Comment se porte le marché des assurances au Sénégal ?
Le marché sénégalais des assurances se porte relativement bien et s’est inscrit dans une bonne dynamique depuis quelques années déjà. En cela, il constitue d’ailleurs un indicateur pertinent de la bonne trajectoire de l’économie sénégalaise portée par la mise en œuvre du Plan Sénégal Emergent (PSE).
Pour illustrer cette assertion, on peut relever que sur la période 2014-2019, l’activité des sociétés d’assurance a connu un bond significatif avec un chiffre d’affaires qui est passé de 101 milliards à 189 milliards de Fcfa, se traduisant par une évolution du taux de pénétration, qui mesure la contribution du secteur au Pib, de 1.03% à 1.35%. Il s’agit donc là d’une dynamique très positive du marché sénégalais des assurances.
Cette dynamique se traduit également dans les prestations octroyées aux assurés et bénéficiaires de contrats d’assurance, qui sont en constante évolution, malgré ce que l’on peut en penser. Ainsi sur la période de référence évoquée ci-dessus, les sinistres payés par les sociétés d’assurances sénégalaises sont passés de 45,30 milliards à 74,16 milliards de FCFA.
La bonne dynamique du secteur pourrait aussi être appréciée à travers sa contribution au financement de l’économie nationale et régionale, c'est-à-dire dans la fonction d’investisseur institutionnel de l’assurance. Ainsi, le stock des placements effectués par les assureurs sénégalais sur la période de référence est passé de 203,9 milliards à 310,5 milliards, avec une bonne prédominance des placements dans les titres d’Etat (Bons du Trésor, obligations d’Etat).
Autant d’indicateurs qui attestent de la bonne santé du secteur des assurances, une bonne santé qu’il faudrait maintenant traduire, de façon régulière, dans la qualité du service rendu aux bénéficiaires des produits d’assurance.
C’est à cela que l’autorité de contrôle, dont la mission s’exerce dans l’intérêt des assurés et bénéficiaires de contrats, s’attelle au quotidien.
Monsieur le Directeur, le secteur des assurances a été également frappé de plein fouet par le confinement économique (baisse des contrats et primes émises, suspensions temporaires de paiements, etc.). Plusieurs branches ont été impactées entre autres notamment l’assurance transport, l’assurance voyage, l’assurance construction, l’assurance automobile. Peut-on avoir une idée estimative de l’impact de la crise sanitaire sur l’exploitation des sociétés d’assurances sénégalaises ?
Dans la gestion publique de la pandémie, nous assistons à une reprise progressive de l’activité économique, et bien entendu de celle des assurances qui accompagnent justement cette activité économique.
Au stade actuel de l’évolution, il est vraiment prématuré de faire une estimation de l’impact de la crise sur l’exploitation des compagnies. A l’image des autres segments de l’économie, l’activité d’assurance sera cependant impactée et connaîtra une baisse de croissance pour cette année.
Prenons l’exemple de l’assurance automobile avec la mesure de confinement des populations. Beaucoup d’assurés, surtout dans le domaine du transport public de voyageurs (TPV) qui a beaucoup souffert de la crise, seront restés pendant une bonne période sans renouveler leurs contrats d’assurance parce que le risque n’existait pratiquement pas. Et l’assurance automobile représente en moyenne entre 25 et 30% de l’activité totale des Assureurs dommages.
L’assurance des marchandises importées également va connaitre une baisse sensible du fait de la diminution des importations sur la période récente.
Il en va de même pour l’assurance au voyage, les déplacements internationaux ayant connu des restrictions très larges. Sans parler de la couverture d’assurance dans la branche Aviation avec des avions cloués au sol, ce qui se traduit certainement par des suspensions de garanties d’assurance.
Le seul bémol que l’on pourrait soulever, c’est que notre pays, notre continent, a été touché par la pandémie en début 2020, après une période où pour l’essentiel, les grands comptes ont fini de renouveler, sur une année généralement, leurs polices d’assurances.
On pourrait ajouter que les premières souscriptions d’assurance, au titre des risques pétroliers et gaziers, pourraient atténuer dans une certaine mesure la perte de croissance attendue.
