BAD - Le Tchadien Bedoumra Kordjé veut la présidence

Jeudi 29 Janvier 2015

Le ministre tchadien des Finances et du Budget, Bedoumra Kordjé, est candidat à la succession de Donald Kaberuka à la tête de cette institution. De passage à Abidjan, il parle de ses atouts, évalue ses chances et révèle sa vision.
Le ministre tchadien des Finances et du Budget, Bedoumra Kordjé, est candidat à la succession de Donald Kaberuka à la tête de cette institution. De passage à Abidjan, il parle de ses atouts, évalue ses chances et révèle sa vision.


Bedoumra Kordjé  ,ministre tchadien des Finances et du Budget , candidat à la succession du rwandais Dr Donald Kaberuka
Bedoumra Kordjé ,ministre tchadien des Finances et du Budget , candidat à la succession du rwandais Dr Donald Kaberuka
Peut-on savoir les motivations de votre candidature à la présidence de la Bad ?
Il faut se situer dans l'environnement actuel où les populations et les dirigeants africains ont des aspirations légitimes de voir ce continent réellement émerger, peser par rapport aux questions du monde ; mais surtout de voir leurs pays se développer par rapport aux questions du monde, atteindre un niveau de développement qui permette de faire face à leurs besoins minimums. Je crois qu'aujourd'hui, il y a une attente légitime de ce continent qui a sa place et qui attire de plus en plus d'investisseurs. Tout le monde le reconnaît comme étant le continent de l'avenir. Un tel continent a besoin d'un soutien fort de ses institutions et l'une d'elles est la Banque africaine de développement qui est la première institution de financement du développement en Afrique, reconnue aujourd'hui comme étant une banque qui contribue largement à l'essor des pays africains. Elle a une mission, celle du développement de l'Afrique, de l'assistance de l'Afrique. Et c'est dans ce contexte que je situe ma vision.
Voulez-vous dire que vous êtes l'homme qu'il faut à la tête de la Bad pour qu'elle assume pleinement sa mission ?
Je suis la personne qui, à la tête de cette banque, peut contribuer à ce qu'elle soit mobilisée, organisée pour répondre au mieux aux préoccupations des pays africains.
Pourquoi ?
Parce que je connais l'institution, j'y ai passé 29 ans. J'ai été aux opérations dans le financement de programmes au niveau des pays, puis secrétaire général de la banque. J'en ai été aussi le vice-président. C'est le dernier poste que j'ai occupé avant de rentrer dans mon pays. J'ai donc une ouverture d'esprit, une expérience élargie de la banque et je ne pense pas qu'il y ait aujourd'hui un autre cadre de cette institution qui ait eu cette chance d'avoir une telle expérience. Cela a été complété par l'expérience que j'ai eue au Tchad où j'ai été ministre du Plan, de l'Economie et de la Coopération internationale. J'ai également été secrétaire général du Président de la République, un poste stratégique qui permet de comprendre le fonctionnement d'un pays. Aujourd'hui, je suis ministre des Finances et du Budget avec les bonnes performances que nous avons au Tchad.
Vous avez donc beaucoup d'atouts...
Tout cela mis ensemble, j'estime que je remplis les conditions pour être efficace immédiatement et permettre à cette banque d'apporter l'appui attendu pour le développement du continent africain.
Vous venez de dire que vous avez passé près de 30 ans à la Bad. Mais de façon concrète, qu'avez-vous apporté à cette institution et qu'est-ce qui va changer ?
Le changement est l'aboutissement d'un processus qui doit répondre à un objectif qu'on s'est fixé. La banque, aujourd'hui, a fait des progrès énormes, en termes d'appui au développement du continent africain. Il y a eu la stratégie décennale qui a été approuvée et est en train d'être mise en œuvre. Mon rôle, si je prends les commandes de l'institution, sera de travailler à ce qu'elle ait une plus grande efficacité. Mais je pense que de façon légitime, les pays voudraient voir une banque plus présente à leur niveau. Une banque plus efficace en termes de performance dans la réalisation des opérations. Il faut donc, très rapidement, introduire les moyens de la rendre plus efficace pour permettre de répondre aux préoccupations que j'ai mentionnées tout à l'heure. Mais aussi de se concentrer sur les préoccupations immédiates au niveau du continent africain.
Lesquelles ?
Ces préoccupations immédiates, ce sont les questions de l'emploi des jeunes, de l'intégration régionale qui, aujourd'hui plus que jamais, doit aller au-delà du discours parce que sera ce continent aujourd'hui sans des marchés communs ? Les 54 pays pour 1 milliard d'habitants, c'est très peu par rapport à la Chine qui en a 1, 3 milliard ou à l'Inde qui en a 1,4 milliard. Voilà autant de préoccupations immédiates. Nous avons donc besoin d'un continent intégré et nous devons soutenir cette intégration. Car c'est la seule réponse valable à la transformation de notre économie, à la mise en commun de nos ressources, de nos compétences. C'est aussi la seule réponse valable pour les questions de sécurité et de paix. Nous devons aussi donner à la sécurité et la paix la place qu'elles méritent. Mais on ne peut pas faire tout cela si l'on ne met pas les Africains au-devant de tout, si le capital humain n'est pas au centre. J'ai la conviction qu'il faut se concentrer très rapidement sur les domaines spécifiques qui répondent aux préoccupations des Africains et surtout d'avoir des résultats par rapport à ces domaines là. C'est un débat ouvert qui sera fait avec les actionnaires africains et non-africains parce qu'il faut répondre à leurs préoccupations et être performant. Mais mon avantage est que je connais la maison, je sais où il faut agir et ce qu'il faut faire pour atteindre rapidement la performance.
