Trump sur une trajectoire de collision avec le budget américain

Lundi 13 Janvier 2025

Les spéculations vont bon train autour du chaos auquel les États-Unis et le reste du monde pourraient être confrontés à l’issue de l’investiture du président élu Donald Trump le 20 janvier.


Personne ne sait quelle proportion de réalité accompagne l’agenda annoncé par Trump, dans quelle mesure ce programme constitue une posture politique à destination de sa base, une démonstration de force auprès de ses ennemis, ou encore l’un des éléments d’une stratégie de négociation vis-à-vis du Congrès ainsi que des différents alliés et adversaires étrangers des États-Unis.

Ce qui est certain en revanche, c’est qu’en dépit de ses déclarations grandiloquentes et de ses adeptes déterminés à créer des réalités alternatives, Trump ne pourra rien contre les lois de l’arithmétique, quels que soient ses efforts durant les prochaines semaines, lorsque le gouvernement se heurtera à la limite de la dette fédérale.

Les déficits publics correspondent à la différence entre les recettes et les dépenses annuelles. La dette nationale s’élève à la somme des déficits passés. Ces réalités s’accompagnent de conséquences politiques réelles, dans la mesure où les États-Unis sont tenus de respecter un plafond de la dette (la loi impose une limite au montant que le pays peut emprunter). Le 28 décembre, la secrétaire du Trésor sortante, Janet Yellen, a adressé au Congrès une lettre  officielle mettant en garde sur le risque de voir ce plafond être déjà atteint « entre le 14 et le 23 janvier ».

À condition de prendre des mesures « extraordinaires », Biden pourrait déléguer ce problème à la prochaine administration Trump, en cadeau d’adieu après le refus de Trump (soutenu par Elon Musk) d’accepter l’accord établi auparavant, tandis que Trump pourrait être en mesure de repousser l’heure fatidique, mais seulement temporairement. Compte tenu d’un déficit budgétaire mensuel de 367 milliards $  en novembre, et d’un déficit budgétaire 2024 de 150 milliards $ par mois en moyenne, l’actuel plafond de la dette ne tardera pas à être dépassé. Les quelque 110 milliards $ ajoutés dans l’accord de Noël pour les dépenses liées aux catastrophes et aux urgences ne faciliteront pas la tâche. Dans le même temps, les extrémistes du Parti républicain insistent pour que le plafond ne soit pas relevé. Or, il faudrait pour cela que le déficit soit intégralement résorbé.

Si Trump ne parvient pas à rallier tous les Républicains, il devra obtenir le soutien de certains Démocrates en parvenant à un nouvel accord sur le plafond de la dette et les déficits futurs. Or, pourquoi les Démocrates accepteraient-ils de rehausser le plafond de la dette pour simplement permettre à Trump de récompenser Musk et d’autres oligarques pour leur soutien au moyen de réductions d’impôts massives et injustes ?

Toutes ces manœuvres politiques au Congrès autour du déficit et de la dette ne constituent que le premier élément du trilemme budgétaire auquel Trump sera confronté dès le premier jour. Le deuxième réside en effet dans la fiscalité. S’il est une chose à laquelle Trump et ses acolytes sont attachés, ce sont bien les réductions d’impôts pour les grandes entreprises et les milliardaires. Le « principe » directeur consiste à rendre définitives les baisses d’impôts inconsidérées appliquées par Trump durant son premier mandat (dont un grand nombre doivent expirer fin 2025), ainsi qu’à réduire encore davantage les prélèvements pour les grandes entreprises américaines. D’après la plupart des estimations, ces mesures viendraient alourdir de 7 500 milliards $ la dette nationale. Le Comité pour un budget fédéral responsable annonce pour sa part un chiffre deux fois supérieur dans son estimation  la plus élevée.