Quel plan de riposte avez-vous mis en place pour renforcer la résilience du secteur, des compagnies d’assurances et des assurés ?
Les résultats de l’enquête réalisée par la Direction Générale du Secteur Financier et de la Compétitivité ont montré que l’impact serait très négatif sur le secteur.
En concertation avec les assureurs, les mesures de résilience ci-après ont été proposées pour limiter les conséquences du COVID 19 sur l’industrie des assurances :
Monsieur le Directeur, la Covid-19 a ouvert la polémique sur la prise en charge des pertes d’exploitation des professionnels. Quelles difficultés soulève l’interprétation des polices « Pertes d’exploitation/ PE » dans le contexte actuel ?
Je voudrais relever que les polices « Pertes d’exploitation » ne soulèvent pas d’interprétation particulière, même si le débat se pose actuellement dans le secteur de l’assurance en Europe.
Parce que dans la pratique, la garantie des « Pertes d’exploitation » est généralement adossée à une garantie principale, notamment une garantie Incendie ou Bris de Machines, ou encore une garantie Tous risques informatiques par exemple. Dans ces cas, on sait dans quel cadre la Perte d’exploitation va jouer et il n’y a pas lieu à une interprétation du contrat.
Maintenant, lorsque l’Assureur accorde une garantie Perte d’exploitation à des entreprises, sans que cette Perte d’exploitation ne soit la conséquence d’un péril dénommé, vous conviendrez également qu’il ne puisse y avoir d’interprétation sur la couverture de l’assureur, sauf dans les cas d’exclusion qui seraient prévus par la convention d’assurance.
L’exclusion du risque pandémique doit-elle être prévue dans la police ou est-elle sous-entendue ?
En matière d’exclusion, qui signifie non couverture du risque et donc un dommage laissé à la charge de l’assuré, il ne saurait y avoir de sous entendu, et la règlementation est très claire à ce niveau.
Pour que l’on parle d’exclusion, il faut qu’elle soit non seulement prévue dans le contrat d’assurance, mais il faut qu’elle soit transcrite en caractères très apparents : c’est la formulation utilisée dans le code des assurances.
Le risque pandémique peut bien faire l’objet d’une exclusion, en raison de son caractère systémique, mais il faudrait que le contrat d’assurance l’ait bien mentionné.
Monsieur le Directeur, où en est-on sur la loi sur le contenu local ?
Parlant de la loi sur le contenu local dans l’actualité sénégalaise, on pense principalement au secteur du pétrole et du gaz, secteur dans lequel les autorités sénégalaises essaient de prendre toutes les garanties afin que les opérateurs économiques du pays puissent bénéficier des retombées de l’exploitation de nos richesses énergétiques.
Mais pour en revenir au secteur des assurances, je dois préciser que le « contenu local » constitue depuis l’avènement du code CIMA une préoccupation forte du législateur communautaire qui l’a matérialisé dans les dispositions dudit code de 1992.
Cette politique du contenu local est exprimée légalement à travers des dispositions protectrices de nos sociétés locales, par une interdiction d’assurance directe à l’étranger des risques situés sur nos territoires, sauf autorisation expresse du Ministre en charge du secteur.
Et dans ce cadre, une évolution notable est survenue par rapport à cette interdiction qui jusqu’en 2016, pouvait souffrir d’une dérogation du Ministre en charge des assurances qui avait la latitude d’autoriser cette assurance directe à l’étranger.
L’évolution à laquelle je faisais allusion vient supprimer cette possibilité de dérogation, et donc le placement de contrats d’assurance auprès d’opérateurs non agréés sur notre territoire.
Cette mesure protectrice a été élargie au mécanisme de la réassurance qui, par essence, est internationale ; les mesures récentes adoptées par le législateur CIMA traduisent un souci de garantir un contenu local même si, pour ce qui est de la réassurance, le législateur pense plutôt à la zone CIMA en parlant de local.
C’est dire que du point de vue de l’assurance, le contenu local a trouvé une réelle expression règlementaire, et cela au-delà des risques liés aux hydrocarbures.
Il appartient maintenant aux opérateurs de se donner les moyens pour assumer ces mesures et apporter la sécurité nécessaire aux investisseurs, à l’ensemble des acteurs économiques.
