- Monsieur le Directeur, le secteur de la microfinance vient de sortir de deux années marquées par la crise sanitaire. Comment se comportent actuellement les indicateurs du secteur ? Quel a été le plan de résilience et de relance mis en place pour l’accompagner ?
Il s’agit, par exemple, au niveau des Systèmes financiers décentralisés (Sfd), de la baisse des adhésions, une forte poussée en termes de retrait de l’épargne, notamment après l’allégement des mesures de confinement, une baisse de l’activité de crédit en termes de nombre et production (20% en moins), une baisse des remboursements, etc.
Du côté des clients et membres, il a été relevé une forte baisse des activités économiques, voire un arrêt total surtout en ce qui concerne le secteur des transports et du tourisme qui ont été fortement impactés.
Mais avec les mesures prises par l’État, le secteur a pu résister au choc et a continué à progresser.
Parmi les mesures très salutaires prises par le Président de la République à travers le Programme de résilience économique et sociale, on peut notamment citer : l’appui au secteur informel par le canal des institutions de microfinance avec un fonds de cinq (5) milliards FCFA logé au Fongip sous forme de ligne de refinancement, la mise en place du Programme d’appui sectoriel micro finance et économie sociale et solidaire (Pasmfess) qui a bénéficié d’une enveloppe d’un (1) milliard de FCFA du Fonds Force Covid-19 répartie en deux volets (refinancement des Sfd et subvention aux acteurs de l’Ess).
Le Pasmfess a permis d’obtenir des résultats pour le moins satisfaisants avec un refinancement de 20 Sfd de petite taille à hauteur de 485 millions de FCFA touchant 1883 personnes à faibles revenus, ce qui a permis de consolider 2422 emplois de femmes et de jeunes exerçant dans le secteur informel, sans compter la subvention aux acteurs de l’économie sociale et solidaire. Au total 1343 Groupements de promotion féminine regroupant 279.605 femmes ; on voit bien l’impact.
C’est dire que la microfinance a été une des solutions pour faire face aux difficultés économiques provoquées par la Pandémie, en particulier au niveau des populations vulnérables.
Maintenant en termes de données chiffrées, au 1er trimestre 2022, les indicateurs clés du secteur se sont, globalement, bien comportés.
Le nombre de membres/clients s’affiche à 3 684 678, portant le taux de pénétration à 17,7%. Le volume de dépôts s’élève à 438 milliards FCFA représentant 2,7% du Pib. La production de crédits s’est établie à 135 milliards FCFA. L’encours de crédit s’élève à 516 milliards FCFA, équivalent à 9,9% des crédits à l’économie et 3,1% du Pib. Le taux de crédits en souffrance s’est établi quant à lui à 8,9%. Le montant des financements reçus par les Sfd a atteint 111 milliards FCFA. Les fonds propres sont évalués à 173 milliards FCFA.
- La problématique du taux d’intérêt débiteur jugé exorbitant dans le secteur de la microfinance est souvent agitée par les associations consuméristes et singulièrement les sociétaires qui dénoncent leur caractère usuraire pour une cible constituée de clients vulnérables. Comment faire pour un allègement des taux et faciliter ainsi l’accès au financement de l’économie locale et nationale ?
C’est dans ce cadre qu’une rencontre de concertation a été tenue, il y a à peu près deux ans et avait regroupé l’ensemble des acteurs du secteur pour débattre sur la question (les structures de promotion et de supervision, les Sfd mais également les usagers et partenaires techniques et financiers).
Au sortir de cette concertation, plusieurs pistes de solutions ont été proposées, et c’est le lieu de remercier Madame le Ministre de la Microfinance, de l’Economie sociale et solidaire Zahra Iyane Thiam qui a travaillé d’arrache-pied pour la création, par le Président la République, du Fonds national de la microfinance (Fonamif) qui était l’une des recommandations phares.
A travers les mécanismes du Fonamif (ligne de crédit à des conditions souples, fonds de bonification, fonds de garantie), le coût des services, notamment, les taux d’intérêt débiteurs devraient connaitre un allégement.
J’ajouterai que cette question sera également abordée lors des Assises de la microfinance que Madame le Ministre prévoit d’organiser très prochainement.
- La Direction de la microfinance(Dmf) assure la coordination de la Politique générale du Gouvernement en matière de microfinance, le suivi des activités des intervenants du secteur et l’évaluation des performances des projets/programmes. Qu’est-ce qu’est devenue votre lettre de Politique sectorielle dédiée au secteur de la microfinance ? Peut-on avoir un bilan à mi-parcours sur les résultats obtenus ?
Ce document, qui couvre la période 2021-2025 définit la vision, les objectifs et les stratégies de l’État en matière de développement de ce sous-secteur. En fait, il faut rappeler que plusieurs lettres de politiques sectorielles de développement de la microfinance se sont succédées depuis 2004.
La mise en œuvre de ces politiques, par l’État, avec l’accompagnement des partenaires techniques et financiers a permis d’avoir un secteur de la microfinance structurée, mieux professionnalisé et moderne, mais également de se positionner comme un maillon important du secteur financier.
Donc pour revenir à la question, on peut dire que le secteur de la microfinance continue de progresser. Il poursuit ses performances dans le financement de l’économie nationale, notamment, le secteur non formel. Il s’y ajoute la promotion de produits et services financiers innovants, par exemple, la microfinance islamique, les services financiers digitaux avec la transformation digitale. En outre, on note l’amélioration du taux de pénétration des Sfd, la croissance de l’épargne mobilisée et de l’encours de crédit comme le montrent les chiffres précédemment cités.
