Près de 75 % des petits pays existant à l’heure actuelle ont vu le jour au cours des 70 dernières années, principalement à l’issue d’importantes transitions démocratiques observées en parallèle de la mondialisation et de la croissance des échanges commerciaux. Or, les réussites et échecs de ces États revêtent bien davantage d’importance que les discussions menées par exemple autour des simples implications budgétaires de l’indépendance écossaise.
Les enseignements qu’il convient de tirer de ces évolutions revêtent une utilité non seulement pour les nouveaux petits États, mais également pour de potentiels nouveaux petits pays. Les jeunes États de taille relativement réduite que l’on retrouve aujourd’hui en Afrique, dans les Caraïbes, et au Moyen-Orient ont eux-mêmes tout intérêt à s’intéresser aux raisons de la réussite de Singapour, aux causes et effets de la bulle immobilière irlandaise, ainsi qu’à la décision du Danemark consistant à renforcer sa capacité de lutte contre le terrorisme en dépit d’une situation relativement sûre au sein de ses frontières. Toutes ces considérations sont en effet susceptibles d’aider ces États à poser les bases de la prospérité économique et de la cohésion sociale.
Bien entendu, dans ce qu’ils peuvent apprendre les uns des autres, il est important que ces États ne s’abandonnent pas à une « folie de l’imitation. » Les pays scandinaves ont par exemple significativement bénéficié de caractéristiques sociétales, juridiques et politiques profondément ancrées, qu’il n’est pour autant pas facile d’appliquer à d’autres pays émergents comparables.
Il est par ailleurs nécessaire que les jeunes petits États comprennent que la construction des institutions et économies auxquelles ils aspirent prendra un certain temps. L’âge de la population constitue à cet égard l’un des plus importants facteurs de la performance des petits pays, le PIB par habitant des petits États apparus avant 1945 se révélant quatre fois supérieur à celui de leurs homologues plus récents.
Nombre de petits pays plus accomplis se positionnent également en haut de tableau s’agissant d’autres indicateurs. Ces États représentent par exemple près de la moitié du top 20 de l’indice de développement humain des Nations Unies.
En général, les petits pays les plus anciens ont tendance à surpasser les États de taille moyenne et de grande envergure en termes de performance économique et sociale, d’ouverture sur le commerce international, ainsi que d’enthousiasme vis-à-vis de la mondialisation – autant de caractéristiques qu’il est important que ces jeunes États promeuvent. La croissance économique des petits pays s’avère en revanche bien souvent plus volatile – une tendance que les jeunes États devront apprendre à contrôler s’ils entendent prospérer à long terme.
La question des « petits » ou « grands » gouvernements revêt en revanche une moindre pertinence, malgré l’impression émanant de débats houleux au sein de grands pays tels que les États-Unis. Les dépenses gouvernementales globales n’entretiennent en effet qu’une faible corrélation avec la taille des gouvernements. Un indicateur plus approprié résiderait dans l’état des salaires du secteur public – le seul domaine dans lequel les plus grands pays semblent bénéficier d’économies d’échelle. Les petits États ont tendance à dépenser davantage, en pourcentage du PIB, sur le front de l’enseignement et de la santé – une autre qualité que les nouveaux petits pays ont tout intérêt à conserver.
Il existe en effet une solide corrélation positive entre le rythme de la croissance économique et un certain nombre d’ « infrastructures intangibles » – à savoir cette combinaison de l’enseignement, de la santé, des technologies, et de l’État de droit, qui appuie précisément le développement du capital humain, et permet aux entreprises de croître efficacement. Les petits États représentent en effet sept des dix premiers pays en matière d’infrastructures intangibles.
Ajoutez à ces indicateurs la qualité des institutions, la capacité à prospérer au sein d’un monde globalisé, la stabilité de la production économique, et le degré de développement humain, et vous êtes en mesure de constituer un indice de la solidité des États, en vertu duquel 13 des 20 pays les mieux notés sont de petite taille, avec en premières positions la Suisse, Singapour, le Danemark, l’Irlande, et la Norvège. Les États de plus grande taille sont quant à eux menés par l’Australie, les Pays-Bas, et le Royaume-Uni. La Finlande, l’Autriche, la Suède et la Nouvelle-Zélande comptent quant à elles parmi les autres petits pays les plus « résilients. »
Il semble à l’évidence y avoir ici une certaine partialité en faveur du Vieux Continent. La démarche consistant pour de petits États émergents tels que la Croatie, le Sultanat d’Oman, le Koweït et l'Uruguay à envisager d’imiter des pays tels que la Suisse et la Norvège pourrait en effet être considérée comme impraticable.