Du coté du législateur, c’est dans ce sens que s’inscrivent également les mesures récentes de relèvement du capital social minimum des sociétés anonymes d’assurances qui doit passer de 1 à 5 milliards de FCFA à l’horizon 2021, ainsi que du fonds d’établissement des sociétés mutuelles d’assurances qui passe dans le même horizon de 0,8 milliards à 3 milliards de FCFA.
Les compagnies sénégalaises ont pu passer difficilement le passage du capital social à 3 milliards, pourront –elles passer la barrière des 5 milliards en avril prochain ? Que vise le régulateur CIMA ? Ne peut-il pas différer cette mesure compte tenu de la situation économique causée par la pandémie du Covid-19 ?
Le passage du capital social des sociétés d’assurances à 3 milliards en juin 2019 était une étape intermédiaire dans le processus de relèvement du capital social évoqué tantôt pour l’horizon 2020.
Il convient d’abord de bien comprendre l’objectif du règlement, qui participe d’une volonté de renforcement de la capacité financière des entreprises d’assurance de la zone CIMA ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la mesure de relèvement est accompagnée d’une exigence de fonds propres équivalents au moins à 80% du capital social.
Ce qui est très notable sur le marché sénégalais, c’est que globalement les sociétés, en assurance dommages comme en assurance vie, ont pu procéder à l’augmentation de capital de 3 milliards, sans que cela ne se traduise par des opérations de fusion entre sociétés.
Dans certains cas, nous avons pu assister à une ouverture du capital social vers des acteurs économiques locaux ou des partenaires extérieurs, ce qui donne une opinion sur le niveau d’attractivité du secteur des assurances pour les investisseurs.
Alors ces sociétés auront-elles une difficulté majeure à passer le cap des 3 à 5 milliards de capital social en 2021 ?
On peut penser que la crise sanitaire mondiale, qui a affecté et continue d’affecter notre secteur économique, y compris les assurances, pourrait constituer une contrainte majeure pour les investisseurs.
Au niveau du Secrétariat général de la CIMA, mais également au niveau des autorités de contrôle dans les Etats membres, l’impact de cette crise fait l’objet d’un suivi et d’une analyse, afin d’adapter certaines dispositions auxquelles sont assujettis les acteurs ; cela se traduit déjà par des reports d’échéance accordés aux compagnies d’assurances dans la transmission de certains documents règlementaires.
Au regard de la situation, la mesure de relèvement du capital social à 5 milliards en 2021 pourrait faire l’objet de report, mais cela fera l’objet de toute l’analyse appropriée au niveau du comité des experts de la CIMA, bien entendu en étant à l’écoute des acteurs dont on a l’objectif de surveiller la solvabilité et la capacité de faire face à tout moment à leurs engagements.
Le règlement des sinistres est encadré dans des délais mais hélas, on constate encore des lenteurs dans le règlement. Qu’est ce qui explique cette difficulté des compagnies à passer à la caisse pour les règlements ?
Vous avez raison de relever que le règlement des sinistres est fortement encadré par des délais légaux, et cet encadrement continue de se faire pour répondre efficacement aux attentes des assurés et bénéficiaires des contrats d’assurance.
Le constat qui en découle, c’est que le dispositif légal n’est pas en cause bien au contraire. C’est donc dans son application et dans la supervision qu’il faudrait certainement chercher les difficultés liées au règlement des sinistres.
Il faut déjà se rappeler que le législateur CIMA avait adopté en 2011 une réforme fortement saluée, qui consacrait l’interdiction de l’assurance à crédit et donc le paiement de la prime d’assurance par les assurés dès la souscription du contrat.
Cette réforme, qui a contribué à améliorer sensiblement la trésorerie des compagnies d’assurance en réduisant d’autant les arriérés de primes, devait s’accompagner d’une diligence accrue dans le paiement des sinistres.
Il appartient donc à l’autorité de contrôle de veiller à ce que les dispositions y relatives soient appliquées, et l’action de la direction des assurances, ainsi que de la brigade de contrôle de la CIMA, a été beaucoup orientée ces derniers temps sur le contrôle des sinistres dans les sociétés d’assurances.
