À l’heure où les dirigeants grecs réfléchissent aux différentes options, ils feraient bien de garder à l’esprit combien il existe de meilleurs et de moins bonnes manières de faire défaut sur une dette souveraine – notamment si l’État concerné entend rétablir au plus vite un certain degré de solvabilité. Dans les prochaines semaines et les prochains mois, le gouvernement grec aurait tout intérêt à faire preuve de sagesse en respectant trois principes guides :
Éviter l’invective : Le défaut est une situation douloureuse, même lorsqu’il se révèle un choix approprié à long terme. Au milieu de toute cette souffrance, il peut être tentant d’en pointer certains du doigt. Il est toutefois important de résister à cette tentation. En effet, les débiteurs souverains seront certainement amenés à interagir de nouveau avec les mêmes créanciers et acteurs internationaux. Bien qu’il soit difficile de déterminer la mesure dans laquelle les déclarations peu diplomates de l’Argentine au cours de son épisode de défaut ont mis à mal ses efforts face au système juridique des États-Unis, il est clair que le discours officiel irréfléchi du pays n’a pas amélioré son cas.
Dans le contexte grec, trop de noms d’oiseaux ont d’ores et déjà été proférés autour de crises de la dette souveraine. La Grèce aurait davantage intérêt à formuler des regrets quant à l’incapacité à atteindre une solution négociée, tout intérêt à présenter un projet clair de gestion à court et long terme de son défaut, ainsi qu’à faire valoir une stratégie convaincante en direction de la reprise et de la croissance du pays.
Être capable de s’expliquer : À la suite d’un défaut, il faut s’attendre à ce que personne ne prête attention aux explications même les plus rationnelles. Les créanciers feront sans doute valoir combien la décision de défaut aura constitué une terrible erreur, et combien toute reprise serait impossible à moins que l’on ne revienne rapidement sur cette décision. Il n’est pas impossible que certains observateurs souhaitent le plus triste destin à un pays aussi désobéissant, ne serait-ce que pour prouver un argument et donner une leçon aux pays qui envisageraient la même voie. D’autres acteurs, parmi lesquels d’éventuels créanciers futurs, pourraient toutefois être plus ouverts à la persuasion.
On considère généralement la solvabilité comme reposant sur deux aspects : la volonté de payer, et la capacité à payer. Le défaut semble constituer la démonstration concrète des limites de la volonté de paiement dont peut faire preuve un État, au moins à court terme. Les choses ne sont néanmoins pas toujours aussi simples. Un État en défaut peut en effet incarner l’idée du refus de payer une dette en particulier, sans pour autant que ce pays refuse dans son ensemble la logique du paiement des dettes.
Dans le cas de la Grèce, il est possible que certains investisseurs et commentateurs se rapprochent de l’affirmation des autorités selon laquelle les mesures d’austérité n’auraient fait qu’entraver la reprise du pays. Il est possible que ceux-ci acceptent l’idée d’un défaut s’inscrivant dans le cadre d’un ensemble de politiques destinées à améliorer les fondamentaux économiques du pays, et ainsi sa capacité à rembourser ses dettes à long terme.
Rembourser certaines dettes : Bien que cela puisse sembler illogique, les pays en défaut ont intérêt à envisager de rembourser certaines de leurs dettes – selon les modalités de leur choix, et de manière progressive – afin de rebâtir une certaine solvabilité. De la même manière que certains expliquent qu’un défaut impliquerait que les paiements soient liés à la reprise économique, il peut être sensé de fixer les conditions d’une reprise des paiements – et de procéder dès lors que ces conditions sont réunies.
Bien entendu, ceci pourrait affaiblir la faculté du débiteur – à travers la promesse d’un remboursement futur – à réunir de nouveau les créanciers à la table des négociations. Mais cette démarche permettrait également de démontrer aux créanciers existants, comme aux éventuels créanciers futurs, non seulement une capacité, mais également une volonté d’honorer des paiements, incitant par conséquent les acteurs extérieurs à soutenir la reprise économique.
Même après l’événement de répudiation des dettes de la Russie tsariste en URSS – sans doute l’épisode de défaut sur dette le plus célèbre (et le plus mécompris) du XXe siècle – certains créanciers n’excluaient pas de prêter au nouveau régime, notamment par ce que les agences soviétiques remboursaient une dette qu’ils considéraient comme légitime. Plus récemment, l’Équateur a poursuivi ses paiements relatifs à la faible portion de dette que le pays jugeait acceptable après être entré en défaut sur ses dettes internationales en 2008 (dans des circonstances beaucoup moins extrêmes qu’en Grèce). Ce remboursement a contribué à une lente amélioration de sa notation de crédit, et en fin de compte à son retour sur les marchés de capitaux internationaux en 2014.
Même si la Grèce parvient dans les temps à un accord lui permettant d’honorer la première échéance due au FMI début juin, elle pourrait ne pas être en mesure d’honorer les paiements encore plus conséquents qui lui seront demandés dans la suite de l’été. Il est probable que le gouvernement grec et ses créanciers se réunissent de nouveau à la table des négociations. Il faut espérer qu’un défaut unilatéral ne sera pas nécessaire. Mais si la Grèce venait à emprunter cette voie, il lui faudra alors arpenter le chemin avec la plus grande délicatesse.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Odette Lienau, professeur de droit à la Cornell University, est l’auteur de l’ouvrage intitulé Rethinking Sovereign Debt: Politics, Reputation, and Legitimacy in Modern Finance .
