Professeur, pour de nombreux pays en développement dont le Sénégal, les perspectives économiques se sont détériorées. En Afrique, la croissance devrait légèrement se ralentir, passant de 3,5 % en 2022 à 3,4 % en 2023, avant de revenir à 3,5 % en 2024. Quels sont les facteurs explicatifs de cette situation systémique ?
Depuis la pandémie de Covid-19 comme vous le savez, toutes les économies ont été affectées, en particulier celles du continent africain. Des mesures ont été prises par les différents gouvernements, mais avant même de passer le cap de cette crise, la guerre Russo-ukrainienne est venue aggraver la situation de nos pays en perturbant davantage les chaînes d’approvisionnement.
Dès lors que plusieurs pays africains sont très vulnérables à ce genre de choc externe, l’Afrique a donc connu une croissance plus faible que ce que donnaient les prévisions. Le Sénégal n’a pas dérogé à cette règle avec 4,1% de croissance en 2023, alors qu’on attendait 5,3%. Ce taux, bien qu’étant plus élevé que la moyenne africaine doit être comparée uniquement aux objectifs du Sénégal, car la moyenne africaine inclut beaucoup de pays en guerre et en situation d’insécurité totale avec des coups d’Etat et une invasion de terroristes empêchant de réaliser des performances économiques (Mali, Guinée, Burkina Faso, Tchad, etc.).
Selon les sources officielles du Ministère des Finances et du Budget, l’économie sénégalaise a enregistré des performances dans de nombreux domaines sectoriels. Pouvons-nous dire que notre économie est résiliente ? Quelle est votre lecture sur nos fondamentaux économiques.
En effet, au cours des 10 dernières années (depuis la mise en œuvre du Pse), le taux de croissance moyen du Sénégal a tourné autour de 5% ; ce qui n’est pas mal mais c’est insuffisant au vu de notre ambition de devenir un pays émergent à l’horizon 2035.
Toutefois, en tenant compte des nombreux chocs comme la Covid-19 et la guerre en Ukraine, on peut dire que notre économie est relativement résiliente. Relativement résiliente parce que cela s’est fait au prix d’une détérioration des ratios d’endettement, notamment le ratio de solvabilité (dette/Pib) qui a dépassé la norme communautaire de 70%. Les fondamentaux restent solides malgré tout, mais on note une certaine vulnérabilité. L’illustration en est donnée par les deux appuis du Fonds monétaire international de 1.150 milliards FCFA et de 169 milliards octroyés récemment, même s’il faut le préciser, le décaissement du premier s’étale sur 3 ans.
Notre pays a été aussi touché par la flambée des prix, qui a fortement affecté la consommation des ménages et plombé la dynamique des secteurs d’activités. Pensez-vous que les mesures prises en vue de baisser les prix intérieurs et soutenir l’activité économique sont efficaces ?
Il faut d’abord se féliciter du fait que l’Etat ait essayé de maintenir le pouvoir d’achat des ménages avec des mesures budgétaires, qui lui ont coûté très cher. Rien que les mesures de baisse des prix des denrées alimentaires ont coûté plus de 240 milliards de FCFA. Si l’on ajoute les subventions aux hydrocarbures qui tournent autour de 600 milliards, c’est presque 850 milliards en termes d’effort financier consentis par l’Etat. Malheureusement l’inflation est encore là, avec une moyenne de 6% attendue en fin 2023.
Les mesures prise n’ont pas eu l’efficacité souhaitée, il est vrai car, d’une part les conditions d’importations se sont détériorées, et d’autre part, les conditions de financement se sont durcies. Les commerçants se sont donc vu obligés de répercuter toutes ces contraintes sur les prix pratiqués, et enfin, l’Etat n’a vraiment pas eu les moyens de contrôler de manière effective les prix sur le terrain, malgré les coups de communication du ministère en charge du commerce lors de ses descentes sporadiques dans les différents marchés.
Pour maîtriser l'inflation, la Banque centrale a procédé à des augmentations successives de ses taux directeurs en 2022 et 2023. Le durcissement des conditions monétaires ne constitue-t-il pas des freins majeurs pour l’expansion du crédit et le développement de l'investissement pour le secteur privé ?
Effectivement le principal taux directeur de la Bceao va passer de 3,25 à 3,50% à compter du 16 décembre 2023. Cette hausse fait suite à d’autres hausses enregistrées depuis plus d’un an pour réduire l’inflation. Les Pme sénégalaises ont depuis toujours eu du mal à accéder au financement, et ce durcissement des conditions de prêt vient aggraver ce problème. Il est vrai que l’inflation n’est pas une bonne chose pour l’économie, mais la source est externe comme c’est le cas avec la flambée des prix des produits importés qui constituent l’essentiel des biens consommés. Par conséquent, la politique monétaire restrictive de la BCEAO peut ne pas donner les résultats escomptés, en revanche, elle pourrait créer d’énormes difficultés au secteur privé ; c’est le cas actuellement.