Ce contrôle restera une sur priorité dans notre plan d’actions afin d’aboutir, pas seulement au respect des dispositions sur les délais de règlement, mais surtout à réduire le déficit d’image, de notoriété dont souffre le secteur, notamment dans la branche assurance automobile qui cristallise toutes les récriminations vis-à-vis de l’assurance.
Quelles sont les perspectives du marché des assurances au Sénégal ?
S’agissant des perspectives que vous évoquez, l’on peut penser d’abord et principalement aux assurances du pétrole et du gaz avec les découvertes prometteuses de ses dernières années dans notre pays. Ces risques pétroliers et gaziers sont caractérisés par le volume de primes d’assurances très importantes qu’ils génèrent, en relation avec l’envergure des investissements dans ce domaine.
En faisant jouer l’ensemble des mécanismes assurantiels mis à leur disposition par la règlementation, je veux penser à la coassurance locale mais aussi à la réassurance dans le cadre de la zone CIMA, nos Assureurs devraient pouvoir capter une part non négligeable de ces primes des risques pétroliers et gaziers, ce qui leur permettra de jouer davantage le rôle que l’on attend d’eux, et de mieux contribuer au financement de l’économie.
Toujours au titre des perspectives, l’actualité récente, avec la crise sanitaire et ses impacts multiples sur l’activité économique, montre qu’une stratégie d’élargissement du champ des activités assurables doit pouvoir être développée par les acteurs.
Cette stratégie pourrait être corrélée aux politiques de développement d’après COVID 19, et je veux penser principalement à l’assurance du secteur informel mais aussi du secteur agricole qui connait déjà une expérience non négligeable en la matière, avec l’initiative de la Compagnie Nationale d’Assurance Agricole du Sénégal (CNAAS).
Il y a également lieu de penser à une assurance plus inclusive en matière de santé des populations sénégalaises, notamment à travers la microassurance santé, qui pourrait accompagner la politique publique de couverture maladie universelle.
Propos recueillis par Bassirou Mbaye
Le marché sénégalais des assurances se porte relativement bien et s’est inscrit dans une bonne dynamique depuis quelques années déjà. En cela, il constitue d’ailleurs un indicateur pertinent de la bonne trajectoire de l’économie sénégalaise portée par la mise en œuvre du Plan Sénégal Emergent (PSE).
Pour illustrer cette assertion, on peut relever que sur la période 2014-2019, l’activité des sociétés d’assurance a connu un bond significatif avec un chiffre d’affaires qui est passé de 101 milliards à 189 milliards de Fcfa, se traduisant par une évolution du taux de pénétration, qui mesure la contribution du secteur au Pib, de 1.03% à 1.35%. Il s’agit donc là d’une dynamique très positive du marché sénégalais des assurances.
Cette dynamique se traduit également dans les prestations octroyées aux assurés et bénéficiaires de contrats d’assurance, qui sont en constante évolution, malgré ce que l’on peut en penser. Ainsi sur la période de référence évoquée ci-dessus, les sinistres payés par les sociétés d’assurances sénégalaises sont passés de 45,30 milliards à 74,16 milliards de FCFA.
La bonne dynamique du secteur pourrait aussi être appréciée à travers sa contribution au financement de l’économie nationale et régionale, c'est-à-dire dans la fonction d’investisseur institutionnel de l’assurance. Ainsi, le stock des placements effectués par les assureurs sénégalais sur la période de référence est passé de 203,9 milliards à 310,5 milliards, avec une bonne prédominance des placements dans les titres d’Etat (Bons du Trésor, obligations d’Etat).
Autant d’indicateurs qui attestent de la bonne santé du secteur des assurances, une bonne santé qu’il faudrait maintenant traduire, de façon régulière, dans la qualité du service rendu aux bénéficiaires des produits d’assurance.
C’est à cela que l’autorité de contrôle, dont la mission s’exerce dans l’intérêt des assurés et bénéficiaires de contrats, s’attelle au quotidien.
Monsieur le Directeur, le secteur des assurances a été également frappé de plein fouet par le confinement économique (baisse des contrats et primes émises, suspensions temporaires de paiements, etc.). Plusieurs branches ont été impactées entre autres notamment l’assurance transport, l’assurance voyage, l’assurance construction, l’assurance automobile. Peut-on avoir une idée estimative de l’impact de la crise sanitaire sur l’exploitation des sociétés d’assurances sénégalaises ?