- Quel rôle entend jouer le secteur de microfinance dans la Stratégie nationale d’inclusion financière (Snif) 2022-2026 ?
La Snif cible en priorité les populations rurales, les femmes et les jeunes ainsi que les micros, petites et moyennes entreprises.
Dans la mise en œuvre de cette stratégie, la Dmf, sous l’impulsion de Madame le Ministre, sera au cœur des actions à entreprendre pour atteindre les objectifs.
- L’éducation financière constitue le parent pauvre des clients et sociétaires des Sfd dans un monde marqué par une avancée technologique et un manque de transparence sur les produits et services avec comme corollaire un risque de surendettement des ménages. Comment la Dmf compte apporter des réponses durables à cette forte préoccupation des clients ?
La Direction de la microfinance a inscrit l’éducation financière et la protection des consommateurs comme axe phare de son plan d’action, en rapport avec certains acteurs comme l’Association professionnelle des Sfd (AP/Sfd), l’Observatoire de la qualité des services financiers (Oqsf).
C’est ainsi que la première phase du Programme national d’éducation financière fut exécutée par la Direction de la microfinance avec l’appui de la Coopération technique allemande (Giz) dans le cadre du Programme sénégalo-allemand d’appui à la compétitivité et de croissance des Pme et à la Performance du secteur de la microfinance (Pacc-Pme/Pmf).
Ce programme a permis de faire d’importants progrès en matière de sensibilisation et de formation des populations en éducation financière et de promouvoir l’inclusion financière.
Cependant, les efforts devraient être poursuivis en vue d’élargir les actions en direction des usagers du secteur de la microfinance. Par ailleurs, ces actions devront être sous tendues par une adaptation au contexte actuel caractérisé par l’avènement de la digitalisation des services financiers. De ce point de vue, il est important dans le contexte actuel, de procéder à une évaluation de l’existant et de se projeter sur les défis en termes d’outils et de méthodologies de formation et de sensibilisation en éducation financière.
Je signale que seule la Dmf dispose d’une certification reconnue en formation de formateur en éducation financière.
C’est toute la pertinence de la phase 2 du programme nationale d’éducation financière, qui est déjà élaboré et validé par le Ministère de l’économie du plan et de la coopération. Ce programme, dont l’étude de faisabilité a été réalisée avec succès devrait permettre de renforcer l’éducation financière des populations en particulier les usagers de la microfinance.
Par ailleurs, la Dmf accompagne certains programmes de l’État, en exécutant leur volet « éducation financière ». C’est le cas du Padaer II qui couvrent les régions de Tambacounda, Kédougou, Matam et Kolda.
- Vous envisagez d’organiser les Assises de la Microfinance. Pouvez-vous nous décliner les objectifs et résultats attendus de ces Assises ?
En réalité, le secteur de la microfinance est confronté à de nombreuses contraintes structurelles que nous connaissons tous. Et la levée de ces contraintes devrait nous permettre de faire face à de nombreux enjeux et défis qui interpellent notre secteur. Au titre de ces enjeux et défis, je peux relever la diversification de l’offre par des produits et services innovants tels que la microfinance islamique, la finance verte, la micro assurance, d’une part, et d’autre part, l’accompagnement du processus de maturation des Sfd pour mieux répondre aux besoins des femmes et des jeunes. Il y a aussi l’éducation financière du public ; le redressement des Sfd en difficulté ; et enfin, le positionnement sur les opportunités offertes par un contexte d’exploitation du gaz et du pétrole, notamment, avec la loi sur le contenu local. Tout cela constitue également autant d’enjeux pour le secteur de la microfinance.
De même, l’aménagement d’un cadre légal et juridique du secteur pour mieux l’adapter aux spécificités du secteur et aux réalités socio-économiques reste un enjeu important pour faciliter l’intervention des acteurs dans un cadre d’exercice propice, flexible et sécurisé.
Enfin, le renforcement de place de la microfinance dans la mise en œuvre des politiques publiques constitue aussi un enjeu de taille. En effet, dans le PAP 2A, le rôle de la microfinance apparait passif puisque confiné à une tâche de courroie de transmission de ressources destinées à financer les jeunes et les femmes. A cet égard, la microfinance pourrait jouer davantage un rôle catalyseur et d’encadrement dans la mise en œuvre de certains programmes sociaux du Gouvernement, tels que le programme des bourses familiales, la couverture maladie universelle, le programme de logements sociaux, etc.
Au regard de tous ces enjeux et défis, et en s’appuyant sur une dynamique de bonne prise en charge des préoccupations du secteur, il convient d’instaurer un dialogue stratégique et constructif entre les acteurs, articulé autour de ces problématiques, en vue notamment de s’engager dans une perspective durable, garant de la stabilité du secteur mais surtout de valoriser l’énorme potentiel du secteur de la microfinance.
C’est dans ce cadre que le Ministère, en collaboration avec les principales parties prenantes, compte organiser, pour la première fois, les Assises de la Microfinance.
A ces assises qui devraient mobiliser tous les acteurs du secteur, des propositions pertinentes aptes à lever les contraintes structurelles et à susciter une nouvelle dynamique seront formulées, en vue de renforcer l’inclusion sociale et financière des populations. Pour ce faire, il conviendrait de cerner les fondements et les contours d’un écosystème viable, compétitif pour le secteur de la microfinance.
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