L'institution pourra-t-elle, si vous êtes à sa tête, financer la lutte contre les mouvements terroristes, Boko Haram, par exemple ?
La question de la sécurité, de la paix et de la stabilité est assez importante. Des pays font l'objet de financements assez importants et en moins d'une année, ils sont déstabilisés. Une institution qui finance le développement ne peut pas ne pas s'intéresser à ces questions. Comment faire pour que l'argent ne se perde pas ? La banque n'a pas pour mission de financer les opérations militaires au sens strict du terme. Mais elle a l'obligation d'assister les pays dans la réflexion sur la prévention des conflits, sur les fondements qui contribuent à alimenter l'insécurité et la déstabilisation du paysage africain. Vous voyez la situation dans le Sahel. La pauvreté en est l'une des causes profondes. Il faut apporter des solutions qui évitent de voir le terroriste sous cet angle et que les gens ne vendent des illusions la jeunesse. On va aborder ces questions différemment.
De quelle manière ?
Le coût de toutes ces guerres en Afrique est énorme. Dans la région des Grands lacs, la Corne de l'Afrique, les énergies que ces pays perdent sont énormes. Il faut donc avec ces pays ce qu'il faut faire. Mais aussi avec ceux qui, peut-être, sont dans une situation déjà stable, les risques qui existent. Comment faire pour que les Africains regardent leur situation ? Cela ramène, évidemment, aux questions de gouvernance, d'équité, de partage de ressources. Ce sont autant d'éléments qu'il faut regarder de plus près pour aider les pays à se préserver de ce genre de risques.
Comment évaluez-vous vos chances dans cette bataille, quand on sait que les candidats à la succession de M. Kaberuka sont nombreux ?
Ma candidature à la Bad, c'est dans l'intérêt de l'Afrique, c'est pour servir le continent. C'est vrai qu'on n'est pas candidat à titre personnel, on est présenté par son pays. Des gouvernements interviennent, ce sont eux qui prennent la décision. Mais je pense qu'ils choisissent de nommer à la tête de l'institution la personne qui va aider à régler les problèmes de l'Afrique. On n'opte pas pour quelqu'un parce qu'il vient de telle ou telle région. Ce qui importe, c'est si cet individu va permettre à l'Afrique de se développer, de bénéficier au maximum de l'institution. J'estime avoir des chances si l'on tient compte de la réponse qu'il faut apporter aux problèmes que j'ai mentionnés tout à l'heure. Il faut une personne qui puisse apporter des réponses plus appropriées au développement du continent africain. Vu les différents contacts que j'ai, les différents éléments que j'ai pu avoir, objectivement, j'ai toutes les chances d'être élu, même si c'est une compétition qui est ouverte aux candidats de valeur. Sur ce point, il n'y a pas de doute, mais je pense qu'entre tout ce monde, il faut choisir la personne qui puisse répondre au mieux aux préoccupations des pays africains.
C'est vrai que le Tchad joue un grand rôle dans la Cemac, mais votre candidature est-elle aussi portée par cette organisation ?
Cette candidature est portée par la Cemac (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale) et même au-delà parce que les préoccupations des pays amis et d'autres personnes, c'est de voir quelqu'un capable de prendre cette banque en main, de la faire avancer. Elle a fait beaucoup de progrès, mais il y a encore des choses à faire. Je crois que c'est ce qui a dominé d'abord dans la convergence observée au niveau de la Cemac et des autres pays africains et non-africains qui sont de plus nombreux à soutenir cette candidature.
Lors du passage à Abidjan de l'un de vos concurrents, le Président ivoirien a souhaité une candidature unique au niveau du bloc francophone. Qu'en pensez-vous ?
Je n'ai pas de commentaire à faire par rapport aux déclarations d'Alassane Ouattara. C'est un homme de grande envergure, mondialement reconnu et qui a fait des choses extraordinaires pour le développement de ce pays. Il a aussi permis à la Bad de revenir à son siège. Je pense qu'il est préoccupé par le développement du continent africain, son émergence. Dans ses propos, c'est l'Afrique entière qu'il voit. Il s'agit. Et je pense qu'il faut rassembler l'ensemble des Africains par rapport à leurs objectifs, leur vision et que, quelle que soit la langue que les uns et les autres parlent, on puisse se retrouver dans un continent où l'on va davantage vers l'intégration régionale, vers un développement commun. C'est ce qui est le plus important.
Dans le cadre de la Francophonie, les Africains ont perdu le secrétariat général à cause de divisions internes. On est tenté de vous demander si le fait d'avoir un ou deux bons candidats ou même de se rallier à une seule candidature ne peut pas peser dans la balance...
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