Il est injuste de considérer non fondées les préoccupations au sujet de la mondialisation. L’Amérique mérite d'avoir un débat honnête sur ses effets. Afin d'apporter des solutions constructives, cependant, toutes les parties devront admettre des vérités qui dérangent – et reconnaître que la mondialisation aujourd’hui n’est pas le même phénomène qu’il y a 20 ans.
Les protectionnistes ne parviennent pas à comprendre que l’érosion de la base industrielle des États-Unis est compatible avec le principe que la mondialisation stimule la croissance. Or, les preuves à l'appui de ce principe sont trop importantes pour être ignorées.
Une recherche récente du McKinsey Global Institute (MGI) fait écho aux conclusions d'autres travaux universitaires: les flux mondiaux de marchandises, d’investissements directs étrangers et de données ont augmenté le PIB mondial d'environ 10% par rapport à ce qu'il aurait été en l’absence de ces flux. La valeur additionnelle fournie par la mondialisation s’est élevée à 7,8 billions de dollars pour la seule année 2014.
Et pourtant, les usines avec leurs volets tirés qui parsèment la « Rust Belt » du Midwest américain sont réelles. Même si la mondialisation génère de la croissance globale, elle produit des gagnants et des perdants. Exposer les industries locales à la concurrence internationale stimule l'efficacité et l'innovation, mais la destruction créatrice qui en résulte impose un coût considérable aux familles et communautés.
Les économistes et les décideurs politiques sont tout autant coupables de dissimuler ces conséquences distributives. Les pays qui s’ouvrent au libre-échange trouveront de nouvelles avenues de croissance à long terme, dit-on, et les travailleurs qui perdent leur emploi dans une industrie en retrouveront un dans une autre.
Or, dans le monde réel, ce processus est désordonné et prend du temps. Les travailleurs d’une industrie qui se réduit peuvent avoir besoin de compétences complètement différentes pour trouver un emploi dans d'autres secteurs ; ils peuvent devoir déménager leurs familles et arracher des racines profondes pour poursuivre ces opportunités. Il a fallu une forte réaction populaire contre le libre-échange pour que les décideurs politiques et les médias reconnaissent l'ampleur de ces perturbations.
Cette réaction négative n’aurait pas dû être une surprise. Les politiques du marché du travail et systèmes de formation traditionnels n’ont pas permis de faire face aux changements à grande échelle causés par les deux forces que sont la mondialisation et l'automatisation. Les USA ont besoin de propositions concrètes pour soutenir les travailleurs pris dans ces transitions structurelles – et de la volonté d'envisager de nouvelles approches, comme une assurance-salaire.
Contrairement à la rhétorique de campagne, un simple protectionnisme porterait préjudice aux consommateurs. Une étude récente du Groupe des conseillers économiques du président américain a révélé que plus d'un quart du pouvoir d'achat de la classe moyenne américaine trouve son origine dans la réduction des prix à la consommation grâce au commerce international. En tout état de cause, imposer des tarifs sur les biens étrangers ne ramènera pas les emplois manufacturiers perdus.
Il est temps de changer les paramètres du débat et de reconnaître que la mondialisation est aujourd’hui devenu quelque chose de totalement différent: le commerce mondial de marchandises a ralenti pour une variété de raisons, dont la chute des prix des matières premières, le ralentissement de la croissance dans de nombreuses grandes économies et une tendance à la production de biens plus près du point de consommation. Les flux transfrontaliers de données, en revanche, ont augmenté d'un facteur 45 au cours de la dernière décennie, et génèrent maintenant un impact économique plus important que les flux de produits manufacturés traditionnels.
La numérisation change tout : la nature des marchandises qui sont échangées, l'univers des fournisseurs et clients potentiels, la méthode de livraison, ainsi que le capital et l'échelle nécessaires pour devenir un acteur mondial. Cela signifie également que la mondialisation n’est plus exclusivement le domaine des entreprises Fortune 500.
