Le programme même de la COP27 met en évidence la nécessité d'intensifier la coopération multilatérale et l'urgence pour la communauté internationale d'honorer sa promesse de combler le manque de financement des pays du Sud. Sinon, il sera difficile de parvenir à l'objectif principal de l'accord de Paris sur le climat : limiter la hausse des températures à moins de 2°C par rapport à leurs niveaux préindustriels. Et limiter cette hausse à 1,5°C sera pratiquement irréalisable.
Transformer les engagements de financement en investissement est vital si l'on veut renforcer la résilience climatique de l'Afrique. Ce continent est confronté à 4 menaces : le réchauffement climatique, les maladies, l'insécurité alimentaire et l'instabilité politique. Aussi le manque de financement constitue-t-il un obstacle à un investissement à grande échelle dans son développement. Si l'on n'y remédie pas, pour atteindre les Objectifs de développement durable de l'ONU, le continent sera contraint de passer par les technologies à haute intensité de carbone. Cela constituera un obstacle aux efforts entrepris pour éviter une catastrophe climatique ; les conséquences s'en feront alors sentir bien au-delà du continent africain.
Le déficit mondial de financement de la lutte contre le changement climatique représente la différence entre le coût total des Contributions combinées déterminées au niveau national dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat et le financement que les Etats peuvent fournir à partir de leurs ressources propres pour soutenir la transition vers le Zéro émission nette jusqu'en 2030. Selon les estimations récentes de la Climate Policy Initiative, ce déficit s'élève à d'environ 2 500 milliards de dollars. Par ailleurs, le financement des programmes d'adaptation au climat est inférieur à celui consacré aux mesures d'atténuation - malgré la nécessité d'équilibrer les deux, comme l'indique l'accord de Paris.
Mais le déficit budgétaire de l'Afrique traduit également ses problèmes économiques structurels. En particulier, sa pauvreté énergétique nuit depuis fort longtemps à sa diversification économique et la fragilise face aux crises mondiales. Le déficit du financement de sa politique climatique s'élève à 10 % de son PIB total (2 400 milliards de dollars), plus du double de ses dépenses annuelles destinées à la santé et aux programmes sociaux. Ce déficit chronique limite la capacité des Etats à accroître les investissements publics et à attirer les capitaux privés.
En 2018, le FMI a souligné la myriade de défis auxquels sont confrontés les pays d'Afrique subsaharienne pour combler leur déficit de financement. Il leur faut notamment élargir l'assiette fiscale afin d'augmenter leurs recettes. L'Afrique a accompli des progrès significatifs au cours des deux dernières décennies, néanmoins ses résultats restent très insuffisants. Son ratio médian Recettes/PIB est de 20 %, contre 28 % pour l'Asie de l'Est et 42,3 % pour l'Europe.
Le déficit de financement est amplifié par l'incidence de la dette souveraine qui reflète des "primes de perception" pernicieuses - le risque exagéré que les agences de notation attribuent aux pays africains, sans tenir compte de leurs progrès macroéconomiques ou de leur perspective de croissance. La différence de taux entre obligations souveraines africaines et bons du Trésor américain étant désormais à deux chiffres, le service de la dette est devenu la principale dépense des Etats africains. Plus de 45 % des recettes publiques de l'Egypte vont probablement être consacrés au paiement des intérêts au cours de l'année fiscale en cours, et ce service va engloutir plus de la moitié des recettes publiques du Ghana et du Sri Lanka.
Un taux d'intérêt élevé décourage les investissements en créant des attentes de rendement irréalistes, mais il affecte également directement les dépenses publiques. Un déficit de financement assombrit les perspectives de développement, car les besoins urgents à court terme évincent les investissements à long terme les plus importants - nécessaires pour transformer l'économie et améliorer l'avenir des prochaines générations. Ainsi, le respect des engagements en matière de dette extérieure l'emporte toujours sur le financement d'infrastructures résistantes au réchauffement climatique.
Pourtant, dans un monde inondé de liquidités, il ne devrait pas y avoir à choisir entre sauver la planète et préserver l'accès aux marchés de capitaux. Le montant de actifs financiers mondiaux, 210 000 milliards de dollars, représente environ le double du PIB mondial. Un cadre inclusif qui encourage la coopération multilatérale entre les principales parties prenantes (Etats, donateurs, banques de développement et entreprises privées) et favorise les mécanismes de financement innovants pourrait attirer le financement privé en réduisant le risque lié aux investissements. Un tel cadre doit également améliorer la répartition mondiale du financement vert, trop fortement orientée vers les pays développés. Au premier semestre 2021, par exemple, les pays à revenu élevé ont émis 76 % de la totalité des obligations vertes.
