Nous sommes actuellement confrontés à un compromis entre triage social et effondrement économique. C'est parce qu'une grande partie de l'activité économique implique des interactions physiques entre les gens, en particulier dans le commerce de détail, la restauration, le tourisme, les divertissements en direct et la plupart des formes d'emplois de bureau. Dès que l'on met en pratique la distanciation sociale, cette sorte d'activité s'arrête.
Pire encore, le COVID-19 est la première pandémie qui frappe une économie mondiale totalement intégrée. La plupart des marchandises à l'heure actuelle sont les produits de chaînes d'approvisionnement mondiales, où les interactions physiques sur un site sont reliées à des interactions physiques situées ailleurs. Arrêtez les interactions physiques sur un site et les répercussions économiques se font sentir dans beaucoup d'autres.
De plus fortes dépenses publiques, des baisses d'impôts et des taux d'intérêt au plus bas peuvent maintenir les gens à flot à court terme, mais ne stimulent pas l'activité de production si les gens ne peuvent pas travailler. En outre, le fait de compléter les revenus des nouveaux chômeurs ne fera pas nécessairement augmenter la consommation si la plupart des magasins sont fermés et que les services de livraison ne sont pas en mesure de répondre à l'explosion de la demande.
Le problème n'est pas une baisse généralisée de la demande globale, comme c'était le cas lors de la Grande dépression des années 1930. Il s'agit plutôt d'une chute spectaculaire de la production et de la consommation de biens et de services qui reposent sur des interactions physiques, associée à une hausse tout aussi spectaculaire de la production et de la consommation de biens et de services qui n'impliquent pas de telles interactions.
C'est pourquoi l'activité d'Amazon et de Netflix est en plein essor, mais est en chute libre pour les hôtels et les restaurants. En fait, la pandémie a provoqué une grande disparité économique : de nombreux secteurs dépendants des processus de production et de distribution existants sont en train de licencier leurs employés, alors que d'autres ne sont pas en mesure d'embaucher suffisamment.
De nombreux gouvernements ont annoncé des mesures budgétaires pour atténuer l'impact économique de la pandémie, telles que le paiement d'une grande partie des salaires des travailleurs en situation de chômage technique (comme au Royaume-Uni) ou l'envoi d'un chèque de relance aux contribuables (comme aux États-Unis). Le Canada, le Danemark, la France et d'autres pays sont en train de payer une grande partie des salaires afin de préserver les entreprises.
Mais ces initiatives visent à préserver les revenus d'emplois qui ont disparu, plutôt que de générer des revenus à partir d'emplois qui n'ont pas encore été pourvus. Bien que des mesures comme celles-ci soient appropriées pour lutter contre une dépression économique ou pour couvrir un déficit temporaire de la demande globale, elles ne contribueront pas à résoudre le problème de la Grande disparité économique.
En effet, il serait irresponsable de la part des gouvernements de formuler une politique selon l'hypothèse que la pandémie actuelle est temporaire et qu'elle ne se reproduira pas. Les décideurs politiques ne doivent pas penser qu'il suffit de donner de l'argent aux employeurs et aux employés pour les aider à passer un cap difficile, avant un retour rapide à la normalité économique.
Nul ne sait combien de temps la pandémie va durer. Si elle s'avère longue, alors la Grande disparité économique devrait inciter les gouvernements du monde entier à planifier un changement structurel persistant. Soutenir les revenus d'emplois inexistants cessera d'être une option, de sorte qu'aider les gens à trouver de nouveaux emplois doit devenir primordial.
Si la pandémie est raisonnablement courte, alors les gouvernements doivent s'assurer qu'ils ne seront jamais pris autant au dépourvu qu'à présent. Cela impliquera de renforcer la résilience de l'économie face aux chocs pandémiques, en veillant à ce que les gens disposent des compétences nécessaires pour exercer de nouveaux emplois.
Ainsi, quelle que soit la durée de la pandémie, l'organisation des activités économiques doit fondamentalement changer. Mais jusqu'à présent, les gouvernements n'ont pas relevé ce défi.
Afin de comprendre le problème sous-jacent et d'identifier la solution politique, nous devons concevoir de nouvelles catégories d'activité économique. En particulier, nous devons diviser la production et la consommation en activités physiquement interactives (PI) et physiquement disjointes (PD).
La pandémie est en train de restructurer radicalement les chaînes d'approvisionnement mondiales et le comportement des consommateurs au détriment des activités PI et en faveur des activités PD. Par conséquent, la principale tâche des gouvernements ne consiste pas à compenser un déficit de la demande globale, mais plutôt à financer les ajustements nécessaires pour surmonter la Grande disparité économique.