Il n’en demeure pas moins possible de tirer un certain nombre d’enseignements utiles de leurs expériences. Il conviendrait précisément pour les pays en voie de développement de se concentrer sur la construction d’institutions – de type banques centrales et ministères des Finances – destinées explicitement à minimiser cette volatilité macroéconomique qu’implique la mondialisation. Il leur incombe également de faire progresser l’État de droit, de développer de solides et efficaces systèmes d’enseignement public et de santé, ainsi que d’encourager l’industrie nationale à privilégier le rendement, plus que le coût du capital, en tant qu’indicateur phare.
Au-delà de la simple imitation, les petits États auraient tout intérêt à s’entraider au travers d’alliances directes. Il est en effet surprenant de constater la rareté de telles alliances, nombre de petits pays – et particulièrement ceux en voie de développement – ayant tendance à cultiver d’étroites relations auprès d’États « grand frère, » ou à s’immerger au sein de structures fédérales régionales. Le risque existe alors de voir leur voix étouffée par celle de plus grandes entités, susceptibles d’entraver leur capacité à promouvoir l’intérêt de leurs propres citoyens.
Au sein d’un environnement économique et géopolitique en mutation rapide – confronté à des défis tels que hausses des taux d’intérêt suscitées par de hauts niveaux d’endettement, réductions compétitives de l’imposition des sociétés, transformation des modèles d’immigration, et probable ralentissement du rythme de la mondialisation – les petits États doivent être capables d’identifier et d’évaluer les risques, afin d’ajuster leurs stratégies en conséquence. En effet, à défaut même d’une pleine indépendance, c’est là précisément ce qu’il incombe à l’Écosse d’accomplir – elle à qui l’on a promis une plus grande autonomie au sein du Royaume-Uni que celle dont elle dispose d’ores et déjà – si cette Écosse entend prospérer.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Michael O’Sullivan, membre de l’Institut de recherche de Crédit Suisse, est l’auteur de l’ouvrage intitulé Ireland and the Global Question, ainsi que co-rédacteur de l’ouvrage What Did We Do Right. Stefano Natella est membre de l’Institut de recherche de Crédit Suisse.
Les enseignements qu’il convient de tirer de ces évolutions revêtent une utilité non seulement pour les nouveaux petits États, mais également pour de potentiels nouveaux petits pays. Les jeunes États de taille relativement réduite que l’on retrouve aujourd’hui en Afrique, dans les Caraïbes, et au Moyen-Orient ont eux-mêmes tout intérêt à s’intéresser aux raisons de la réussite de Singapour, aux causes et effets de la bulle immobilière irlandaise, ainsi qu’à la décision du Danemark consistant à renforcer sa capacité de lutte contre le terrorisme en dépit d’une situation relativement sûre au sein de ses frontières. Toutes ces considérations sont en effet susceptibles d’aider ces États à poser les bases de la prospérité économique et de la cohésion sociale.
Bien entendu, dans ce qu’ils peuvent apprendre les uns des autres, il est important que ces États ne s’abandonnent pas à une « folie de l’imitation. » Les pays scandinaves ont par exemple significativement bénéficié de caractéristiques sociétales, juridiques et politiques profondément ancrées, qu’il n’est pour autant pas facile d’appliquer à d’autres pays émergents comparables.
Il est par ailleurs nécessaire que les jeunes petits États comprennent que la construction des institutions et économies auxquelles ils aspirent prendra un certain temps. L’âge de la population constitue à cet égard l’un des plus importants facteurs de la performance des petits pays, le PIB par habitant des petits États apparus avant 1945 se révélant quatre fois supérieur à celui de leurs homologues plus récents.
Nombre de petits pays plus accomplis se positionnent également en haut de tableau s’agissant d’autres indicateurs. Ces États représentent par exemple près de la moitié du top 20 de l’indice de développement humain des Nations Unies.
En général, les petits pays les plus anciens ont tendance à surpasser les États de taille moyenne et de grande envergure en termes de performance économique et sociale, d’ouverture sur le commerce international, ainsi que d’enthousiasme vis-à-vis de la mondialisation – autant de caractéristiques qu’il est important que ces jeunes États promeuvent. La croissance économique des petits pays s’avère en revanche bien souvent plus volatile – une tendance que les jeunes États devront apprendre à contrôler s’ils entendent prospérer à long terme.
