Après Paris

Lundi 23 Novembre 2015

Les attentats commis à Paris par des individus associés à l'État islamique, juste après les attentats à l'explosif à Beyrouth et la destruction en vol d'un avion de ligne russe dans la péninsule du Sinaï, soulignent le fait que la menace terroriste est entrée dans une nouvelle phase, plus dangereuse. La raison pour laquelle l'État islamique a décidé d'organiser ces attaques précisément maintenant est une question de conjecture : il se pourrait bien que le fait qu'il se mondialise vienne compenser sa perte récente de territoire en Irak. Mais quelles qu'en soient les raisons, ce qui est certain, c'est qu'une réponse claire est garantie.


Richard N. Haass est Président du Council on Foreign Relations.
Richard N. Haass est Président du Council on Foreign Relations.
En fait, le défi posé par l'État islamique exige plusieurs réponses, car aucune politique unique ne promet d'être suffisante. Plusieurs efforts sont nécessaires sur plusieurs plans.
Le premier est d'ordre militaire. Des attaques aériennes plus intenses contre les équipements militaires de l'État islamique, contre les installations de pétrole et de gaz et les chefs militaires sont primordiales. Mais aucune quantité de puissance aérienne seule ne suffira. Une importante composante au sol est nécessaire pour prendre le contrôle du territoire et pour le maintenir.
Malheureusement, nous n'avons pas le temps de constituer une armée de partenaires sur le terrain à partir de zéro. Cela a déjà été tenté sans succès et les États arabes sont incapables ou refusent d'en constituer une. L'armée irakienne, elle non plus, n'a pas eu le succès escompté. Les milices soutenues par l'Iran ne font qu'empirer les choses.
La meilleure option consiste à collaborer plus étroitement avec les troupes kurdes et à sélectionner des tribus sunnites en Irak et en Syrie. Cela implique de fournir des renseignements, des armes et d'être prêt à envoyer davantage de soldats (plus de 3 500 américains y sont déjà, voire peut-être jusqu'à 10 000), pour former, conseiller et aider à diriger une riposte militaire.
Un tel effort doit être collectif. Il peut être informel : une « coalition de volontaires » qui pourrait comprendre les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, les États arabes et même la Russie si les conditions sont favorables, ou bien qui pourrait s'effectuer sous les auspices de l'OTAN ou des Nations Unies. L'emballage importe moins que les résultats. Toutefois, les déclarations symboliques de guerre sont à considérer avec prudence, de peur que l'État islamique ne fasse figure de gagnant, chaque jour où il ne perd pas.
Un volet diplomatique n'est pas moins essentiel à toute réponse. Le président syrien Bachar el-Assad est un outil de recrutement pour l'État islamique et doit s'en aller. Mais tout gouvernement qui lui succèdera doit être en mesure de maintenir l'ordre et de ne pas autoriser l'État islamique à exploiter un vide du pouvoir, comme c'est le cas en Libye.
En outre, on ne peut mettre en œuvre un changement politique ordonné qu'avec un soutien russe et iranien. Une option à court terme qui mérite d'être explorée est un gouvernement de coalition toujours dirigé par un représentant de la minorité alaouite, une concession qui pourrait bien être le prix à payer pour qu'Assad quitte le pouvoir. En principe et au fil du temps, un gouvernement national plus représentatif pourrait émerger, même si parler d'élections d'ici 18 mois paraît fantaisiste dans n'importe quel scénario.
Mais parvenir à un compromis dans ce sens pourrait bien être impossible. C'est pourquoi un effort militaire accru est nécessaire pour ouvrir des enclaves plus étendues, afin de mieux protéger les civils et de lutter contre l'État islamique. La Syrie n'est à aucun titre un pays normal et elle ne le sera pas avant longtemps, voire jamais. Une Syrie d'enclaves ou de cantons est un modèle plus réaliste pour l'avenir.
D'autres éléments indispensables à toute stratégie efficace comprennent une aide élargie ou une pression sur la Turquie afin qu'elle fasse beaucoup plus pour endiguer le flot de recrues de l'État islamique. Et la Turquie, ainsi que la Jordanie et le Liban, ont besoin de davantage d'aide financière, car ils assument la majeure partie de la charge des réfugiés. Les dirigeants arabes et musulmans peuvent jouer leur rôle en s'exprimant clairement pour défier la vision de l'État islamique et pour délégitimer son comportement.
Il y a aussi une dimension nationale à la politique. La sécurité du territoire national et la police (pour augmenter la protection aux frontières et au sein des frontières), devront s'adapter à l'accroissement de la menace. Les terroristes isolés (des individus ou des petits groupes effectuant des attaques armées contre des objectifs secondaires dans les sociétés ouvertes), sont extrêmement difficiles à gérer. La menace et la réalité des attaques vont exiger une plus grande résilience sociale et très probablement un rééquilibrage de la vie privée et de la sécurité collective.
Cela va également exiger une dose de réalisme. La lutte contre l'État islamique n'est pas une guerre conventionnelle. Nous ne pouvons pas l'éliminer ni le détruire dans un futur proche, car il est tout aussi bien un réseau et une idée qu'une organisation et un État de facto, qui contrôle un territoire et des ressources.
En effet, le terrorisme est et continuera d'être l'un des fléaux de notre époque. Cependant la bonne nouvelle est que la menace posée par l'État islamique au Moyen-Orient et dans le reste du monde peut être considérablement réduite grâce à une action durable et concertée. Voici la principale leçon des attaques sur Paris : nous devons être prêts à agir à long terme et à plusieurs endroits.
Richard N. Haass est Président du Council on Foreign Relations.
© Project Syndicate 1995–2015
 
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