- Monsieur le Directeur Général, pouvez-vous revenir brièvement sur les missions et activités de la CNAAS ?
La CNAAS est une compagnie d’assurances spécialisée dans la couverture des risques agricoles. Elle est une société anonyme dotée d’un conseil d’administration. Sa création par l’Etat du Sénégal a été surtout motivée pour faire respecter les dispositions de la loi d’orientation Agro Sylvopastorale (ASP) N° 2004-16 du 04 juin 2004.
L’Etat du Sénégal est le plus grand actionnaire et participe beaucoup au développement de la CNAAS. Il subventionne les primes à hauteur de 50% et a aussi accordé une exonération de la taxe sur les contrats d’assurance pour permettre aux plus démunis d’avoir accès à l’assurance et protéger ainsi leur patrimoine.
Les produits d’assurance commercialisés par la CNAAS sont assez diversifiés pour la raison bien simple qu’on veut toucher l’ensemble des acteurs du monde rural, à savoir les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs.
La CNAAS, je le rappelle a 4 missions principales :
- Planifier la stratégie de pérennisation du régime d’assurance agricole au Sénégal ;
- Apporter sa contribution à la modernisation de l’agriculture sénégalaise par :
- La diffusion de techniques et pratiques vertueuses ressortissant à la souscription et à l’exécution des polices d’assurance agricole ;
- La levée de certaines contraintes de financement et par conséquent la facilitation de l’accès des agriculteurs au crédit.
- Aider à rendre plus visible et assurer une meilleure transparence du système de protection contre les calamités naturelles et les risques liés aux activités Agro-Sylvo-Pastorales.
- Promouvoir le développement de l’industrie agricole au Sénégal et faire la promotion de nouveaux produits.
- Les produits d’assurances agricoles sont souvent méconnus des exploitants sénégalais. Quelles sont les réponses à apporter pour corriger ce déficit d’informations ? L’Etat vous accompagne -il dans la promotion de l’assurance agricole ?
Il faut dire que les agriculteurs du Sénégal n’ont pas de culture d’assurance surtout d’assurance agricole. Force est de reconnaitre que peu d’agriculteurs sont touchés dans les sensibilisations sur l’assurance agricole par rapport au potentiel d’agriculteurs existant.
Pour pallier ce déficit d’information sur l’assurance agricole, la CNAAS compte renforcer la vulgarisation à l’échelle régionale jusqu’à l’échelle village pour toucher le maximum de producteurs agricoles, en s’appuyant sur les structures techniques décentralisées de l’Etat et bien sûr en renforçant la communication de masse à travers les radios communautaires qui sont des médias de proximités par excellence.
L’Etat pour sa part appuie la compagnie à travers d’une part la subvention de 50% sur tous les produits d’assurances agricoles, et d’autre part par l’exonération de taxes sur les polices d’assurances mais également une prise en compte du thème de l’assurance agricole comme innovation majeure dans la définition de la politique de développement agricole du PSE II. C’est le lieu de préciser que l’assurance agricole est prise en compte dans la plupart des projets agricoles de l’Etat du Sénégal.
- Le financement de l’agriculture demeure un défi majeur au Sénégal avec un taux d’inclusion financière en milieu rural qui ne dépasse guère 15%. Comment l’assurance agricole pourrait contribuer à sécuriser les contrats de prêts et à renforcer la confiance entre les acteurs ?
L’assurance agricole est sans conteste un moyen de résilience contre les changements climatiques, de sécurisation des revenus et des investissements des agriculteurs.
Ainsi la Banque Agricole (LBA), le Crédit Mutuel du Sénégal (CMS) et d’autres institutions financières (banques et institutions de micro finance) en partenariat avec la CNAAS intègrent progressivement de façon obligatoire l’assurance agricole dans les crédits octroyés aux producteurs. Cette pratique initialement introduite au niveau des cultures céréalières permet aux producteurs de bonifier leurs dossiers de crédit par une garantie contre les risques climatiques tout en respectant les délais prescrits de règlement des primes.
Afin de garder les primes dans des limites acceptables, l’assurance se confine pour le moment à une couverture du crédit de campagne (affecté à l’achat d’intrants) et ne couvre pas le manque à gagner en termes de revenus nets.
Cette pratique de l’assurance agricole obligatoire dans l’octroi des crédits de campagne aux agriculteurs reste un moyen important qui contribue à sécuriser les contrats de prêts et à renforcer la confiance entre les acteurs (banques ou institutions de micro finance, compagnies d’assurances et agriculteurs).
- Quels sont les types et les produits d’assurances que vous pratiquez ? Plus particulièrement, à quoi consiste l’assurance agricole indicielle ? Quels sont ses avantages pour le monde rural en particulier et l’économie nationale ?