Dans la gestion publique de la pandémie, nous assistons à une reprise progressive de l’activité économique, et bien entendu de celle des assurances qui accompagnent justement cette activité économique.
Au stade actuel de l’évolution, il est vraiment prématuré de faire une estimation de l’impact de la crise sur l’exploitation des compagnies. A l’image des autres segments de l’économie, l’activité d’assurance sera cependant impactée et connaîtra une baisse de croissance pour cette année.
Prenons l’exemple de l’assurance automobile avec la mesure de confinement des populations. Beaucoup d’assurés, surtout dans le domaine du transport public de voyageurs (TPV) qui a beaucoup souffert de la crise, seront restés pendant une bonne période sans renouveler leurs contrats d’assurance parce que le risque n’existait pratiquement pas. Et l’assurance automobile représente en moyenne entre 25 et 30% de l’activité totale des Assureurs dommages.
L’assurance des marchandises importées également va connaitre une baisse sensible du fait de la diminution des importations sur la période récente.
Il en va de même pour l’assurance au voyage, les déplacements internationaux ayant connu des restrictions très larges. Sans parler de la couverture d’assurance dans la branche Aviation avec des avions cloués au sol, ce qui se traduit certainement par des suspensions de garanties d’assurance.
Le seul bémol que l’on pourrait soulever, c’est que notre pays, notre continent, a été touché par la pandémie en début 2020, après une période où pour l’essentiel, les grands comptes ont fini de renouveler, sur une année généralement, leurs polices d’assurances.
On pourrait ajouter que les premières souscriptions d’assurance, au titre des risques pétroliers et gaziers, pourraient atténuer dans une certaine mesure la perte de croissance attendue.
Quel plan de riposte avez-vous mis en place pour renforcer la résilience du secteur, des compagnies d’assurances et des assurés ?
Les résultats de l’enquête réalisée par la Direction Générale du Secteur Financier et de la Compétitivité ont montré que l’impact serait très négatif sur le secteur.
En concertation avec les assureurs, les mesures de résilience ci-après ont été proposées pour limiter les conséquences du COVID 19 sur l’industrie des assurances :
- le report de la phase 2 sur l’augmentation du capital social et du fonds d’établissement des sociétés d’assurances ;
- le Paiement des primes dues par l’Etat et ses démembrements pour soulager la trésorerie des compagnies d’assurances ;
- le renforcement de la subvention d’assurance pour les risques agricoles ;
Monsieur le Directeur, la Covid-19 a ouvert la polémique sur la prise en charge des pertes d’exploitation des professionnels. Quelles difficultés soulève l’interprétation des polices « Pertes d’exploitation/ PE » dans le contexte actuel ?
Je voudrais relever que les polices « Pertes d’exploitation » ne soulèvent pas d’interprétation particulière, même si le débat se pose actuellement dans le secteur de l’assurance en Europe.
Parce que dans la pratique, la garantie des « Pertes d’exploitation » est généralement adossée à une garantie principale, notamment une garantie Incendie ou Bris de Machines, ou encore une garantie Tous risques informatiques par exemple. Dans ces cas, on sait dans quel cadre la Perte d’exploitation va jouer et il n’y a pas lieu à une interprétation du contrat.
Maintenant, lorsque l’Assureur accorde une garantie Perte d’exploitation à des entreprises, sans que cette Perte d’exploitation ne soit la conséquence d’un péril dénommé, vous conviendrez également qu’il ne puisse y avoir d’interprétation sur la couverture de l’assureur, sauf dans les cas d’exclusion qui seraient prévus par la convention d’assurance.
L’exclusion du risque pandémique doit-elle être prévue dans la police ou est-elle sous-entendue ?
En matière d’exclusion, qui signifie non couverture du risque et donc un dommage laissé à la charge de l’assuré, il ne saurait y avoir de sous entendu, et la règlementation est très claire à ce niveau.
Pour que l’on parle d’exclusion, il faut qu’elle soit non seulement prévue dans le contrat d’assurance, mais il faut qu’elle soit transcrite en caractères très apparents : c’est la formulation utilisée dans le code des assurances.
