À l’heure où voyager n’est pas permis, comment protéger les emplois dans le secteur touristique

Dimanche 29 Mars 2020

L’industrie du tourisme est à l'arrêt. Alors que les responsables publics dans le monde entier cherchent à atténuer les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur l'économie, le processus de redressement ne pourra commencer qu’une fois l’urgence sanitaire maîtrisée et les restrictions de voyage levées. Plus la crise sanitaire durera, plus les entreprises auront du mal à survivre et plus leurs salariés souffriront. Et cela vaut tout particulièrement pour les petites et moyennes entreprises qui représentent des acteurs essentiels de l'écosystème touristique.


Les tours jumelles de Viru Gate dans la vieille ville de Tallinn, Estonie. Le pays a modifié sa campagne de promotion touristique sur Twitter : à la place de « Visitez l’Estonie », on peut lire à présent « Visitez l’Estonie... Bientôt. #resteràlamaison ». Photographie : © Boris Stroujko/Shutterstock
Les tours jumelles de Viru Gate dans la vieille ville de Tallinn, Estonie. Le pays a modifié sa campagne de promotion touristique sur Twitter : à la place de « Visitez l’Estonie », on peut lire à présent « Visitez l’Estonie... Bientôt. #resteràlamaison ». Photographie : © Boris Stroujko/Shutterstock
Les gouvernements sont inquiets, à juste titre. Selon les dernières estimations du Conseil mondial du voyage et du tourisme, 50 millions d’emplois dans le monde sont en danger , ce qui correspond à une contraction comprise entre 12 et 14  % . Dans un grand nombre de pays, le tourisme tient une place prépondérante dans le PIB, et c’est aussi la principale source de devises et d’emplois, en particulier chez les populations vulnérables, les femmes et les jeunes. Pour les pays en développement très tributaires du tourisme — qui peut représenter jusqu’à 20 % du PIB dans 37 pays   —, la crise sanitaire est déjà une crise économique nationale.

Au début du virus, nombre de destinations qui n’étaient pas touchées ont financé des campagnes de marketing pour attirer une clientèle encore disposée à voyager. Aujourd’hui, toutes les stratégies commerciales incitant aux déplacements — même à l'intérieur des frontières d’un pays — sont clairement irresponsables . Conformément aux recommandations de l’OMS, il incombe à chacun de nous d’agir à son niveau pour « aplatir la courbe » de l'épidémie et réduire la transmission de la maladie. Cela signifie qu’il faut limiter les déplacements et minimiser toutes les formes d’interaction, ce qui inclut les voyages.

Les acteurs du secteur les plus novateurs essayent de faire preuve de sensibilité et d’instaurer un climat de confiance. À l’instar de l’Estonie, qui a modifié sa campagne de promotion touristique sur Twitter : à la place de « Visitez l’Estonie », on peut lire à présent « Visitez l’Estonie... Bientôt. #resteràlamaison » .

Il est difficile de prévoir quand adviendra le rebond. Mais, dans l’immédiat, les pouvoirs publics et les entreprises du secteur privé mettent en œuvre des mesures de crise destinées à protéger autant que possible l’industrie du tourisme . Et la vitesse de rétablissement sera d’autant plus grande que ces actions sont coordonnées et intégrées. En voici quelques exemples remarquables.
  • Générer des revenus alternatifs. L’industrie et les destinations touristiques s’efforcent d’innover pour se maintenir à flot tout en décourageant les voyages. À Manchester  , par exemple, les acteurs de la restauration ont mis en place un système d’achat de coupons assortis d’un dispositif de dons pour soutenir le secteur. D’autres initiatives développent des formules de « consommation à la maison » : visites virtuelles, audioguides, cours de cuisine, yoga, relaxation, livraison de plats à domicile...
  • Minimiser les pertes de revenu. Les acteurs du secteur sont nombreux à supprimer les frais de changement sur les réservations, tout en incitant leurs clients à reporter plutôt que d'annuler leur voyage.
  • Planifier et communiquer. Dans les destinations touristiques, des associations se regroupent au sein de réseaux d’urgence virtuels, dans l’objectif notamment de s’unir pour fermer la totalité des attractions touristiques, suivre l’évolution de la situation et communiquer avec les acheteurs professionnels et les consommateurs via les médias sociaux. Les meilleures campagnes de communication doivent promouvoir la transparence et se concentrer sur les risques sanitaires, le nombre de cas et les mesures d'atténuation, à l’instar des portails de Copenhague et de Salzbourg  . La recherche d’un accord commun sur les principales demandes des pouvoirs publics, du secteur financier, des associations, des associations professionnels et des syndicats peut également permettre d'agir plus vite.
  • Informer le secteur. Les pouvoirs publics et les associations professionnelles peuvent fournir des conseils et des informations actualisées sur toutes les mesures qui concernent le secteur et/ou leurs membres, ainsi que sur les modalités pour obtenir un soutien de La Fédération nationale des travailleurs indépendants et des petites entreprises du Royaume-Uni qui propose par exemple une présentation exhaustive de toutes les mesures d'aide  .
  • Réduire la charge fiscale. Les gouvernements s’emploient à suspendre ou alléger le paiement des impôts sur le revenu, des taxes foncières, de la taxe sur la valeur ajoutée et autres droits dus par les entreprises, y compris le report du prélèvement de l'impôt à la source et le paiement de congés maladie pour venir en aide aux salariés confrontés à une baisse de leurs revenus. La Nouvelle-Zélande a par exemple annoncé un important train de mesures d'allègement fiscal  , tandis que Myanmar   a décidé de suspendre l'impôt de 2 % appliqué sur les exportations.
  • Soutenir la lutte contre la contamination. Il s’agit ici du soutien public apporté aux entreprises, sous la forme d’aides financières et/ou de matériel, pour les aider à faire face au coût induit par la gestion du virus, notamment pour les mesures de désinfection. Singapour a ainsi mis en place un fonds de soutien dédié au nettoyage des hôtels  .
  • Injecter des liquidités. Gouvernements, établissements financiers et autres entités apportent des subventions, des fonds ou des capitaux alternatifs aux entreprises les plus à risque (à savoir les PME) — à l’instar du plan adopté par la Small Business Administration aux États-Unis —, ainsi que des lignes de crédit et des fonds de roulement.
  • Réduire la dette. Les banques mettent en place des aménagements sur le remboursement des prêts immobiliers et des reports des échéances.
  • Redéployer les ressources. Les destinations touristiques étudient actuellement les possibilités de réaffectation de certains personnels et établissements, afin de soutenir les interventions de santé publique : recyclage de personnels commerciaux navigants pour appuyer les opérations de dépistage, ou reconversion d’hôtels pour l’accueil de patients qui ne sont pas à risque.
Le Groupe de la Banque mondiale collabore actuellement avec ses partenaires en vue d’apporter des informations et des données fiables sur ce qui attend le secteur du tourisme et tirer les enseignements du passé  : crise financière mondiale, H1N1, SRAS, tsunamis, Ebola... Dans les pays où nous soutenons déjà des programmes touristiques, nos efforts s'attacheront à réorienter ces financements pour faire face aujourd’hui à la crise, tout en aidant les pouvoirs publics à prendre des mesures pour renforcer la résilience du secteur et être prêt, demain, à rebondir au moment de la reprise.

Caroline Freund

Économiste en chef, Banque mondiale
 
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