La CNAAS commercialise au total 9 produits qui concernent à la fois les équipements, les récoltes, les risques climatiques que le bétail à travers les produits suivants:
- Assurance Equipements-Infrastructures Agricoles
- Assurance Tous Risques Récoltes
- Assurance Pertes Récoltes Spécifiées
- Assurance Indicielle Déficit Pluviométrique
- Assurance des stocks agricoles
- Assurance Mortalité du Bétail Tous Risques
- Assurance Mortalité du Bétail par Accident
- Assurance Multirisques Professionnels de Viande
- Assurance Mortalité de Volailles
L’assurance indicielle est une assurance agricole basée non pas sur la survenance d’un sinistre, mais sur la réalisation d’un événement mesurable simplement et sans ambiguïté (« l’indice ») et réputé être la cause du sinistre. Selon les cas (culture, péril, sinistres…) l’indice est la mesure correspondant à :
- un facteur climatique simple (pluviométrie par exemple),
- une combinaison de divers facteurs climatiques (exemple d’une moyenne pondérée de la température et de la pluviométrie sur le long terme définissant des seuils au-delà desquels survient l’indemnisation).
Quelle que soit la complexité de l’indice, c’est sa réalisation qui déclenche une indemnisation et en détermine le montant et non pas la perte réelle d’une récolte, d’une parcelle ou d’un troupeau.
Créée dans les années 1990, l’assurance paramétrique a connu une généralisation dans la décennie 2000. Dans de nombreux pays elle est toujours en phase de test et bien souvent largement aidée par des agences de développement internationales dans des pays comme le Kenya, l’Ethiopie, le Malawi, etc, où elle a représenté une alternative à la commercialisation de produits d’assurance traditionnelle.
Le développement de l’assurance paramétrique s’explique par ses vertus :
- Moindre consommation de données : passée la phase de calibrage, un avantage de l’assurance paramétrique est de ne plus avoir besoin de données liées aux sinistres pour le déclenchement de l’assurance et la gestion des indemnités. Tout repose alors sur une formule objective et définie d’avance, qui indique précisément les montants versés aux assurés en fonction du niveau d’un indice mesuré sans ambiguïté.
- Réduction des coûts d’expertise : lorsqu’elle n’est pas qu’une forme de déclencheur mais aussi la base de l’indemnisation, l’assurance paramétrique permet de réduire considérablement les coûts d’expertise puisqu’il n’est plus nécessaire d’évaluer sur le terrain la valeur réelle du sinistre.
- Suppression de l’aléa moral et de l’anti-sélection : dans l’assurance paramétrique, l’agriculteur est indemnisé en fonction du paramètre, qu’il ait ou non subi un sinistre. Il n’a donc non seulement aucun intérêt à augmenter son sinistre pour maximiser l’indemnisation, mais s’il gère correctement sa récolte, il peut même espérer percevoir l’indemnité tout en tirant bénéfice de sa récolte. De ce fait, cette forme d’assurance intéresse et attire aussi bien les « bons risques » que les « mauvais » risques.
- Réduction des coûts de réassurance : dans la mesure où le déclenchement de l’indemnisation repose sur un paramètre objectif et écarte l’intervention humaine, l’assurance paramétrique est considérée comme plus sûre, plus objective et de ce fait moins soumise au risque de dérive. Sa tarification par les réassureurs est donc toujours très avantageuse par rapport à une assurance traditionnelle.
Cette forme d’assurance présente bien entendu beaucoup d’avantage dans nos pays.
D’abord pour les agriculteurs, c’est un moyen pour s’assurer un revenu stable, de sécuriser les revenus et les investissements. Quant aux banques et institutions de micro finance, l’avantage majeur reste la sécurisation du portefeuille des crédits de campagnes agricoles.
Pour l’économie nationale l’assurance agricole :
- permet aux entreprises ou aux individus de se consacrer à leur activité principale sans le souci de ce qui peut se passer en cas de réalisation du risque (d’où l’effet de levier de l’assurance pour inciter la demande par rapport à tout fonds de crédit). De ce point de vue, favorise l’entreprenariat
- l’entreprise ou l’individu assuré n’est pas obligé de constituer une réserve trop importante des capitaux pour faire face aux coups durs. Elle/il pourra donc distribuer beaucoup plus de dividendes aux actionnaires et opérer des investissements importants (à l’opposé d’un fonds de garantie). Par conséquent, elle permet une meilleure utilisation des capitaux
- elle apporte aux créanciers la certitude qu’ils seront remboursés même si un risque se réalise chez l’emprunteur (d’où l’intérêt de coupler tout fonds de crédit à l’assurance). C’est donc un moyen de crédit
- C’est enfin un investissement, car la prime versée par l’assuré ne va pas entièrement à l’assureur. Une partie est reversée à l’Etat. La partie qui reste dans les mains de l’assureur permet de supporter les frais de gestion, de payer des sinistres et de distribuer des bénéfices aux actionnaires. Seule une partie des sinistres est payée immédiatement. Le reste des sommes devant servir à liquider totalement les sinistres est placé entretemps sous forme d’épargne à long terme. Ce placement se fait sous forme d’immeuble, d’actions, d’obligations, de bons de trésor, etc… L’assureur remplit ainsi son rôle d’investisseur institutionnel (à l’opposé d’occasionnel).