Les entreprises qui interagissent avec leurs activités, fournisseurs et clients situés à l'étranger représentent une part importante et croissante du trafic Internet mondial. D’ores et déjà, la moitié des services échangés dans le monde sont numérisés et 12% du commerce mondial de marchandises est effectué par l'intermédiaire du e-commerce international. Des plateformes de commerce comme Alibaba, Amazon et eBay transforment des millions de petites entreprises en exportateurs. Il s’agit d’une énorme opportunité qui reste inexploitée aux États-Unis, oùmoins d’1% des entreprises exportent – une part beaucoup plus faible que dans n’importe quelle autre économie avancée.
Malgré toute la rhétorique anti-commerce, il est crucial que les Américains gardent à l'esprit que la plupart des clients du monde entier sont à l'étranger. Les économies émergentes à croissance rapide seront les principales sources de croissance de la consommation dans les années à venir.
Ce serait le pire moment possible pour ériger des barrières. Le nouveau paysage numérique est encore en train de prendre forme et les pays ont la possibilité de redéfinir leurs avantages comparatifs. Les États-Unis ont peut-être subi des pertes lorsque le monde s’est mis à rechercher de faibles coûts de main-d'œuvre; mais ils sont en position de force dans un monde défini par la mondialisation numérique.
Il y a une valeur réelle dans le mouvement continu de l'innovation, de l'information, des biens, des services et – oui – des personnes. Alors que les États-Unis se battent pour relancer leur économie, ils ne peuvent pas se permettre de se priver d'une source importante de croissance.
Les décideurs américains doivent adopter une vision nuancée et clairvoyante de la mondialisation, capable de remédier à ses inconvénients de manière plus efficace, concernant non seulement les emplois domestiques perdus, mais aussi les normes de travail et environnementales de ses partenaires commerciaux. Par-dessus tout, les États-Unis doivent cesser de retenter le passé – et commencer à se concentrer sur la façon dont il peuvent participer à la prochaine ère de la mondialisation.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Martin N. Baily préside l’élaboration des politiques économiques et est Senior Fellow et Directeur de la Business and Public Policy Initiative à la Brookings Institution. James Manyika est directeur du siège de San Francisco du McKinsey Global Institute et Senior Fellow invité de la Brookings Institution.
Les protectionnistes ne parviennent pas à comprendre que l’érosion de la base industrielle des États-Unis est compatible avec le principe que la mondialisation stimule la croissance. Or, les preuves à l'appui de ce principe sont trop importantes pour être ignorées.
Une recherche récente du McKinsey Global Institute (MGI) fait écho aux conclusions d'autres travaux universitaires: les flux mondiaux de marchandises, d’investissements directs étrangers et de données ont augmenté le PIB mondial d'environ 10% par rapport à ce qu'il aurait été en l’absence de ces flux. La valeur additionnelle fournie par la mondialisation s’est élevée à 7,8 billions de dollars pour la seule année 2014.
Et pourtant, les usines avec leurs volets tirés qui parsèment la « Rust Belt » du Midwest américain sont réelles. Même si la mondialisation génère de la croissance globale, elle produit des gagnants et des perdants. Exposer les industries locales à la concurrence internationale stimule l'efficacité et l'innovation, mais la destruction créatrice qui en résulte impose un coût considérable aux familles et communautés.
Les économistes et les décideurs politiques sont tout autant coupables de dissimuler ces conséquences distributives. Les pays qui s’ouvrent au libre-échange trouveront de nouvelles avenues de croissance à long terme, dit-on, et les travailleurs qui perdent leur emploi dans une industrie en retrouveront un dans une autre.
Or, dans le monde réel, ce processus est désordonné et prend du temps. Les travailleurs d’une industrie qui se réduit peuvent avoir besoin de compétences complètement différentes pour trouver un emploi dans d'autres secteurs ; ils peuvent devoir déménager leurs familles et arracher des racines profondes pour poursuivre ces opportunités. Il a fallu une forte réaction populaire contre le libre-échange pour que les décideurs politiques et les médias reconnaissent l'ampleur de ces perturbations.