Il ne suffit pas de fournir un soutien de revenu aux personnes sans emploi : les gouvernements doivent également leur donner accès à des biens et services essentiels tels que les biens alimentaires et les soins médicaux, ainsi qu'à un soutien PD pour la santé mentale et physique. Aujourd'hui, cet accès est loin d'être assuré dans de nombreux pays, ce qui entraîne une inquiétude et un désespoir généralisés.
Les agences pour l'emploi peuvent jouer un rôle essentiel en identifiant les emplois PD qui prolifèrent rapidement tout en transmettant ces informations aux personnes qui participent à des activités PI. Les ministères des finances et du travail doivent, quant à eux, subventionner les frais de relocalisation et de formation.
Afin de promouvoir la transition des travailleurs issus de la suppression des emplois PI vers des postes PD aisément disponibles, les pouvoirs publics doivent accorder des subventions à l'embauche. Ces dernières sont de loin supérieures à des réductions de prélèvements sur les salaires destinées à préserver d'anciens emplois plutôt qu'à surmonter le déséquilibre.
En outre, une pandémie est un mal public, et les individus n'ont pas à payer le coût total des maux qu'ils causent aux autres en transmettant le virus. Parce que le système de libre-échange ne peut pas faire face efficacement à ce problème, le test et le traitement doivent être financés par les pouvoirs publics. Cela est bien sûr accepté dans certains pays (comme l'Allemagne et la Corée du Sud), mais reste vivement ignoré dans d'autres (comme les États-Unis).
Il est vrai qu'il sera coûteux de subventionner les frais d'adaptation générés par la Grande disparité économique. Mais les montants impliqués seront faibles par rapport aux montants que de nombreux gouvernements envisagent de dépenser actuellement en réponse aux répercussions économiques de la pandémie.
Les répercussions ne réduit pas la demande, mais modifie en revanche brutalement et rapidement nos activités de production et de consommation. Au lieu d'appliquer désespérément de vieilles solutions à un nouveau problème, les gouvernements du monde entier doivent aider les économies à s'adapter à ce changement.
Dennis J. Snower, président de Global Solutions Initiative, professeur à la Hertie School of Governance de Berlin, chargé de recherche principal à la Blavatnik School of Government de l'Université d'Oxford, membre non résident de la Brookings Institution, Président émérite de l'Institut Kiel pour l'économie mondiale.
© Project Syndicate 1995–2020
Pire encore, le COVID-19 est la première pandémie qui frappe une économie mondiale totalement intégrée. La plupart des marchandises à l'heure actuelle sont les produits de chaînes d'approvisionnement mondiales, où les interactions physiques sur un site sont reliées à des interactions physiques situées ailleurs. Arrêtez les interactions physiques sur un site et les répercussions économiques se font sentir dans beaucoup d'autres.
De plus fortes dépenses publiques, des baisses d'impôts et des taux d'intérêt au plus bas peuvent maintenir les gens à flot à court terme, mais ne stimulent pas l'activité de production si les gens ne peuvent pas travailler. En outre, le fait de compléter les revenus des nouveaux chômeurs ne fera pas nécessairement augmenter la consommation si la plupart des magasins sont fermés et que les services de livraison ne sont pas en mesure de répondre à l'explosion de la demande.
Le problème n'est pas une baisse généralisée de la demande globale, comme c'était le cas lors de la Grande dépression des années 1930. Il s'agit plutôt d'une chute spectaculaire de la production et de la consommation de biens et de services qui reposent sur des interactions physiques, associée à une hausse tout aussi spectaculaire de la production et de la consommation de biens et de services qui n'impliquent pas de telles interactions.
C'est pourquoi l'activité d'Amazon et de Netflix est en plein essor, mais est en chute libre pour les hôtels et les restaurants. En fait, la pandémie a provoqué une grande disparité économique : de nombreux secteurs dépendants des processus de production et de distribution existants sont en train de licencier leurs employés, alors que d'autres ne sont pas en mesure d'embaucher suffisamment.
De nombreux gouvernements ont annoncé des mesures budgétaires pour atténuer l'impact économique de la pandémie, telles que le paiement d'une grande partie des salaires des travailleurs en situation de chômage technique (comme au Royaume-Uni) ou l'envoi d'un chèque de relance aux contribuables (comme aux États-Unis). Le Canada, le Danemark, la France et d'autres pays sont en train de payer une grande partie des salaires afin de préserver les entreprises.