Éviter l’invective : Le défaut est une situation douloureuse, même lorsqu’il se révèle un choix approprié à long terme. Au milieu de toute cette souffrance, il peut être tentant d’en pointer certains du doigt. Il est toutefois important de résister à cette tentation. En effet, les débiteurs souverains seront certainement amenés à interagir de nouveau avec les mêmes créanciers et acteurs internationaux. Bien qu’il soit difficile de déterminer la mesure dans laquelle les déclarations peu diplomates de l’Argentine au cours de son épisode de défaut ont mis à mal ses efforts face au système juridique des États-Unis, il est clair que le discours officiel irréfléchi du pays n’a pas amélioré son cas.
Dans le contexte grec, trop de noms d’oiseaux ont d’ores et déjà été proférés autour de crises de la dette souveraine. La Grèce aurait davantage intérêt à formuler des regrets quant à l’incapacité à atteindre une solution négociée, tout intérêt à présenter un projet clair de gestion à court et long terme de son défaut, ainsi qu’à faire valoir une stratégie convaincante en direction de la reprise et de la croissance du pays.
Être capable de s’expliquer : À la suite d’un défaut, il faut s’attendre à ce que personne ne prête attention aux explications même les plus rationnelles. Les créanciers feront sans doute valoir combien la décision de défaut aura constitué une terrible erreur, et combien toute reprise serait impossible à moins que l’on ne revienne rapidement sur cette décision. Il n’est pas impossible que certains observateurs souhaitent le plus triste destin à un pays aussi désobéissant, ne serait-ce que pour prouver un argument et donner une leçon aux pays qui envisageraient la même voie. D’autres acteurs, parmi lesquels d’éventuels créanciers futurs, pourraient toutefois être plus ouverts à la persuasion.
On considère généralement la solvabilité comme reposant sur deux aspects : la volonté de payer, et la capacité à payer. Le défaut semble constituer la démonstration concrète des limites de la volonté de paiement dont peut faire preuve un État, au moins à court terme. Les choses ne sont néanmoins pas toujours aussi simples. Un État en défaut peut en effet incarner l’idée du refus de payer une dette en particulier, sans pour autant que ce pays refuse dans son ensemble la logique du paiement des dettes.
Dans le cas de la Grèce, il est possible que certains investisseurs et commentateurs se rapprochent de l’affirmation des autorités selon laquelle les mesures d’austérité n’auraient fait qu’entraver la reprise du pays. Il est possible que ceux-ci acceptent l’idée d’un défaut s’inscrivant dans le cadre d’un ensemble de politiques destinées à améliorer les fondamentaux économiques du pays, et ainsi sa capacité à rembourser ses dettes à long terme.
Rembourser certaines dettes : Bien que cela puisse sembler illogique, les pays en défaut ont intérêt à envisager de rembourser certaines de leurs dettes – selon les modalités de leur choix, et de manière progressive – afin de rebâtir une certaine solvabilité. De la même manière que certains expliquent qu’un défaut impliquerait que les paiements soient liés à la reprise économique, il peut être sensé de fixer les conditions d’une reprise des paiements – et de procéder dès lors que ces conditions sont réunies.
Bien entendu, ceci pourrait affaiblir la faculté du débiteur – à travers la promesse d’un remboursement futur – à réunir de nouveau les créanciers à la table des négociations. Mais cette démarche permettrait également de démontrer aux créanciers existants, comme aux éventuels créanciers futurs, non seulement une capacité, mais également une volonté d’honorer des paiements, incitant par conséquent les acteurs extérieurs à soutenir la reprise économique.
Même après l’événement de répudiation des dettes de la Russie tsariste en URSS – sans doute l’épisode de défaut sur dette le plus célèbre (et le plus mécompris) du XXe siècle – certains créanciers n’excluaient pas de prêter au nouveau régime, notamment par ce que les agences soviétiques remboursaient une dette qu’ils considéraient comme légitime. Plus récemment, l’Équateur a poursuivi ses paiements relatifs à la faible portion de dette que le pays jugeait acceptable après être entré en défaut sur ses dettes internationales en 2008 (dans des circonstances beaucoup moins extrêmes qu’en Grèce). Ce remboursement a contribué à une lente amélioration de sa notation de crédit, et en fin de compte à son retour sur les marchés de capitaux internationaux en 2014.
Même si la Grèce parvient dans les temps à un accord lui permettant d’honorer la première échéance due au FMI début juin, elle pourrait ne pas être en mesure d’honorer les paiements encore plus conséquents qui lui seront demandés dans la suite de l’été. Il est probable que le gouvernement grec et ses créanciers se réunissent de nouveau à la table des négociations. Il faut espérer qu’un défaut unilatéral ne sera pas nécessaire. Mais si la Grèce venait à emprunter cette voie, il lui faudra alors arpenter le chemin avec la plus grande délicatesse.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Odette Lienau, professeur de droit à la Cornell University, est l’auteur de l’ouvrage intitulé Rethinking Sovereign Debt: Politics, Reputation, and Legitimacy in Modern Finance .