Depuis que, ce jeudi 15 janvier, par surprise, la banque nationale suisse (BNS) a décidé d'abolir le seuil de 1,2 franc suisse pour un euro, déclenchant une envolée de la monnaie de la Confédération et, par ricochet, l'effondrement de la Bourse de Zurich, les analystes se grattent la tête pour comprendre quelle mouche a bien pu piquer les autorités monétaires helvétiques.
Mais cette explication semble bien trop courte. Nous ne sommes plus sous le régime de Bretton Woods où la défense du cours d'une monnaie risquait de mettre en danger les réserves d'or d'une banque centrale. La BNS le sait bien, puisqu'elle l'a elle-même expliqué cet automne aux électeurs suisses qui devaient se prononcer par votation sur le maintien d'une part fixe d'or dans son bilan. Les Suisses lui ont, du reste, donné raison. Rien n'empêchait donc la BNS de maintenir son seuil par de l'émission de francs. Une fois la demande de franc suisse satisfaite, et le seuil défendu, le QE européen, dont, du reste, on ne connaît pas la taille, mais qui sera vraisemblablement limité, aurait été surpassé. Il est plus simple de stopper une hausse que d'arrêter une baisse, comme dans le cas russe, car, dans ce cas, il faut puiser dans ses réserves de devises.
Enfin, cette politique est insensée parce qu'elle s'appuie sur une politique de taux négatifs très élevés et que l'on ignore réellement les effets de ce type d'instrument. Insensée enfin parce qu'il a des répercussions ailleurs, notamment dans les pays d'Europe centrale, comme la Hongrie et la Pologne où les prêts en francs suisses sont encore nombreux et vont peser davantage sur les ménages.
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Réagir avant le QE ?
L'explication la plus fréquemment avancée est que, avec l'arrivée annoncée, peut-être dans une semaine, le 22 janvier, de l'assouplissement quantitatif (QE) de la BCE, autrement dit de l'achat massif de dettes publiques de la zone euro, la BNS a jugé qu'il était impossible de maintenir un tel seuil face à la pression baissière qui allait peser sur l'euro. La BNS aurait donc décidé de gérer le cours du franc de façon plus souple, via une politique de taux négatif. Elle a, d'ailleurs, abaissé son taux directeur de -0,5 % à -0,75 % afin de dissuader les investisseurs d'acheter du franc.Mais cette explication semble bien trop courte. Nous ne sommes plus sous le régime de Bretton Woods où la défense du cours d'une monnaie risquait de mettre en danger les réserves d'or d'une banque centrale. La BNS le sait bien, puisqu'elle l'a elle-même expliqué cet automne aux électeurs suisses qui devaient se prononcer par votation sur le maintien d'une part fixe d'or dans son bilan. Les Suisses lui ont, du reste, donné raison. Rien n'empêchait donc la BNS de maintenir son seuil par de l'émission de francs. Une fois la demande de franc suisse satisfaite, et le seuil défendu, le QE européen, dont, du reste, on ne connaît pas la taille, mais qui sera vraisemblablement limité, aurait été surpassé. Il est plus simple de stopper une hausse que d'arrêter une baisse, comme dans le cas russe, car, dans ce cas, il faut puiser dans ses réserves de devises.