- La téléphonie mobile et la digitalisation en général demeurent des outils innovants permettant de rendre l’information sur l’assurance agricole encore plus accessible. Quelles sont les stratégies déployées par la CNAAS dans ce sens pour inclure en masse vos cibles ?
Vous avez raison, c’est un enjeu. La CNAAS est d’ailleurs en parfaite collaboration avec une structure de la place dénommée « JOKALANTE » pour la création d’une plateforme qui lie directement les producteurs et la CNAAS. JOKALANTE est une entreprise sociale spécialisée dans les TIC pour le changement de comportement.
- Au Sénégal, il y’a la Banque agricole qui est spécialisée dans le financement de l’agriculture, quelle est la nature de vos relations ?
La Banque Agricole (LBA) est un actionnaire majeur dans le capital de la Compagnie Nationale d’Assurance Agricole du Sénégal. Elle détient 12,57% de notre capital actuel de 3 155 490 000 F CFA. La Banque Agricole nous a encore saisis pour nous signifier son intention d’exercer ses droits préférentiels dans notre opération d’augmentation de capital pour atteindre 5 milliards de F CFA.
En tout état de cause, LBA joue un rôle capital dans les stratégies de la CNAAS pour la distribution de l’assurance en lien avec le crédit. A cet effet, il existe une convention relative à l’exécution d’un programme d’assurance perte de récoltes classique et Indicielle pour la couverture du portefeuille de crédits de LBA par la CNAAS.
En plus de La Banque Agricole, la CNAAS travaille avec le CMS, l’ACEP, U-IMCEC, PAMECAS et la BNDE. Pour toutes ces institutions financières la CNAAS sécurise au moins une partie de leur portefeuille de crédit campagne.
- En définitive, comment se porte l’assurance agricole au Sénégal et quelles sont ses perspectives ?
La création de la CNAAS fait du Sénégal un pionnier en matière de couverture des risques agricoles dans la zone CIMA (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances qui regroupe au moins 15 états africains).
La CNAAS est représentée un peu partout sur le territoire du Sénégal par le biais d’agences dont leur implantation respecte les zones agroécologiques.
Les performances de la CNAAS peuvent se résumer comme suit :
- Situation de 2009 à 2016 marquée par une progression constante du chiffre d’affaires mais corrélées à des pertes dues aux lourdes charges de gestion et aux frais d’expansion ;
- Situation en 2017 : une année charnière avec une nette amélioration du chiffre d’affaires qui atteint le milliard et une optimisation des charges de gestion ;
- Le chiffre d’affaires de l’exercice 2020 s’élève à 1 987 146 105 F CFA pour un résultat net de 218 696 291 F CFA et 374 000 producteurs assurés.
En perspectives, la stratégie de passage à l’échelle de l’assurance agricole sera essentiellement basée sur la mise en œuvre de programme associant l’assurance agricole à la couverture de prêts aux producteurs. Elle mettra en exergue l’importance des banques comme vecteur de promotion de l’assurance avec un niveau de structuration institutionnelle qui est un gage de stabilité. Les primes émises seront indépendantes de programmes à vocation ponctuelle et seront plutôt associées à des structures pérennes comme les institutions financières (CNCAS, CMS, PAMECAS, ACEP, etc), garantissant ainsi plus de croissance stable sur le long terme.
La réussite de ce passage à l’échelle passera forcément par :
- l’amélioration de la gouvernance d’entreprise à travers le renforcement des capacités du personnel et des outils de travail ;
- la communication autour des activités et la sensibilisation autour des produits ;
- l’amélioration des services aux clients et la prospection de nouveaux clients et partenaires ;
- le partenariat et la recherche pour plus de solutions d’assurance et plus d’impact, notamment avec les opérateurs de mobile banking , avec les réseaux de producteurs qui seront impliqués dans les processus d’assurance) ;
- Au demeurant, le recours aux méthodes satellitaires peut contribuer à l’expansion de l’assurance indicielle, avec la complémentarité des pluviomètres et les données satellitaires permettant le développement d’indices solides aptes à favoriser l’adhésion des producteurs, des banques et des IMF du fait de la réduction des coûts et à la couverture du territoire national que cela induit.
- le passage à l’assurance digitale aussi sera incontournable.
Lejecos Magazine