Signature accords de Brettton Woods en juillet 1944 (Archive)
Or, ces dernières années, le changement climatique et la pandémie de COVID-19 ont révélé à quel point ces institutions étaient déconnectées des réalités économiques mondiales changeantes et des priorités de développement. Si la communauté internationale entend conserver une chance de relever efficacement et équitablement les défis du XXIe siècle, l’architecture économique et financière mondiale doit être réformée. Huit priorités se distinguent.
Premièrement, il est nécessaire que puisse être davantage entendue la voix des économies en développement dans les institutions multilatérales. Comme beaucoup le reconnaissent, le pouvoir économique mondial a considérablement évolué depuis 1944, les marchés émergents et les économies en voie développement jouant un rôle autrement plus important qu’hier. Or, les quotas et les systèmes de vote des institutions de Bretton Woods demeurent fortement déséquilibrés en faveur des économies développées. Il existe par ailleurs encore aujourd’hui un accord tacite qui veut que ce soit un Européen qui dirige le FMI, et un Américain qui exerce à la tête de la Banque mondiale.
Non seulement cet état de fait impacte-t-il la légitimité des institutions de Bretton Woods, mais il entrave également leur capacité à répondre aux défis urgents et complexes de notre époque. C’est pourquoi il est indispensable que soit refondus les quotas et les parts de vote – un changement nécessaire auquel les économies développées, en particulier les États-Unis, se sont jusqu’à présent opposées – et que soit mise en place une procédure de sélection des dirigeants fondée sur une « double majorité ». Dans un tel système, les candidats devraient obtenir à la fois la majorité des votes pondérés (qui reflètent les parts des États dans l’institution) et le soutien d’une majorité de pays membres.
Deuxièmement, le Filet de sécurité financière mondial (FSFM) – réseau d’institutions qui apportent des financements indispensables en périodes de crise – doit être renforcé et rendu plus réactif aux besoins des économies en voie développement confrontées à des risques climatiques et macroéconomiques qui évoluent. En l’état actuel de la situation, non seulement le FSFM manque cruellement du soutien financier suffisant, mais il souffre également d’inégalités structurelles qui exposent davantage les pays en voie de développement. Un FSFM plus étendu et plus équitable permettrait de mieux protéger les États contre les chocs climatiques et autres crises, libérant ainsi des ressources pour favoriser le développement local.
Troisièmement, un mécanisme international doit être établi pour assurer la mise en œuvre de solutions justes et rapides aux crises de la dette souveraine. Des travaux doivent immédiatement autour d’un tel mécanisme, faisant intervenir une institution indépendante des créanciers et débiteurs (aspect indispensable pour un traitement équitable). Des solutions à court terme seront également nécessaires pour remédier à la crise de la dette souveraine qui fait actuellement obstacle au développement des pays du Sud, en empêchant les investissements essentiels dans l’action climatique et les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies.
Quatrièmement, il est impératif d’accroître significativement le financement climatique, ainsi que d’aligner l’ensemble des flux financiers publics et privés – prêts des institutions financières internationales inclus – sur les objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat. Les organismes internationaux de normalisation doivent agir avec détermination pour traiter les risques financiers liés au climat, ainsi que pour soutenir ce que l’on appelle « l’alignement sur Paris ».
Cinquièmement, les banques de développement internationales, nationales et infranationales doivent être renforcées. L’adaptation et l’atténuation du changement climatique nécessiteront des investissements massifs, et il existe des limites à ce que les institutions financières commerciales peuvent accomplir. Par conséquent, les banques et fonds publics de développement doivent jouer un rôle beaucoup plus important dans le financement de la transformation structurelle et du développement durable. Les banques multilatérales de développement (BMD) et les institutions de financement du développement (IFD) doivent travailler en étroite collaboration avec leurs homologues nationaux et infranationaux pour les aider à réaliser leur potentiel.
Sixièmement, des avancées doivent être accomplies sur la voie d’un système monétaire et de réserve de change multilatéral, centré sur les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI. En raison de la centralité du dollar américain dans le système monétaire international (que certains qualifient de « non-système »), les politiques d’une seule banque centrale – la Réserve fédérale américaine – impactent de manière disproportionnée les conditions monétaires et le cycle financier à travers le monde. Dans un système plus stable, le FMI émettrait régulièrement des DTS pour répondre à l’augmentation de la demande mondiale en réserves de change, tout en procédant à des allocations supplémentaires automatiques en périodes de crise. Dans le même temps, afin de réduire le risque de change dans les pays bénéficiaires, les BMD et les IFD fourniraient des financements en monnaie locale.