Le choix de l'indépendance
Reste évidemment le risque « inflationniste » de cette création monétaire. Et ceci amène à une autre explication du choix de la BNS, complémentaire du premier. Une théorie, le triangle d'incompatibilité ou triangle de Mundell, explique qu'il n'est pas possible d'avoir à la fois la liberté de circulation des capitaux, un taux de change fixe et une politique monétaire indépendante. Il faut renoncer à un de ces trois éléments. La BNS, avec la mise en place du seuil, devait renoncer à l'indépendance de sa politique monétaire. Ce mercredi, elle a préféré reprendre son indépendance et laisser son taux de change s'ajuster. C'est ce qu'a expliqué dans sa conférence de presse le président de la BNS Thomas Jordan en disant que sa banque avait désormais « plus de flexibilité. »La fantomatique lutte contre l'inflation
Mais la vraie question est : que va faire la BNS de cette indépendance ? Evidemment, lutter contre l'inflation. Autrement dit, la BNS veut maîtriser la masse monétaire en francs suisses pour éviter une envolée des prix. Une défense du seuil face au QE européen aurait naturellement fait gonfler cette masse monétaire. L'ennui, c'est que cette lutte contre l'inflation est fantomatique. La Suisse n'est pas menacée par l'inflation, mais au contraire par la déflation. Malgré le seuil et les taux bas, les prix ont ainsi reculé en décembre 2014 de 0,33 % sur un an. Il n'y a aucun risque à moyen terme d'inflation en Suisse. Abolir le seuil, c'est, pour la Suisse, se jeter dans la gueule du loup pour éviter de se faire croquer par une souris.Récession possible
En réalité, la politique que la BNS a entamée ce mercredi est une politique insensée. Insensée évidemment pour l'économie suisse qui, certes, a montré des capacités de résister à la hausse du franc et à la baisse des prix, mais il y évidemment des limites. Un franc qui se rapproche de la parité face à l'euro va poser de graves problèmes de compétitivité aux exportations helvétiques. Pour faire face, elles devront réaliser des gains de productivité et ce sont les salariés suisses qui paieront le prix de l'indépendance de la BNS. Un gérant de fonds helvétique, Felix Zulauf, interrogé par la Neue Zürcher Zeitung, n'exclut pas une récession en Suisse. L'institut économique KOF convient également que la fin du seuil va "peser sur la conjoncture et conduire à de nouveaux taux négatifs d'inflation." L'institut cite parmi les secteurs les plus touchées les machines outils, la chimie, les composants automobiles, la pharmacie et l'hotellerie. Des secteurs forts de l'économie nationale. Certes, avec une récession, la BNS pourra se réjouir : ceci devrait réduire le risque d'inflation et l'attrait du franc. Mais les Suisses en auront payé le prix fort.Un coût moins élevé ? Pas sûr !
Insensée aussi parce que la BNS, si elle veut éviter une aggravation de la récession et de la déflation, mais aussi si elle ne veut pas voir la valeur des devises détenues dans son bilan fondre comme neige au soleil, va devoir intervenir pour éviter de nouvelles envolées du franc, intervenir. Or, il n'est pas sûr que ces interventions soient moins coûteuses in fine que la défense d'un seuil permanent. Comme il n'est pas sûr que cette politique soit plus « indépendante » que la précédente. Il faudra bien alors réagir aux évolutions de la politique monétaire européenne.Enfin, cette politique est insensée parce qu'elle s'appuie sur une politique de taux négatifs très élevés et que l'on ignore réellement les effets de ce type d'instrument. Insensée enfin parce qu'il a des répercussions ailleurs, notamment dans les pays d'Europe centrale, comme la Hongrie et la Pologne où les prêts en francs suisses sont encore nombreux et vont peser davantage sur les ménages.
Refus de voir la réalité
En réalité, la BNS a refusé de voir la réalité en face : elle ne peut être indépendante tant que la Confédération est ce qu'elle est, autrement dit, un havre de sécurité pour les investisseurs et une économie fortement dépendante des exportations vers la zone euro. Pour être entièrement indépendante, la BNS doit donc s'affranchir de cette réalité. Elle a décidé de le faire en sacrifiant la croissance et l'emploi afin que le franc finisse par perdre du terrain « naturellement. »Fruit d'une idéologie
Au final, la décision de la BNS est le fruit d'une idéologie, celle qui est fondée sur la peur panique de l'inflation et sur la pensée monétariste qui estime que masse monétaire et inflation sont toujours liées. La réalité actuelle prouve pourtant que l'on est, en Suisse, comme en Europe, dans une situation de trappe à liquidités où les mesures monétaires ne jouent plus guère sur l'inflation. Rien d'autres que cette peur idéologique ne pouvait donc justifier la levée du seuil.Argument pour Angela Merkel contre les Eurosceptiques ?
Les prochaines semaines ne manqueront pas d'intérêt. Ce qui se passe en Suisse est en effet ce qui se passerait en Allemagne si cette dernière décidait de quitter la zone euro comme le demandent les Eurosceptiques outre-Rhin. La Bundesbank ne manquerait pas alors de jouer le même jeu que la BNS, puisque c'est celui qu'il a sollicité de la BCE. Pour Angela Merkel, l'expérience suisse pourrait être un excellent argument contre les Eurosceptiques. Ce pourrait aussi être un moyen pour Mario Draghi de faire passer la pilule du QE à ses confrères allemands...Latribune.fr