Cette réaction négative n’aurait pas dû être une surprise. Les politiques du marché du travail et systèmes de formation traditionnels n’ont pas permis de faire face aux changements à grande échelle causés par les deux forces que sont la mondialisation et l'automatisation. Les USA ont besoin de propositions concrètes pour soutenir les travailleurs pris dans ces transitions structurelles – et de la volonté d'envisager de nouvelles approches, comme une assurance-salaire.
Contrairement à la rhétorique de campagne, un simple protectionnisme porterait préjudice aux consommateurs. Une étude récente du Groupe des conseillers économiques du président américain a révélé que plus d'un quart du pouvoir d'achat de la classe moyenne américaine trouve son origine dans la réduction des prix à la consommation grâce au commerce international. En tout état de cause, imposer des tarifs sur les biens étrangers ne ramènera pas les emplois manufacturiers perdus.
Il est temps de changer les paramètres du débat et de reconnaître que la mondialisation est aujourd’hui devenu quelque chose de totalement différent: le commerce mondial de marchandises a ralenti pour une variété de raisons, dont la chute des prix des matières premières, le ralentissement de la croissance dans de nombreuses grandes économies et une tendance à la production de biens plus près du point de consommation. Les flux transfrontaliers de données, en revanche, ont augmenté d'un facteur 45 au cours de la dernière décennie, et génèrent maintenant un impact économique plus important que les flux de produits manufacturés traditionnels.
La numérisation change tout : la nature des marchandises qui sont échangées, l'univers des fournisseurs et clients potentiels, la méthode de livraison, ainsi que le capital et l'échelle nécessaires pour devenir un acteur mondial. Cela signifie également que la mondialisation n’est plus exclusivement le domaine des entreprises Fortune 500.
Les entreprises qui interagissent avec leurs activités, fournisseurs et clients situés à l'étranger représentent une part importante et croissante du trafic Internet mondial. D’ores et déjà, la moitié des services échangés dans le monde sont numérisés et 12% du commerce mondial de marchandises est effectué par l'intermédiaire du e-commerce international. Des plateformes de commerce comme Alibaba, Amazon et eBay transforment des millions de petites entreprises en exportateurs. Il s’agit d’une énorme opportunité qui reste inexploitée aux États-Unis, oùmoins d’1% des entreprises exportent – une part beaucoup plus faible que dans n’importe quelle autre économie avancée.
Malgré toute la rhétorique anti-commerce, il est crucial que les Américains gardent à l'esprit que la plupart des clients du monde entier sont à l'étranger. Les économies émergentes à croissance rapide seront les principales sources de croissance de la consommation dans les années à venir.
Ce serait le pire moment possible pour ériger des barrières. Le nouveau paysage numérique est encore en train de prendre forme et les pays ont la possibilité de redéfinir leurs avantages comparatifs. Les États-Unis ont peut-être subi des pertes lorsque le monde s’est mis à rechercher de faibles coûts de main-d'œuvre; mais ils sont en position de force dans un monde défini par la mondialisation numérique.
Il y a une valeur réelle dans le mouvement continu de l'innovation, de l'information, des biens, des services et – oui – des personnes. Alors que les États-Unis se battent pour relancer leur économie, ils ne peuvent pas se permettre de se priver d'une source importante de croissance.
Les décideurs américains doivent adopter une vision nuancée et clairvoyante de la mondialisation, capable de remédier à ses inconvénients de manière plus efficace, concernant non seulement les emplois domestiques perdus, mais aussi les normes de travail et environnementales de ses partenaires commerciaux. Par-dessus tout, les États-Unis doivent cesser de retenter le passé – et commencer à se concentrer sur la façon dont il peuvent participer à la prochaine ère de la mondialisation.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Martin N. Baily préside l’élaboration des politiques économiques et est Senior Fellow et Directeur de la Business and Public Policy Initiative à la Brookings Institution. James Manyika est directeur du siège de San Francisco du McKinsey Global Institute et Senior Fellow invité de la Brookings Institution.