Les responsables politiques et les banques multilatérales de développement peuvent contribuer à diminuer le risque lié aux investissements dans les infrastructures vertes. Cela peut se faire en encourageant l'utilisation d'instruments de financement innovants tels que les garanties, les assurances, les financements mixtes et les obligations à crédit renforcé. Attirer davantage de banques et d'investisseurs institutionnels augmenterait la part de l'Afrique qui n'est que de 5,5 % dans le financement mondial de la politique climatique.
Cette part pourrait augmenter si l'on réduit le risque de pertes et si l'assure les investisseurs contre les risques spécifiques auxquels ils s'exposent. De même, l'offre d'une protection du crédit et l'allongement de l'échéance des prêts permettraient de mobiliser davantage de capitaux privés en faveur des projets d'infrastructure verte à long terme.
Les donateurs et les prêteurs multilatéraux ont un rôle essentiel à jouer pour atténuer une perception exagérée des risques et inciter les investisseurs à financer des projets verts dans les pays en développement. Grâce aux fonds accordés sous conditions préférentielles pour les financements mixtes et les subventions, ils pourraient créer des positions de première perte pour améliorer la notation des portefeuilles et diminuer les risques. De nouveaux investisseurs entrant sur le marché de la dette climatique, les institutions multilatérales pourraient faciliter le crédit des obligations vertes, ce qui diminuerait la peur du risque et canaliserait les capitaux en attente vers les projets verts.
Un marché mondial du carbone qui fonctionne bien encouragerait la transparence et faciliterait la décarbonisation. De même, la participation financière des banques multilatérales de développement au soutien d'un marché secondaire liquide pour les obligations souveraines des pays en développement est cruciale pour mettre l'Afrique sur la voie d'un développement durable. Le lien entre les Objectifs de développement durable et le réchauffement climatique est tel que le passage direct aux technologies vertes pourrait aussi l'inscrire sur cette trajectoire.
L'essor du marché obligataire vert est tel qu'il entre dans un cercle de croissance vertueux et approche rapidement le volume attendu depuis longtemps de 1000 milliards d'investissement vert annuel. Mais pour encourager une finance verte équitable, les investisseurs étrangers doivent abandonner leur stratégie coutumière sur le marché des titres à revenu fixe : se détourner de l'Afrique ou attendre une rentabilité excessive de leur placement.
Un financement équitable est crucial pour remporter la victoire contre le réchauffement climatique. Pour parvenir à un développement durable, nous devons encourager les gestionnaires d'actifs à prendre la tête de ce combat.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Hippolyte Fofack est économiste en chef et directeur de recherche à la Banque africaine d'import-export (Afreximbank).
© Project Syndicate 1995–2022
Transformer les engagements de financement en investissement est vital si l'on veut renforcer la résilience climatique de l'Afrique. Ce continent est confronté à 4 menaces : le réchauffement climatique, les maladies, l'insécurité alimentaire et l'instabilité politique. Aussi le manque de financement constitue-t-il un obstacle à un investissement à grande échelle dans son développement. Si l'on n'y remédie pas, pour atteindre les Objectifs de développement durable de l'ONU, le continent sera contraint de passer par les technologies à haute intensité de carbone. Cela constituera un obstacle aux efforts entrepris pour éviter une catastrophe climatique ; les conséquences s'en feront alors sentir bien au-delà du continent africain.
Le déficit mondial de financement de la lutte contre le changement climatique représente la différence entre le coût total des Contributions combinées déterminées au niveau national dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat et le financement que les Etats peuvent fournir à partir de leurs ressources propres pour soutenir la transition vers le Zéro émission nette jusqu'en 2030. Selon les estimations récentes de la Climate Policy Initiative, ce déficit s'élève à d'environ 2 500 milliards de dollars. Par ailleurs, le financement des programmes d'adaptation au climat est inférieur à celui consacré aux mesures d'atténuation - malgré la nécessité d'équilibrer les deux, comme l'indique l'accord de Paris.
Mais le déficit budgétaire de l'Afrique traduit également ses problèmes économiques structurels. En particulier, sa pauvreté énergétique nuit depuis fort longtemps à sa diversification économique et la fragilise face aux crises mondiales. Le déficit du financement de sa politique climatique s'élève à 10 % de son PIB total (2 400 milliards de dollars), plus du double de ses dépenses annuelles destinées à la santé et aux programmes sociaux. Ce déficit chronique limite la capacité des Etats à accroître les investissements publics et à attirer les capitaux privés.
En 2018, le FMI a souligné la myriade de défis auxquels sont confrontés les pays d'Afrique subsaharienne pour combler leur déficit de financement. Il leur faut notamment élargir l'assiette fiscale afin d'augmenter leurs recettes. L'Afrique a accompli des progrès significatifs au cours des deux dernières décennies, néanmoins ses résultats restent très insuffisants. Son ratio médian Recettes/PIB est de 20 %, contre 28 % pour l'Asie de l'Est et 42,3 % pour l'Europe.
