CRISE DANS LE SECTEUR DU BTP AU SENEGAL : Les patrons n’en peuvent plus

Lundi 20 Janvier 2025

S’il y a un secteur économique qui mange son pain noir en ce moment, c’est bien celui du BTP (Bâtiment et travaux publics), principal moteur de la croissance. Entre arrêt des chantiers, pertes d’emplois, commande publique, la crise qui sévit dans ce secteur a de quoi inquiéter les acteurs. Invités, vendredi 17 janvier dernier dans l’émission économique hebdomadaire « Graînes de l’Eco » sur Sudfm, Messieurs Abdel Kader Ndiaye, président du Syndicat national des entreprises et travaux publics (SNBTP) affilié à la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (la Cnes) et M. Oumar Ndir, président du Syndicat professionnel des entreprises du bâtiment (Spebtps) affilié au Conseil national du patronat (le Cnp), ont fait un diagnostic alarmant.


CRISE DANS LE SECTEUR DU BTP AU SENEGAL : Les patrons n’en peuvent plus
 
« Le bâtiment est le vrai moteur de l’économie » ! Le président du Syndicat professionnel des entreprises du bâtiment (Spebtps), M. Oumar Ndir s’inscrit ainsi en faux avec l’assertion qui veut que : « c’est quand tout va que le bâtiment va ». Selon M. Ndir, « Un pays ne peut pas se construire sans les infrastructures physiques comme les routes, les ponts, les bâtiments administratifs, les logements, entre autres. » Pour confirmer son confrère, M. Abdel Kader Ndiaye, président du Syndicat national des entreprises et travaux publics (SNBTP), s’appuie sur les statistiques nationales et africaines pour dire que : « Le BTP représente plus de 4% du PIB national et africain et en termes d’effectifs, le secteur représente plus de 80 millions d’emplois, ce n’est pas négligeable. »

Tous deux étaient invités de l’émission économique hebdomadaire « Graînes de l’Eco » sur Sudfm, sur la problématique de l’avenir du secteur du BTP au Sénégal qui subit de plein fouet et depuis le mois de mai dernier, les contrecoups des mesures d’arrêt de tous les chantiers de la zone du littoral et sur dix sites à Dakar, entraînant plus de 10 000 emplois perdus et sans qu’aucune mesure d’accompagnement ne soit mise en place.

« Que l’on sache, il n’y a effectivement aucune mesure d’accompagnement qui a été prise et pire, nous n’avons été ni consultés ni associés à ces décisions, même si nous pouvons en comprendre le bien-fondé et la justification », explique le président du Spebtps. Mais c’est pour ajouter qu’« on ne peut pas du jour au lendemain, priver des acteurs économiques de leur gagne-pain et mettre en péril autant d’emplois. Moi-même j’ai dû mettre du personnel à l’arrêt et quand vous parlez de 10 000, je dirais plutôt quelque 20000 emplois affectés par ces mesures », a poursuivi M. Ndir.

Pour eux, dans cette situation, les patrons se débrouillent pour réaffecter sur d’autres chantiers et à d’autres fonctions, mais « le mal est là ! »

Abondant dans le même sens, le président du SNBTP estime que « C’est une mesure qui perturbe la branche professionnelle d’autant plus que nous attendions, au bout de six mois d’arrêt de ces chantiers, qu’il y ait des mesures d’accompagnement. Une concertation aurait permis par exemple de faire dans le discernement et préserver des programmes où il n’y avait rien à redire. »  
 
L’entreprise sénégalaise en apnée

Au-delà de la question ponctuelle, le souci devrait être celui de la question de la rationalité économique dans un contexte où les jeunes prennent la mer, ou le désert, où des entreprises ferment… « Déjà, nous avons subi de plein fouet les effets de la pandémie Covid et nos entreprises étaient carrément à l’arrêt », explique encore M. Ndiaye. « Ensuite il y a eu les évènements politiques de 2021 qui ont entraîné des perturbations énormes notamment sur l’activité ; si on y ajoute tous les autres soubresauts politiques qui se sont succédés, vous ne pouvez pas imaginer l’impact négatif sur l’entreprise notamment du BTP. »
La sempiternelle problématique de la commande publique est aussi revenue dans le débat et selon le président du SNBTP, « De 2019 à 2021, les marchés individuels enregistrés se chiffrent à 9700 milliards de Fcfa que les entreprises étrangères ont contractés au détriment de notre portefeuille. » Dans cette dynamique, poursuit M. Ndiaye, « avec les différents régimes qui se sont succédés au Sénégal, beaucoup d’argent a été injecté mais cela n’a pas eu d’impact sur notre économie et sur nos entreprises, malgré des taux de croissance qui ont évolué positivement. »  

