instabilité de marché provoquée par la crise grecque et la chute du marché boursier chinois, les valorisations semblent aujourd’hui élevées. Le S&P 500 a dépassé ses niveaux d’avant 2008, les actions de certaines sociétés se négociant actuellement 18 fois au-dessus de leur rendement.
Aussi longtemps que souffleront les vents favorables de l’assouplissement quantitatif mondial, d’un pétrole bon marché, et de nouveaux flux institutionnels entrants, les actions pourront continuer de susciter l’intérêt. Pour autant, une réelle correction de marché se produira tôt ou tard. Et lorsque ce sera le cas, les fonds de retraite et autres compagnies d’assurance seront plus exposés que jamais à la volatilité des marchés d’actions.
Cette surexposition émerge à une période où les tendances démographiques œuvrent à l’encontre des fonds de retraite. En Allemagne, par exemple, pays où 20 % de la population est âgée de plus de 65 ans, le nombre d’individus adultes en âge de travailler devrait passer des quelque 50 millions actuels à moins de 34 millions d’ici 2060. Du côté des marchés émergents, l’augmentation rapide de l’espérance de vie et le déclin de fertilité devraient doubler la part de population âgée de plus de 60 ans en Chine d’ici 2050 – ajoutant près d’un demi-milliard de personnes supplémentaires nécessitant un soutien au cours de leurs années de retraite.
Si l’effet combiné des fortes pertes observées sur les marchés d’actions et de la hausse des ratios de dépendance venait entraver les fonds de retraite dans la satisfaction de leurs obligations, il incombera alors aux gouvernements de fournir les filets de sécurité – s’ils sont en mesure de le faire. La dette publique, en pourcentage du PIB mondial, augmente en effet à un taux annuel de 9,3 % depuis 2007.
En Europe, par exemple, la Grèce n’est pas le seul pays à crouler sous les dettes. En 2014, les niveaux de dette à travers la zone euro ont continué de grimper, jusqu’à atteindre près de 92 % du PIB – soit le plus fort pourcentage depuis l’introduction de la monnaie unique en 1999. Si les caisses de retraite et les gouvernements se révèlent incapables de soutenir les personnes âgées, les États du continent tout entier pourraient bien connaître une instabilité sociale croissante – dans une sorte de version généralisée de la saga qui s’opère actuellement en Grèce.
On peut considérer que les nouveaux seigneurs de la finance sont parvenus avec succès à atteindre beaucoup de leurs objectifs depuis l’irruption de la crise financière il y a sept ans. Il faut leur reconnaître cela. Néanmoins, lorsque l’urgence frappe, les réponses politiques à grande échelle produisent toujours des conséquences involontaires, qui sèment généralement les graines d’une prochaine et considérable crise. Étant donné l’agitation récente des marchés, la question est désormais de savoir si cette crise prochaine n’a pas déjà commencé.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Alexander Friedman est PDG du groupe GAM Holding.
© Project Syndicate 1995–2015
Le principal effet engendré est tout à fait clair. Il réside en ce que les investisseurs institutionnels éprouvent de plus en plus de difficultés à générer des rendements réels positifs dans le cadre de l’ensemble des investissements traditionnellement refuges. Les prestataires d’assurance-vie peinent notamment à satisfaire aux taux de rendement garantis. Selon un récent rapport publié par Swiss Re, si les obligations publiques avaient été négociées à un niveau plus proche de leur « juste valeur », les assureurs d’Amérique et d’Europe auraient enregistré des bénéfices d’environ 40 à 80 milliards $ entre 2008 et 2013 (dans l’hypothèse d’une attribution aux revenus fixes habituellement située entre 50 et 60 %). S’agissant des fonds publics de retraite, un rendement supérieur de 1 % au cours de cette période aurait permis d’accroître le revenu annuel de 40 à 50 milliards $.