Notre pays reste sous pression en raison des tensions géopolitiques, de l'affaiblissement de la demande mondiale et du resserrement des politiques monétaires et budgétaires. Quelles solutions de nature endogène devront permettre de parvenir à des résultats inclusifs et durables ?
Il faut plusieurs choses à la fois. D’abord il y a un besoin d’accroitre la mobilisation de ressources internes et, de ce point de vue, il existe déjà une stratégie de recettes à moyen terme (Srmt), dont la mise en œuvre doit être accélérée pour atteindre les résultats.
Ensuite il y a le problème de la faible productivité, qui explique le manque de compétitivité de nos entreprises qui expose notre pays aux différents chocs externes. De ce point de vue, les efforts sur la qualification de la main d’œuvre et le coût de l’énergie doivent être renforcés.
Enfin l’inclusion financière doit être améliorée pour garantir une plus grande autonomisation des populations, notamment les femmes et les jeunes. Cela permettrait de réduire la pression sur l’Etat, ce qui fait qu’en cas de chocs, qu’il y ait moins de personnes nécessiteuses à assister et par ricochet moins de dépenses sociales à supporter.
Pour que les résultats soient inclusifs et durables, il faudra que le Sénégal dépasse la situation actuelle où la perspective d’une élection rend les investisseurs frileux à cause de la tension ambiante qui est perceptible par tous.
Après une dizaine d’années de mise en œuvre du Plan Sénégal émergent (Pse), sommes-nous sur la bonne trajectoire économique ? Quel bilan synthétique pourrait-on en tirer en termes d’atouts et de faiblesses ?
Il est incontestable que le Pse a permis d’avoir des résultats probants. On a été sur la bonne trajectoire jusqu’en 2019. Mais après, la succession de chocs économiques a rendu l’horizon plus sombre avec une évolution plus erratique de la croissance. Aujourd’hui, l’enjeu c’est de relever définitivement notre économie des chocs exogènes, en revenant à des taux de croissance supérieurs à 6%, pour être assuré d’être sur la bonne trajectoire.
La perspective de production de pétrole et de gaz peut amoindrir les risques pour notre pays, même s’il ne faut pas confondre l’effet mécanique des hydrocarbures avec une performance globale de l’économie.
Il est à noter que ces dernières années, l’Etat a beaucoup investi dans le social et dans des programmes d’urgence. Tout cela est un indicateur des difficultés à traduire la croissance en opportunités économiques pouvant autonomiser certaines couches de la population. Les économistes s’accordent bien sur la nécessité d’avoir des taux de croissance au moins compris entre 7 et 8% sur une longue période, pour avoir les retombées sur les populations. L’espoir est permis au vu des nombreux investissements dans les infrastructures et équipements susceptibles d’accroître la productivité.
Le Plan d’actions prioritaires (Pap3) en gestation, accorderait un intérêt particulier aux secteurs émergents. Quel diagnostic faites-vous de ces secteurs ciblés et de leur portée sur la transformation structurelle de l’économie sénégalaise ?
Il faut rappeler qu’actuellement la croissance est portée essentiellement par les activités extractives, les services financiers, la construction, l’agriculture et la distribution d’électricité et de gaz.
La transformation structurelle renvoie au transfert de la main d’œuvre et du capital, des secteurs à faible productivité, vers les secteurs à productivité élevée. Généralement c’est le secteur secondaire qui a un potentiel de productivité plus élevé, avec les activités manufacturières qu’on peut développer si on amorce un processus d’industrialisation. Or, jusqu’à présent, l’économie sénégalaise est dominée par le tertiaire qui représente presque 60% de la valeur ajoutée et le secondaire qui tourne seulement autour de 25%.
Dans le PAP3 les secteurs considérés comme émergents sont : la restauration et l’hébergement, le transport, la fabrication de produits alimentaires et les activités artistiques et culturelles, entre autres. Ces secteurs ont connu une bonne dynamique de croissance depuis le début de mise en œuvre du Pse et devraient pouvoir devenir des moteurs de la croissance.
Parmi ces secteurs, il n’y a que la fabrication de produits alimentaires qui nous semble pouvoir accélérer le processus de transformation structurelle, si elle est combinée à une véritable politique d’industrialisation.