Mais ces initiatives visent à préserver les revenus d'emplois qui ont disparu, plutôt que de générer des revenus à partir d'emplois qui n'ont pas encore été pourvus. Bien que des mesures comme celles-ci soient appropriées pour lutter contre une dépression économique ou pour couvrir un déficit temporaire de la demande globale, elles ne contribueront pas à résoudre le problème de la Grande disparité économique.
En effet, il serait irresponsable de la part des gouvernements de formuler une politique selon l'hypothèse que la pandémie actuelle est temporaire et qu'elle ne se reproduira pas. Les décideurs politiques ne doivent pas penser qu'il suffit de donner de l'argent aux employeurs et aux employés pour les aider à passer un cap difficile, avant un retour rapide à la normalité économique.
Nul ne sait combien de temps la pandémie va durer. Si elle s'avère longue, alors la Grande disparité économique devrait inciter les gouvernements du monde entier à planifier un changement structurel persistant. Soutenir les revenus d'emplois inexistants cessera d'être une option, de sorte qu'aider les gens à trouver de nouveaux emplois doit devenir primordial.
Si la pandémie est raisonnablement courte, alors les gouvernements doivent s'assurer qu'ils ne seront jamais pris autant au dépourvu qu'à présent. Cela impliquera de renforcer la résilience de l'économie face aux chocs pandémiques, en veillant à ce que les gens disposent des compétences nécessaires pour exercer de nouveaux emplois.
Ainsi, quelle que soit la durée de la pandémie, l'organisation des activités économiques doit fondamentalement changer. Mais jusqu'à présent, les gouvernements n'ont pas relevé ce défi.
Afin de comprendre le problème sous-jacent et d'identifier la solution politique, nous devons concevoir de nouvelles catégories d'activité économique. En particulier, nous devons diviser la production et la consommation en activités physiquement interactives (PI) et physiquement disjointes (PD).
La pandémie est en train de restructurer radicalement les chaînes d'approvisionnement mondiales et le comportement des consommateurs au détriment des activités PI et en faveur des activités PD. Par conséquent, la principale tâche des gouvernements ne consiste pas à compenser un déficit de la demande globale, mais plutôt à financer les ajustements nécessaires pour surmonter la Grande disparité économique.
Il ne suffit pas de fournir un soutien de revenu aux personnes sans emploi : les gouvernements doivent également leur donner accès à des biens et services essentiels tels que les biens alimentaires et les soins médicaux, ainsi qu'à un soutien PD pour la santé mentale et physique. Aujourd'hui, cet accès est loin d'être assuré dans de nombreux pays, ce qui entraîne une inquiétude et un désespoir généralisés.
Les agences pour l'emploi peuvent jouer un rôle essentiel en identifiant les emplois PD qui prolifèrent rapidement tout en transmettant ces informations aux personnes qui participent à des activités PI. Les ministères des finances et du travail doivent, quant à eux, subventionner les frais de relocalisation et de formation.
Afin de promouvoir la transition des travailleurs issus de la suppression des emplois PI vers des postes PD aisément disponibles, les pouvoirs publics doivent accorder des subventions à l'embauche. Ces dernières sont de loin supérieures à des réductions de prélèvements sur les salaires destinées à préserver d'anciens emplois plutôt qu'à surmonter le déséquilibre.
En outre, une pandémie est un mal public, et les individus n'ont pas à payer le coût total des maux qu'ils causent aux autres en transmettant le virus. Parce que le système de libre-échange ne peut pas faire face efficacement à ce problème, le test et le traitement doivent être financés par les pouvoirs publics. Cela est bien sûr accepté dans certains pays (comme l'Allemagne et la Corée du Sud), mais reste vivement ignoré dans d'autres (comme les États-Unis).
Il est vrai qu'il sera coûteux de subventionner les frais d'adaptation générés par la Grande disparité économique. Mais les montants impliqués seront faibles par rapport aux montants que de nombreux gouvernements envisagent de dépenser actuellement en réponse aux répercussions économiques de la pandémie.
Les répercussions ne réduit pas la demande, mais modifie en revanche brutalement et rapidement nos activités de production et de consommation. Au lieu d'appliquer désespérément de vieilles solutions à un nouveau problème, les gouvernements du monde entier doivent aider les économies à s'adapter à ce changement.
Dennis J. Snower, président de Global Solutions Initiative, professeur à la Hertie School of Governance de Berlin, chargé de recherche principal à la Blavatnik School of Government de l'Université d'Oxford, membre non résident de la Brookings Institution, Président émérite de l'Institut Kiel pour l'économie mondiale.
© Project Syndicate 1995–2020