Les investisseurs ont réagi aux taux d’intérêt proches de zéro par des ajustements inédits dans leur manière d’affecter les actifs. Dans la plupart des cas, ils ont prix davantage de risques. Pour commencer, ils se sont orientés vers des instruments de crédit plus risqués, ce qui a entraîné une compression des écarts d’obligations d’entreprise. Une fois les rendements sur effets de commerce abaissés jusqu’à des niveaux historiquement faibles, les investisseurs ont continué de pousser en direction des actions. Environ 63 % des investisseurs institutionnels mondiaux ont augmenté leurs affectations en direction d’actions de marchés développés au cours des six mois précédent avril 2015, d’après les données issues d’une récente étude réalisée par State Street – bien qu’environ 60 % d’entre eux prévoient une correction de marché de 10 à 20 %.
Les investisseurs les plus conservateurs de la planète ont eux-mêmes pris des risques sans précédent. Les fonds publics de retraite japonais, qui comptent parmi les plus importants au monde, ont abandonné les obligations locales à des rythmes record. En plus de booster les investissements en direction des obligations et bourses étrangères, ces fonds augmentent désormais leur détention de stocks domestiques, pour le cinquième trimestre consécutif.
Bien que ces décisions d’affectation soient compréhensibles, étant donné les rendements dérisoires générés par les investissements à revenu fixe, un deuxième effet engendré pourrait en fin de compte se révéler dévastateur.
Le marché des actions à la hausse en est aujourd’hui à sa sixième année d’existence. Même à l’issue de l’instabilité de marché provoquée par la crise grecque et la chute du marché boursier chinois, les valorisations semblent aujourd’hui élevées. Le S&P 500 a dépassé ses niveaux d’avant 2008, les actions de certaines sociétés se négociant actuellement 18 fois au-dessus de leur rendement.
Aussi longtemps que souffleront les vents favorables de l’assouplissement quantitatif mondial, d’un pétrole bon marché, et de nouveaux flux institutionnels entrants, les actions pourront continuer de susciter l’intérêt. Pour autant, une réelle correction de marché se produira tôt ou tard. Et lorsque ce sera le cas, les fonds de retraite et autres compagnies d’assurance seront plus exposés que jamais à la volatilité des marchés d’actions.
Cette surexposition émerge à une période où les tendances démographiques œuvrent à l’encontre des fonds de retraite. En Allemagne, par exemple, pays où 20 % de la population est âgée de plus de 65 ans, le nombre d’individus adultes en âge de travailler devrait passer des quelque 50 millions actuels à moins de 34 millions d’ici 2060. Du côté des marchés émergents, l’augmentation rapide de l’espérance de vie et le déclin de fertilité devraient doubler la part de population âgée de plus de 60 ans en Chine d’ici 2050 – ajoutant près d’un demi-milliard de personnes supplémentaires nécessitant un soutien au cours de leurs années de retraite.
Si l’effet combiné des fortes pertes observées sur les marchés d’actions et de la hausse des ratios de dépendance venait entraver les fonds de retraite dans la satisfaction de leurs obligations, il incombera alors aux gouvernements de fournir les filets de sécurité – s’ils sont en mesure de le faire. La dette publique, en pourcentage du PIB mondial, augmente en effet à un taux annuel de 9,3 % depuis 2007.
En Europe, par exemple, la Grèce n’est pas le seul pays à crouler sous les dettes. En 2014, les niveaux de dette à travers la zone euro ont continué de grimper, jusqu’à atteindre près de 92 % du PIB – soit le plus fort pourcentage depuis l’introduction de la monnaie unique en 1999. Si les caisses de retraite et les gouvernements se révèlent incapables de soutenir les personnes âgées, les États du continent tout entier pourraient bien connaître une instabilité sociale croissante – dans une sorte de version généralisée de la saga qui s’opère actuellement en Grèce.
On peut considérer que les nouveaux seigneurs de la finance sont parvenus avec succès à atteindre beaucoup de leurs objectifs depuis l’irruption de la crise financière il y a sept ans. Il faut leur reconnaître cela. Néanmoins, lorsque l’urgence frappe, les réponses politiques à grande échelle produisent toujours des conséquences involontaires, qui sèment généralement les graines d’une prochaine et considérable crise. Étant donné l’agitation récente des marchés, la question est désormais de savoir si cette crise prochaine n’a pas déjà commencé.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Alexander Friedman est PDG du groupe GAM Holding.
© Project Syndicate 1995–2015