Le déficit de financement est amplifié par l'incidence de la dette souveraine qui reflète des "primes de perception" pernicieuses - le risque exagéré que les agences de notation attribuent aux pays africains, sans tenir compte de leurs progrès macroéconomiques ou de leur perspective de croissance. La différence de taux entre obligations souveraines africaines et bons du Trésor américain étant désormais à deux chiffres, le service de la dette est devenu la principale dépense des Etats africains. Plus de 45 % des recettes publiques de l'Egypte vont probablement être consacrés au paiement des intérêts au cours de l'année fiscale en cours, et ce service va engloutir plus de la moitié des recettes publiques du Ghana et du Sri Lanka.
Un taux d'intérêt élevé décourage les investissements en créant des attentes de rendement irréalistes, mais il affecte également directement les dépenses publiques. Un déficit de financement assombrit les perspectives de développement, car les besoins urgents à court terme évincent les investissements à long terme les plus importants - nécessaires pour transformer l'économie et améliorer l'avenir des prochaines générations. Ainsi, le respect des engagements en matière de dette extérieure l'emporte toujours sur le financement d'infrastructures résistantes au réchauffement climatique.
Pourtant, dans un monde inondé de liquidités, il ne devrait pas y avoir à choisir entre sauver la planète et préserver l'accès aux marchés de capitaux. Le montant de actifs financiers mondiaux, 210 000 milliards de dollars, représente environ le double du PIB mondial. Un cadre inclusif qui encourage la coopération multilatérale entre les principales parties prenantes (Etats, donateurs, banques de développement et entreprises privées) et favorise les mécanismes de financement innovants pourrait attirer le financement privé en réduisant le risque lié aux investissements. Un tel cadre doit également améliorer la répartition mondiale du financement vert, trop fortement orientée vers les pays développés. Au premier semestre 2021, par exemple, les pays à revenu élevé ont émis 76 % de la totalité des obligations vertes.
Les responsables politiques et les banques multilatérales de développement peuvent contribuer à diminuer le risque lié aux investissements dans les infrastructures vertes. Cela peut se faire en encourageant l'utilisation d'instruments de financement innovants tels que les garanties, les assurances, les financements mixtes et les obligations à crédit renforcé. Attirer davantage de banques et d'investisseurs institutionnels augmenterait la part de l'Afrique qui n'est que de 5,5 % dans le financement mondial de la politique climatique.
Cette part pourrait augmenter si l'on réduit le risque de pertes et si l'assure les investisseurs contre les risques spécifiques auxquels ils s'exposent. De même, l'offre d'une protection du crédit et l'allongement de l'échéance des prêts permettraient de mobiliser davantage de capitaux privés en faveur des projets d'infrastructure verte à long terme.
Les donateurs et les prêteurs multilatéraux ont un rôle essentiel à jouer pour atténuer une perception exagérée des risques et inciter les investisseurs à financer des projets verts dans les pays en développement. Grâce aux fonds accordés sous conditions préférentielles pour les financements mixtes et les subventions, ils pourraient créer des positions de première perte pour améliorer la notation des portefeuilles et diminuer les risques. De nouveaux investisseurs entrant sur le marché de la dette climatique, les institutions multilatérales pourraient faciliter le crédit des obligations vertes, ce qui diminuerait la peur du risque et canaliserait les capitaux en attente vers les projets verts.
Un marché mondial du carbone qui fonctionne bien encouragerait la transparence et faciliterait la décarbonisation. De même, la participation financière des banques multilatérales de développement au soutien d'un marché secondaire liquide pour les obligations souveraines des pays en développement est cruciale pour mettre l'Afrique sur la voie d'un développement durable. Le lien entre les Objectifs de développement durable et le réchauffement climatique est tel que le passage direct aux technologies vertes pourrait aussi l'inscrire sur cette trajectoire.
L'essor du marché obligataire vert est tel qu'il entre dans un cercle de croissance vertueux et approche rapidement le volume attendu depuis longtemps de 1000 milliards d'investissement vert annuel. Mais pour encourager une finance verte équitable, les investisseurs étrangers doivent abandonner leur stratégie coutumière sur le marché des titres à revenu fixe : se détourner de l'Afrique ou attendre une rentabilité excessive de leur placement.
Un financement équitable est crucial pour remporter la victoire contre le réchauffement climatique. Pour parvenir à un développement durable, nous devons encourager les gestionnaires d'actifs à prendre la tête de ce combat.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Hippolyte Fofack est économiste en chef et directeur de recherche à la Banque africaine d'import-export (Afreximbank).
© Project Syndicate 1995–2022