Le risque pandémique peut bien faire l’objet d’une exclusion, en raison de son caractère systémique, mais il faudrait que le contrat d’assurance l’ait bien mentionné.
Monsieur le Directeur, où en est-on sur la loi sur le contenu local ?
Parlant de la loi sur le contenu local dans l’actualité sénégalaise, on pense principalement au secteur du pétrole et du gaz, secteur dans lequel les autorités sénégalaises essaient de prendre toutes les garanties afin que les opérateurs économiques du pays puissent bénéficier des retombées de l’exploitation de nos richesses énergétiques.
Mais pour en revenir au secteur des assurances, je dois préciser que le « contenu local » constitue depuis l’avènement du code CIMA une préoccupation forte du législateur communautaire qui l’a matérialisé dans les dispositions dudit code de 1992.
Cette politique du contenu local est exprimée légalement à travers des dispositions protectrices de nos sociétés locales, par une interdiction d’assurance directe à l’étranger des risques situés sur nos territoires, sauf autorisation expresse du Ministre en charge du secteur.
Et dans ce cadre, une évolution notable est survenue par rapport à cette interdiction qui jusqu’en 2016, pouvait souffrir d’une dérogation du Ministre en charge des assurances qui avait la latitude d’autoriser cette assurance directe à l’étranger.
L’évolution à laquelle je faisais allusion vient supprimer cette possibilité de dérogation, et donc le placement de contrats d’assurance auprès d’opérateurs non agréés sur notre territoire.
Cette mesure protectrice a été élargie au mécanisme de la réassurance qui, par essence, est internationale ; les mesures récentes adoptées par le législateur CIMA traduisent un souci de garantir un contenu local même si, pour ce qui est de la réassurance, le législateur pense plutôt à la zone CIMA en parlant de local.
C’est dire que du point de vue de l’assurance, le contenu local a trouvé une réelle expression règlementaire, et cela au-delà des risques liés aux hydrocarbures.
Il appartient maintenant aux opérateurs de se donner les moyens pour assumer ces mesures et apporter la sécurité nécessaire aux investisseurs, à l’ensemble des acteurs économiques.
Du coté du législateur, c’est dans ce sens que s’inscrivent également les mesures récentes de relèvement du capital social minimum des sociétés anonymes d’assurances qui doit passer de 1 à 5 milliards de FCFA à l’horizon 2021, ainsi que du fonds d’établissement des sociétés mutuelles d’assurances qui passe dans le même horizon de 0,8 milliards à 3 milliards de FCFA.
Les compagnies sénégalaises ont pu passer difficilement le passage du capital social à 3 milliards, pourront –elles passer la barrière des 5 milliards en avril prochain ? Que vise le régulateur CIMA ? Ne peut-il pas différer cette mesure compte tenu de la situation économique causée par la pandémie du Covid-19 ?
Le passage du capital social des sociétés d’assurances à 3 milliards en juin 2019 était une étape intermédiaire dans le processus de relèvement du capital social évoqué tantôt pour l’horizon 2020.
Il convient d’abord de bien comprendre l’objectif du règlement, qui participe d’une volonté de renforcement de la capacité financière des entreprises d’assurance de la zone CIMA ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la mesure de relèvement est accompagnée d’une exigence de fonds propres équivalents au moins à 80% du capital social.
Ce qui est très notable sur le marché sénégalais, c’est que globalement les sociétés, en assurance dommages comme en assurance vie, ont pu procéder à l’augmentation de capital de 3 milliards, sans que cela ne se traduise par des opérations de fusion entre sociétés.
Dans certains cas, nous avons pu assister à une ouverture du capital social vers des acteurs économiques locaux ou des partenaires extérieurs, ce qui donne une opinion sur le niveau d’attractivité du secteur des assurances pour les investisseurs.
Alors ces sociétés auront-elles une difficulté majeure à passer le cap des 3 à 5 milliards de capital social en 2021 ?
On peut penser que la crise sanitaire mondiale, qui a affecté et continue d’affecter notre secteur économique, y compris les assurances, pourrait constituer une contrainte majeure pour les investisseurs.