De ce point de vue, l’ouverture récente de la deuxième phase de la plateforme industrielle de Diamniadio laisse espérer l’installation de nouvelles entreprises pouvant concrétiser la stratégie d’industrialisation, dont la réussite est le seul gage d’une transformation structurelle effective de notre économie.
Lejecos Magazine
Depuis la pandémie de Covid-19 comme vous le savez, toutes les économies ont été affectées, en particulier celles du continent africain. Des mesures ont été prises par les différents gouvernements, mais avant même de passer le cap de cette crise, la guerre Russo-ukrainienne est venue aggraver la situation de nos pays en perturbant davantage les chaînes d’approvisionnement.
Dès lors que plusieurs pays africains sont très vulnérables à ce genre de choc externe, l’Afrique a donc connu une croissance plus faible que ce que donnaient les prévisions. Le Sénégal n’a pas dérogé à cette règle avec 4,1% de croissance en 2023, alors qu’on attendait 5,3%. Ce taux, bien qu’étant plus élevé que la moyenne africaine doit être comparée uniquement aux objectifs du Sénégal, car la moyenne africaine inclut beaucoup de pays en guerre et en situation d’insécurité totale avec des coups d’Etat et une invasion de terroristes empêchant de réaliser des performances économiques (Mali, Guinée, Burkina Faso, Tchad, etc.).
Selon les sources officielles du Ministère des Finances et du Budget, l’économie sénégalaise a enregistré des performances dans de nombreux domaines sectoriels. Pouvons-nous dire que notre économie est résiliente ? Quelle est votre lecture sur nos fondamentaux économiques.
En effet, au cours des 10 dernières années (depuis la mise en œuvre du Pse), le taux de croissance moyen du Sénégal a tourné autour de 5% ; ce qui n’est pas mal mais c’est insuffisant au vu de notre ambition de devenir un pays émergent à l’horizon 2035.
Toutefois, en tenant compte des nombreux chocs comme la Covid-19 et la guerre en Ukraine, on peut dire que notre économie est relativement résiliente. Relativement résiliente parce que cela s’est fait au prix d’une détérioration des ratios d’endettement, notamment le ratio de solvabilité (dette/Pib) qui a dépassé la norme communautaire de 70%. Les fondamentaux restent solides malgré tout, mais on note une certaine vulnérabilité. L’illustration en est donnée par les deux appuis du Fonds monétaire international de 1.150 milliards FCFA et de 169 milliards octroyés récemment, même s’il faut le préciser, le décaissement du premier s’étale sur 3 ans.
Notre pays a été aussi touché par la flambée des prix, qui a fortement affecté la consommation des ménages et plombé la dynamique des secteurs d’activités. Pensez-vous que les mesures prises en vue de baisser les prix intérieurs et soutenir l’activité économique sont efficaces ?
Il faut d’abord se féliciter du fait que l’Etat ait essayé de maintenir le pouvoir d’achat des ménages avec des mesures budgétaires, qui lui ont coûté très cher. Rien que les mesures de baisse des prix des denrées alimentaires ont coûté plus de 240 milliards de FCFA. Si l’on ajoute les subventions aux hydrocarbures qui tournent autour de 600 milliards, c’est presque 850 milliards en termes d’effort financier consentis par l’Etat. Malheureusement l’inflation est encore là, avec une moyenne de 6% attendue en fin 2023.
Les mesures prise n’ont pas eu l’efficacité souhaitée, il est vrai car, d’une part les conditions d’importations se sont détériorées, et d’autre part, les conditions de financement se sont durcies. Les commerçants se sont donc vu obligés de répercuter toutes ces contraintes sur les prix pratiqués, et enfin, l’Etat n’a vraiment pas eu les moyens de contrôler de manière effective les prix sur le terrain, malgré les coups de communication du ministère en charge du commerce lors de ses descentes sporadiques dans les différents marchés.
Pour maîtriser l'inflation, la Banque centrale a procédé à des augmentations successives de ses taux directeurs en 2022 et 2023. Le durcissement des conditions monétaires ne constitue-t-il pas des freins majeurs pour l’expansion du crédit et le développement de l'investissement pour le secteur privé ?
Effectivement le principal taux directeur de la Bceao va passer de 3,25 à 3,50% à compter du 16 décembre 2023. Cette hausse fait suite à d’autres hausses enregistrées depuis plus d’un an pour réduire l’inflation. Les Pme sénégalaises ont depuis toujours eu du mal à accéder au financement, et ce durcissement des conditions de prêt vient aggraver ce problème. Il est vrai que l’inflation n’est pas une bonne chose pour l’économie, mais la source est externe comme c’est le cas avec la flambée des prix des produits importés qui constituent l’essentiel des biens consommés. Par conséquent, la politique monétaire restrictive de la BCEAO peut ne pas donner les résultats escomptés, en revanche, elle pourrait créer d’énormes difficultés au secteur privé ; c’est le cas actuellement.