Le message est le même, souligne M. Ndiaye : « Il y a nécessité de réajuster nos politiques publiques et rompre avec le caractère extraverti de notre économie qui est en train de tuer nos entreprises notamment la petite entreprise qui est en apnée !  Et quelqu’un me demandait d’ailleurs comment faites-vous pour survivre ?»

C’est le président Ndir qui donne la réponse : « Nous survivons d’abord en investissant moins dans l’outil de production, nous n’avons pas renouvelé notre parc matériel ; nous n’avons pas gratifié ni même augmenté les salaires ; nous-mêmes, patrons, nous percevons des revenus beaucoup plus modestes ; bref, nous avons serré la ceinture ! »

Et d’ajouter : « Nous nous sommes affamés et c’est ce que nous ne voulons plus, d’autant plus que nous nous sommes retrouvés dans une posture de mendiants, et je pèse mes mots sans citer de pays parce que je ne veux fâcher personne, car voici qu’on nous a invités à aller vers les entreprises étrangères, qui nous ont pris de haut, pour solliciter, respectueusement, notre petite part de contenu local. »

Pour sa part, M. Ndir estime que « Cela ne peut pas continuer car, qui paye commande et c’est le peuple sénégalais qui commande, qui va rembourser et qui doit donc exiger que les infrastructures soient réalisées par des entreprises sénégalaises afin que les bénéfices restent au Sénégal. » Il faudrait, renchérit M. Ndiaye, « que les grands projets structurants profitent à notre économie, à nos entreprises, à nos ménages. »
 
La co-traitance, exit la sous-traitance

Dans l’état actuel des choses, les patrons du BTP estiment que le principe de la sous-traitance doit être revu. Dans ce régime de sous-traitance, « Vous donnez tous les pouvoirs contractuels à un titulaire qui écrase les entreprises locales, d’abord la faiblesse des prix, les conditions d’exécution et de paiements, c’est-à-dire que les autorités contractantes en général ont mis l’entreprise sénégalaise dans une précarité qu’il faut corriger impérativement », souligne le président du SNBTP.

Cette correction pourrait se faire à travers la co-traitance en lieu et place de la sous-traitance. Une option plutôt risquée car, dans cette forme de partenariat, chaque partie est tenue responsable des éventuelles défaillances d’une autre. Mais pour le président du SPEBTPS, la sentence est claire : « Personnellement, d’un point de vue philosophique et idéologique, je rejette avec fermeté toute forme de groupement solidaire avec des entreprises non sénégalaises. Pour moi, la commande publique doit échoir aux entreprises de BTP sénégalaises d’autant qu’elles ont toutes les qualités et qualifications pour exécuter tous types de travaux publics au Sénégal et même ailleurs. »

Sauf que, on reproche souvent aux entreprises de BTP sénégalaises un problème de qualité dans les ouvrages. « Il n’y a aucun problème de qualité, il y a juste un problème de moyens et d’encadrement », assure M. Ndir qui informe que « Ce sont ces mêmes entreprises sénégalaises qui réalisent les infrastructures dans d’autres pays, allez au Mali, en Sierra Leone, en Gambie pour ne citer que ces pays, la plupart des infrastructures sont réalisées par des entreprises sénégalaises. En termes de perspectives, les patrons du BTP ont « bon espoir que les choses vont changer » car, selon M. Abdel Kader Ndiaye, « On ne peut pas construire une souveraineté économique qui n’est pas bâtie sur le patriotisme économique et la préférence nationale qui au demeurant n’est pas un slogan car tous les grands pays qui se sont développés l’ont fait sur cette base ».
Sombé FAYE
Actu-Economie


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