Au niveau du Secrétariat général de la CIMA, mais également au niveau des autorités de contrôle dans les Etats membres, l’impact de cette crise fait l’objet d’un suivi et d’une analyse, afin d’adapter certaines dispositions auxquelles sont assujettis les acteurs ; cela se traduit déjà par des reports d’échéance accordés aux compagnies d’assurances dans la transmission de certains documents règlementaires.
Au regard de la situation, la mesure de relèvement du capital social à 5 milliards en 2021 pourrait faire l’objet de report, mais cela fera l’objet de toute l’analyse appropriée au niveau du comité des experts de la CIMA, bien entendu en étant à l’écoute des acteurs dont on a l’objectif de surveiller la solvabilité et la capacité de faire face à tout moment à leurs engagements.
Le règlement des sinistres est encadré dans des délais mais hélas, on constate encore des lenteurs dans le règlement. Qu’est ce qui explique cette difficulté des compagnies à passer à la caisse pour les règlements ?
Vous avez raison de relever que le règlement des sinistres est fortement encadré par des délais légaux, et cet encadrement continue de se faire pour répondre efficacement aux attentes des assurés et bénéficiaires des contrats d’assurance.
Le constat qui en découle, c’est que le dispositif légal n’est pas en cause bien au contraire. C’est donc dans son application et dans la supervision qu’il faudrait certainement chercher les difficultés liées au règlement des sinistres.
Il faut déjà se rappeler que le législateur CIMA avait adopté en 2011 une réforme fortement saluée, qui consacrait l’interdiction de l’assurance à crédit et donc le paiement de la prime d’assurance par les assurés dès la souscription du contrat.
Cette réforme, qui a contribué à améliorer sensiblement la trésorerie des compagnies d’assurance en réduisant d’autant les arriérés de primes, devait s’accompagner d’une diligence accrue dans le paiement des sinistres.
Il appartient donc à l’autorité de contrôle de veiller à ce que les dispositions y relatives soient appliquées, et l’action de la direction des assurances, ainsi que de la brigade de contrôle de la CIMA, a été beaucoup orientée ces derniers temps sur le contrôle des sinistres dans les sociétés d’assurances.
Ce contrôle restera une sur priorité dans notre plan d’actions afin d’aboutir, pas seulement au respect des dispositions sur les délais de règlement, mais surtout à réduire le déficit d’image, de notoriété dont souffre le secteur, notamment dans la branche assurance automobile qui cristallise toutes les récriminations vis-à-vis de l’assurance.
Quelles sont les perspectives du marché des assurances au Sénégal ?
S’agissant des perspectives que vous évoquez, l’on peut penser d’abord et principalement aux assurances du pétrole et du gaz avec les découvertes prometteuses de ses dernières années dans notre pays. Ces risques pétroliers et gaziers sont caractérisés par le volume de primes d’assurances très importantes qu’ils génèrent, en relation avec l’envergure des investissements dans ce domaine.
En faisant jouer l’ensemble des mécanismes assurantiels mis à leur disposition par la règlementation, je veux penser à la coassurance locale mais aussi à la réassurance dans le cadre de la zone CIMA, nos Assureurs devraient pouvoir capter une part non négligeable de ces primes des risques pétroliers et gaziers, ce qui leur permettra de jouer davantage le rôle que l’on attend d’eux, et de mieux contribuer au financement de l’économie.
Toujours au titre des perspectives, l’actualité récente, avec la crise sanitaire et ses impacts multiples sur l’activité économique, montre qu’une stratégie d’élargissement du champ des activités assurables doit pouvoir être développée par les acteurs.
Cette stratégie pourrait être corrélée aux politiques de développement d’après COVID 19, et je veux penser principalement à l’assurance du secteur informel mais aussi du secteur agricole qui connait déjà une expérience non négligeable en la matière, avec l’initiative de la Compagnie Nationale d’Assurance Agricole du Sénégal (CNAAS).
Il y a également lieu de penser à une assurance plus inclusive en matière de santé des populations sénégalaises, notamment à travers la microassurance santé, qui pourrait accompagner la politique publique de couverture maladie universelle.
Propos recueillis par Bassirou Mbaye