Notre pays reste sous pression en raison des tensions géopolitiques, de l'affaiblissement de la demande mondiale et du resserrement des politiques monétaires et budgétaires. Quelles solutions de nature endogène devront permettre de parvenir à des résultats inclusifs et durables ?
Il faut plusieurs choses à la fois. D’abord il y a un besoin d’accroitre la mobilisation de ressources internes et, de ce point de vue, il existe déjà une stratégie de recettes à moyen terme (Srmt), dont la mise en œuvre doit être accélérée pour atteindre les résultats.
Ensuite il y a le problème de la faible productivité, qui explique le manque de compétitivité de nos entreprises qui expose notre pays aux différents chocs externes. De ce point de vue, les efforts sur la qualification de la main d’œuvre et le coût de l’énergie doivent être renforcés.
Enfin l’inclusion financière doit être améliorée pour garantir une plus grande autonomisation des populations, notamment les femmes et les jeunes. Cela permettrait de réduire la pression sur l’Etat, ce qui fait qu’en cas de chocs, qu’il y ait moins de personnes nécessiteuses à assister et par ricochet moins de dépenses sociales à supporter.
Pour que les résultats soient inclusifs et durables, il faudra que le Sénégal dépasse la situation actuelle où la perspective d’une élection rend les investisseurs frileux à cause de la tension ambiante qui est perceptible par tous.
Après une dizaine d’années de mise en œuvre du Plan Sénégal émergent (Pse), sommes-nous sur la bonne trajectoire économique ? Quel bilan synthétique pourrait-on en tirer en termes d’atouts et de faiblesses ?
Il est incontestable que le Pse a permis d’avoir des résultats probants. On a été sur la bonne trajectoire jusqu’en 2019. Mais après, la succession de chocs économiques a rendu l’horizon plus sombre avec une évolution plus erratique de la croissance. Aujourd’hui, l’enjeu c’est de relever définitivement notre économie des chocs exogènes, en revenant à des taux de croissance supérieurs à 6%, pour être assuré d’être sur la bonne trajectoire.
La perspective de production de pétrole et de gaz peut amoindrir les risques pour notre pays, même s’il ne faut pas confondre l’effet mécanique des hydrocarbures avec une performance globale de l’économie.
Il est à noter que ces dernières années, l’Etat a beaucoup investi dans le social et dans des programmes d’urgence. Tout cela est un indicateur des difficultés à traduire la croissance en opportunités économiques pouvant autonomiser certaines couches de la population. Les économistes s’accordent bien sur la nécessité d’avoir des taux de croissance au moins compris entre 7 et 8% sur une longue période, pour avoir les retombées sur les populations. L’espoir est permis au vu des nombreux investissements dans les infrastructures et équipements susceptibles d’accroître la productivité.
Le Plan d’actions prioritaires (Pap3) en gestation, accorderait un intérêt particulier aux secteurs émergents. Quel diagnostic faites-vous de ces secteurs ciblés et de leur portée sur la transformation structurelle de l’économie sénégalaise ?
Il faut rappeler qu’actuellement la croissance est portée essentiellement par les activités extractives, les services financiers, la construction, l’agriculture et la distribution d’électricité et de gaz.
La transformation structurelle renvoie au transfert de la main d’œuvre et du capital, des secteurs à faible productivité, vers les secteurs à productivité élevée. Généralement c’est le secteur secondaire qui a un potentiel de productivité plus élevé, avec les activités manufacturières qu’on peut développer si on amorce un processus d’industrialisation. Or, jusqu’à présent, l’économie sénégalaise est dominée par le tertiaire qui représente presque 60% de la valeur ajoutée et le secondaire qui tourne seulement autour de 25%.
Dans le PAP3 les secteurs considérés comme émergents sont : la restauration et l’hébergement, le transport, la fabrication de produits alimentaires et les activités artistiques et culturelles, entre autres. Ces secteurs ont connu une bonne dynamique de croissance depuis le début de mise en œuvre du Pse et devraient pouvoir devenir des moteurs de la croissance.
Parmi ces secteurs, il n’y a que la fabrication de produits alimentaires qui nous semble pouvoir accélérer le processus de transformation structurelle, si elle est combinée à une véritable politique d’industrialisation.
De ce point de vue, l’ouverture récente de la deuxième phase de la plateforme industrielle de Diamniadio laisse espérer l’installation de nouvelles entreprises pouvant concrétiser la stratégie d’industrialisation, dont la réussite est le seul gage d’une transformation structurelle effective de notre économie.
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