Septièmement, il est nécessaire que le FMI et les institutions financières régionales créent des mécanismes de coordination des politiques pour gérer la volatilité des flux de capitaux entre les régions, ainsi qu’entre les économies développées et les économies en voie de développement. Une taxe sur les transactions financières internationales pourraient également être mise en place afin de limiter les perturbations causées par les flux de capitaux à court terme. Les revenus considérables générés par une telle taxe pourraient être utilisés pour financer les ODD et l’action climatique.
Enfin, l’architecture fiscale internationale doit être renforcée pour soutenir un développement équitable, inclusif et durable. Une plus grande transparence fiscale et des mécanismes améliorés de partage transfrontalier des informations bancaires et financières pourraient permettre aux États de générer davantage de recettes fiscales intérieures. Par ailleurs, une Convention-cadre contraignante des Nations Unies sur la fiscalité, combinée à des mesures de lutte contre les flux financiers illicites, permettrait de créer de nouvelles sources de financement du développement, et de réduire la dépendance vis-à-vis de l’aide publique au développement.
La conférence de Bretton Woods de 1944 fut un moment sans précédent d’action collective. Il est grand temps qu’ait lieu un nouveau moment comparable, consistant pour les dirigeants mondiaux à établir une nouvelle vision d’avenir pour l’architecture financière mondiale.
Cet article est cosigné par William Kring, directeur exécutif du Global Development Policy Center de l’Université de Boston ; Kamal Ramburuth, chercheur à l’Institute for Economic Justice ; et Sarah Ribbert, directrice principale de programme à la Heinrich Böll Foundation.
Ulrich Volz, professeur d'économie et directeur du Centre pour la finance durable à la SOAS de l’Université de Londres, est coprésident du projet Debt Relief for Green and Inclusive Recovery. Janak Raj est membre principal du Centre for Social and Economic Progress. Monica Herz, professeure associée à l’Institut des relations internationales de l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, est membre principale du Centre brésilien pour les relations internationales, et membre du Conseil exécutif du BRICS Policy Center.
© Project Syndicate 1995–2024
Premièrement, il est nécessaire que puisse être davantage entendue la voix des économies en développement dans les institutions multilatérales. Comme beaucoup le reconnaissent, le pouvoir économique mondial a considérablement évolué depuis 1944, les marchés émergents et les économies en voie développement jouant un rôle autrement plus important qu’hier. Or, les quotas et les systèmes de vote des institutions de Bretton Woods demeurent fortement déséquilibrés en faveur des économies développées. Il existe par ailleurs encore aujourd’hui un accord tacite qui veut que ce soit un Européen qui dirige le FMI, et un Américain qui exerce à la tête de la Banque mondiale.
Non seulement cet état de fait impacte-t-il la légitimité des institutions de Bretton Woods, mais il entrave également leur capacité à répondre aux défis urgents et complexes de notre époque. C’est pourquoi il est indispensable que soit refondus les quotas et les parts de vote – un changement nécessaire auquel les économies développées, en particulier les États-Unis, se sont jusqu’à présent opposées – et que soit mise en place une procédure de sélection des dirigeants fondée sur une « double majorité ». Dans un tel système, les candidats devraient obtenir à la fois la majorité des votes pondérés (qui reflètent les parts des États dans l’institution) et le soutien d’une majorité de pays membres.
Deuxièmement, le Filet de sécurité financière mondial (FSFM) – réseau d’institutions qui apportent des financements indispensables en périodes de crise – doit être renforcé et rendu plus réactif aux besoins des économies en voie développement confrontées à des risques climatiques et macroéconomiques qui évoluent. En l’état actuel de la situation, non seulement le FSFM manque cruellement du soutien financier suffisant, mais il souffre également d’inégalités structurelles qui exposent davantage les pays en voie de développement. Un FSFM plus étendu et plus équitable permettrait de mieux protéger les États contre les chocs climatiques et autres crises, libérant ainsi des ressources pour favoriser le développement local.