La question des « petits » ou « grands » gouvernements revêt en revanche une moindre pertinence, malgré l’impression émanant de débats houleux au sein de grands pays tels que les États-Unis. Les dépenses gouvernementales globales n’entretiennent en effet qu’une faible corrélation avec la taille des gouvernements. Un indicateur plus approprié résiderait dans l’état des salaires du secteur public – le seul domaine dans lequel les plus grands pays semblent bénéficier d’économies d’échelle. Les petits États ont tendance à dépenser davantage, en pourcentage du PIB, sur le front de l’enseignement et de la santé – une autre qualité que les nouveaux petits pays ont tout intérêt à conserver.
Il existe en effet une solide corrélation positive entre le rythme de la croissance économique et un certain nombre d’ « infrastructures intangibles » – à savoir cette combinaison de l’enseignement, de la santé, des technologies, et de l’État de droit, qui appuie précisément le développement du capital humain, et permet aux entreprises de croître efficacement. Les petits États représentent en effet sept des dix premiers pays en matière d’infrastructures intangibles.
Ajoutez à ces indicateurs la qualité des institutions, la capacité à prospérer au sein d’un monde globalisé, la stabilité de la production économique, et le degré de développement humain, et vous êtes en mesure de constituer un indice de la solidité des États, en vertu duquel 13 des 20 pays les mieux notés sont de petite taille, avec en premières positions la Suisse, Singapour, le Danemark, l’Irlande, et la Norvège. Les États de plus grande taille sont quant à eux menés par l’Australie, les Pays-Bas, et le Royaume-Uni. La Finlande, l’Autriche, la Suède et la Nouvelle-Zélande comptent quant à elles parmi les autres petits pays les plus « résilients. »
Il semble à l’évidence y avoir ici une certaine partialité en faveur du Vieux Continent. La démarche consistant pour de petits États émergents tels que la Croatie, le Sultanat d’Oman, le Koweït et l'Uruguay à envisager d’imiter des pays tels que la Suisse et la Norvège pourrait en effet être considérée comme impraticable.
Il n’en demeure pas moins possible de tirer un certain nombre d’enseignements utiles de leurs expériences. Il conviendrait précisément pour les pays en voie de développement de se concentrer sur la construction d’institutions – de type banques centrales et ministères des Finances – destinées explicitement à minimiser cette volatilité macroéconomique qu’implique la mondialisation. Il leur incombe également de faire progresser l’État de droit, de développer de solides et efficaces systèmes d’enseignement public et de santé, ainsi que d’encourager l’industrie nationale à privilégier le rendement, plus que le coût du capital, en tant qu’indicateur phare.
Au-delà de la simple imitation, les petits États auraient tout intérêt à s’entraider au travers d’alliances directes. Il est en effet surprenant de constater la rareté de telles alliances, nombre de petits pays – et particulièrement ceux en voie de développement – ayant tendance à cultiver d’étroites relations auprès d’États « grand frère, » ou à s’immerger au sein de structures fédérales régionales. Le risque existe alors de voir leur voix étouffée par celle de plus grandes entités, susceptibles d’entraver leur capacité à promouvoir l’intérêt de leurs propres citoyens.
Au sein d’un environnement économique et géopolitique en mutation rapide – confronté à des défis tels que hausses des taux d’intérêt suscitées par de hauts niveaux d’endettement, réductions compétitives de l’imposition des sociétés, transformation des modèles d’immigration, et probable ralentissement du rythme de la mondialisation – les petits États doivent être capables d’identifier et d’évaluer les risques, afin d’ajuster leurs stratégies en conséquence. En effet, à défaut même d’une pleine indépendance, c’est là précisément ce qu’il incombe à l’Écosse d’accomplir – elle à qui l’on a promis une plus grande autonomie au sein du Royaume-Uni que celle dont elle dispose d’ores et déjà – si cette Écosse entend prospérer.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Michael O’Sullivan, membre de l’Institut de recherche de Crédit Suisse, est l’auteur de l’ouvrage intitulé Ireland and the Global Question, ainsi que co-rédacteur de l’ouvrage What Did We Do Right. Stefano Natella est membre de l’Institut de recherche de Crédit Suisse.