L’administration Trump promettra bien entendu une forme de miracle de la croissance, en formulant cette éternelle contre-vérité selon laquelle les réductions d’impôts s’autofinanceraient. Peu importe que cela n’ait jamais été le cas – ni à l’issue des baisses d’impôts de 2017, ni après celles appliquées par Ronald Reagan dans les années 1980. En effet, il est d’ores et déjà prévu que les politiques fiscales de l’administration Trump coûtent 1 900 milliards $  sur une période de dix ans. En partant de cette base, seul un David Copperfield du budget – ou un degré sans précédent de malhonnêteté budgétaire – pourrait transformer 7 500 milliards $ en 0 $.

C’est ce qui nous amène au troisième élément du trilemme : la réduction des dépenses. Comme beaucoup le savent, la plupart des dépenses publiques américaines ne sont pas discrétionnaires, mais consacrées à des programmes tels que la sécurité sociale, que la plupart des Républicains eux-mêmes se refusent à priver de fonds. Par ailleurs, près de la moitié des dépenses discrétionnaires sont consacrées à la défense, autre poste budgétaire cher aux républicains. Par conséquent, il ne reste plus qu’environ 750 milliards $ de dépenses discrétionnaires hors défense sur lesquelles agir.

Pour éliminer le déficit, Trump devrait supprimer tous les programmes publics discrétionnaires non liés à la défense – non seulement le département de l’Éducation, mais également les parcs nationaux et les agences de sécurité intérieure dont son administration aura besoin si elle entend appliquer ses politiques brutales de lutte contre l’immigration. Même si ces suppressions avaient lieu, un trou annuel de 1 000 milliards $ se dresserait encore sur le chemin de la réduction d’impôts voulue par Trump, laquelle devient tout simplement impossible mathématiquement si même une poignée de législateurs républicains honorent leur promesse de ne pas accroître le déficit.

Dans le même temps, Trump exige que les Européens portent leurs dépenses de défense à 5 %  du PIB. Si les États-Unis, qui consacrent actuellement 3,1 % de leur PIB  à la défense, en faisaient de même (ce serait le comble de l’hypocrisie dans le cas contraire), cela représenterait un poids supplémentaire d’environ 600 milliards $ par an.

Un compromis bipartisan demeure bien entendu possible, qui consisterait en une réforme fiscale progressive (en vertu de laquelle les plus hauts revenus paieraient davantage d’impôts) ainsi qu’en dispositions de renforcement des programmes publics qui jouent un rôle si essentiel dans le quotidien de millions d’Américains. Cela déplairait sans doute aux faucons de la dette et aux oligarques qui entourent Trump, mais les ultrariches n’ont après tout pas besoin des programmes publics (c’est du moins ce qu’ils croient), alors pourquoi ne pas les exclure du processus ?

Sachant les antécédents de Trump, un tel compromis ne sera pas facile à obtenir. Le chaos se dessine, comparable à celui observé au moment du quasi-shutdown  du gouvernement fédéral quelques jours avant Noël. La solution avait alors consisté à laisser traîner la situation jusqu’à ce que Trump retrouve la Maison-Blanche. Mais quelle sera-t-elle la prochaine fois ?

En ce début de nouvelle année, l’existence et le bien-être de centaines de millions d’Américains dépendront d’une résolution fluide et rapide de cette impasse. Trump et ses partisans ont beau souhaiter renverser l’ordre mondial, il va tout d’abord leur falloir remettre de l’ordre dans la maison américaine, et il est difficile d’imaginer comment ils pourraient y parvenir.
Joseph E. Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, et ancien président du Comité des conseillers économiques du président des États-Unis, est professeur à l’Université de Columbia. Lauréat du prix Nobel d’économie, il est l’auteur d’un récent ouvrage intitulé The Road to Freedom: Economics and the Good Society (W. W. Norton & Company Allen Lane , 2024).
© Project Syndicate 1995–2025
 
 
Actu-Economie


Nouveau commentaire :

Actu-Economie | Entreprise & Secteurs | Dossiers | Grand-angle | Organisations sous-régionales | IDEE | L'expression du jour




En kiosque.














Inscription à la newsletter