Troisièmement, un mécanisme international doit être établi pour assurer la mise en œuvre de solutions justes et rapides aux crises de la dette souveraine. Des travaux doivent immédiatement autour d’un tel mécanisme, faisant intervenir une institution indépendante des créanciers et débiteurs (aspect indispensable pour un traitement équitable). Des solutions à court terme seront également nécessaires pour remédier à la crise de la dette souveraine qui fait actuellement obstacle au développement des pays du Sud, en empêchant les investissements essentiels dans l’action climatique et les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies.
Quatrièmement, il est impératif d’accroître significativement le financement climatique, ainsi que d’aligner l’ensemble des flux financiers publics et privés – prêts des institutions financières internationales inclus – sur les objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat. Les organismes internationaux de normalisation doivent agir avec détermination pour traiter les risques financiers liés au climat, ainsi que pour soutenir ce que l’on appelle « l’alignement sur Paris ».
Cinquièmement, les banques de développement internationales, nationales et infranationales doivent être renforcées. L’adaptation et l’atténuation du changement climatique nécessiteront des investissements massifs, et il existe des limites à ce que les institutions financières commerciales peuvent accomplir. Par conséquent, les banques et fonds publics de développement doivent jouer un rôle beaucoup plus important dans le financement de la transformation structurelle et du développement durable. Les banques multilatérales de développement (BMD) et les institutions de financement du développement (IFD) doivent travailler en étroite collaboration avec leurs homologues nationaux et infranationaux pour les aider à réaliser leur potentiel.
Sixièmement, des avancées doivent être accomplies sur la voie d’un système monétaire et de réserve de change multilatéral, centré sur les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI. En raison de la centralité du dollar américain dans le système monétaire international (que certains qualifient de « non-système »), les politiques d’une seule banque centrale – la Réserve fédérale américaine – impactent de manière disproportionnée les conditions monétaires et le cycle financier à travers le monde. Dans un système plus stable, le FMI émettrait régulièrement des DTS pour répondre à l’augmentation de la demande mondiale en réserves de change, tout en procédant à des allocations supplémentaires automatiques en périodes de crise. Dans le même temps, afin de réduire le risque de change dans les pays bénéficiaires, les BMD et les IFD fourniraient des financements en monnaie locale.
Septièmement, il est nécessaire que le FMI et les institutions financières régionales créent des mécanismes de coordination des politiques pour gérer la volatilité des flux de capitaux entre les régions, ainsi qu’entre les économies développées et les économies en voie de développement. Une taxe sur les transactions financières internationales pourraient également être mise en place afin de limiter les perturbations causées par les flux de capitaux à court terme. Les revenus considérables générés par une telle taxe pourraient être utilisés pour financer les ODD et l’action climatique.
Enfin, l’architecture fiscale internationale doit être renforcée pour soutenir un développement équitable, inclusif et durable. Une plus grande transparence fiscale et des mécanismes améliorés de partage transfrontalier des informations bancaires et financières pourraient permettre aux États de générer davantage de recettes fiscales intérieures. Par ailleurs, une Convention-cadre contraignante des Nations Unies sur la fiscalité, combinée à des mesures de lutte contre les flux financiers illicites, permettrait de créer de nouvelles sources de financement du développement, et de réduire la dépendance vis-à-vis de l’aide publique au développement.
La conférence de Bretton Woods de 1944 fut un moment sans précédent d’action collective. Il est grand temps qu’ait lieu un nouveau moment comparable, consistant pour les dirigeants mondiaux à établir une nouvelle vision d’avenir pour l’architecture financière mondiale.
Cet article est cosigné par William Kring, directeur exécutif du Global Development Policy Center de l’Université de Boston ; Kamal Ramburuth, chercheur à l’Institute for Economic Justice ; et Sarah Ribbert, directrice principale de programme à la Heinrich Böll Foundation.
Ulrich Volz, professeur d'économie et directeur du Centre pour la finance durable à la SOAS de l’Université de Londres, est coprésident du projet Debt Relief for Green and Inclusive Recovery. Janak Raj est membre principal du Centre for Social and Economic Progress. Monica Herz, professeure associée à l’Institut des relations internationales de l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, est membre principale du Centre brésilien pour les relations internationales, et membre du Conseil exécutif du BRICS Policy Center.
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