Comment financer la sécurité climatique

Lundi 12 Janvier 2015

NEW YORK – Le but du système financier mondial consiste à affecter l'épargne du monde à ses usages les plus productifs. Lorsque le système fonctionne correctement, cette épargne est affectée à des investissements qui augmentent le niveau de vie. En cas de dysfonctionnement, comme ces dernières années, l'épargne est canalisée vers des bulles immobilières et des projets nuisibles à l'environnement, y compris ceux qui exacerbent le réchauffement climatique anthropique.


Jeffrey D. Sachs est professeur de Développement durable, professeur de Politique sanitaire et Directeur du Earth Institute à l'Université Columbia
Jeffrey D. Sachs est professeur de Développement durable, professeur de Politique sanitaire et Directeur du Earth Institute à l'Université Columbia
L'année 2015 sera un tournant dans les efforts visant à créer un système financier mondial qui contribue à la sécurité climatique plutôt qu'au désastre climatique. En juillet, les gouvernements du monde vont se réunir à Addis Abeba  pour forger un nouveau cadre de la finance mondiale.
L'objectif de la réunion va consister à faciliter un système financier qui soutienne le développement durable, ce qui signifie une croissance économique qui soit socialement inclusive et respectueuse de l'environnement. Cinq mois plus tard à Paris, les gouvernements du monde signeront un nouvel accord mondial visant à contrôler le réchauffement climatique anthropique et à canaliser les fonds vers une énergie respectueuse du climat, en s'appuyant sur les progrès réalisés au début du mois dans les négociations de Lima au Pérou. Là aussi, les finances vont jouer un rôle important.
Les principes sont clairs. La sécurité climatique exige que tous les pays modifient leurs systèmes d'énergie en abandonnant le charbon, le pétrole et le gaz, au profit de l'éolien, du solaire, de la géothermie et d'autres ressources à faible taux de carbone. Nous devons également tester à grande échelle la faisabilité de la capture et du stockage de carbone (CSC), ce qui pourrait permettre à long terme une utilisation sûre d'au moins certains combustibles fossiles. Au lieu de cela, le système financier mondial a continué à injecter des centaines de milliards de dollars par an dans l'exploration et le développement de nouvelles réserves de combustibles fossiles, tout en se dirigeant très peu vers les techniques de CSC.
De nombreux investissements dans de nouvelles réserves de combustibles fossiles vont perdre de l'argent (beaucoup d'argent) en raison de la récente chute mondiale des prix du pétrole. Et la plupart des réserves de combustibles fossiles que les entreprises développent actuellement finiront par être « abandonnées » (laissées sur le sol) dans le cadre des nouvelles mesures climatiques mondiales. Le fait est que le monde dispose de beaucoup plus de ressources fossiles que de combustibles pouvant être brûlés en toute sécurité, compte tenu des réalités du réchauffement climatique anthropique.
Bien que les signaux du marché ne soient pas encore très clairs, les investisseurs qui ont le mieux réussi cette année ont été ceux qui ont vendu leurs avoirs en combustibles fossiles, évitant ainsi un krach des prix du pétrole. Peut-être qu'ils ont tout simplement eu de la chance cette année, mais leur décision de vendre est logique à long terme, car elle anticipe correctement sur l'avenir du changement de politique des combustibles fossiles et vers une énergie faible en carbone.
Plusieurs importants fonds de pensions et organismes de prévoyance aux États-Unis et en Europe ont récemment fait cette démarche. Ils ont sagement écouté les paroles de Lord Browne, l'ancien PDG du géant pétrolier BP, qui a récemment fait remarquer  que le changement climatique constitue une « menace existentielle » pour l'industrie pétrolière.
Davantage de gouvernements à travers le monde mettent actuellement en place la tarification du carbone afin de refléter les coûts sociaux élevés inhérents à l'utilisation continue de combustibles fossiles. Chaque tonne de dioxyde de carbone émise dans l'atmosphère par combustion de charbon, de pétrole ou de gaz augmente à long terme le réchauffement climatique et donc les coûts à long terme que la société engage par des sécheresses, des inondations, des vagues de chaleur, des tempêtes énormes et l'élévation du niveau de la mer. Bien que l'on ne puisse pas prédire avec précision ces coûts futurs, des études récentes estiment le coût social actuel de chaque tonne atmosphérique de CO2 supplémentaire entre 10 et100 dollars, d'après le calcul du gouvernement américain qui utilise une estimation moyenne d'environ 40 dollars par tonne  pour guider sa réglementation de l'énergie.
Certains pays comme la Norvège et la Suède ont introduit depuis longtemps une taxe sur les émissions de CO2 ayant un coût social de 100 $ la tonne, voire davantage. De nombreuses entreprises privées, y compris les grandes compagnies pétrolières, ont récemment introduit un coût de comptabilité interne des émissions de carbone pour orienter leurs décisions concernant les investissements en combustibles fossiles. Cela permet aux entreprises d'anticiper les conséquences financières des futures réglementations gouvernementales et de la fiscalité.
Comme plusieurs pays et entreprises introduisent la tarification du carbone, le coût de la comptabilité interne des émissions de carbone va augmenter, les investissements dans les carburants fossiles seront moins attractifs et les investissements dans les systèmes d'énergie à faibles émissions de carbone le seront davantage. Les signaux du marché de la taxation du CO2 (ou les coûts des permis d'émission de CO2) vont aider les investisseurs et les gestionnaires de fonds à éviter de nouveaux investissements dans les combustibles fossiles. Les taxes sur le carbone offrent également aux gouvernements une source essentielle de recettes pour de futurs investissements dans les énergies faibles en carbone.
Avec les prix internationaux du pétrole en forte chute (40 dollars le baril depuis cet été), c'est le moment idéal pour introduire la tarification du carbone par les gouvernements. Plutôt que de baisser le prix à la consommation de pétrole en égale proportion, les gouvernements devraient remplacer cela par une taxe carbone.
Les consommateurs y trouveraient encore leur compte. Parce que chaque baril de pétrole émet environ 0,3 tonnes de CO2, une taxe carbone d'environ 40 dollars par tonne de COimplique une taxe sur le pétrole de seulement 12 dollars par baril. Et parce que les prix du pétrole ont baissé de plus du triple de la taxe, les consommateurs continueraient à payer beaucoup moins qu'il y a quelques mois.
En outre, les nouvelles recettes issues des taxes sur le carbone pourraient être une aubaine pour les gouvernements. Les pays à revenus élevés ont promis d'aider les pays à faibles revenus à investir dans la sécurité climatique, à la fois en termes d'énergie à faible émission de carbone et de résilience contre les chocs climatiques. Plus précisément, ils ont promis 100 milliards de dollars de financement liées au climat par an à partir de 2020, soit une augmentation de 25 à 30 milliards de dollars cette année. Les nouvelles recettes d'une taxe sur le CO2fourniraient un moyen idéal pour honorer cet engagement.
Le calcul est simple : les pays à revenus élevés ont généré environ 18 milliards de tonnes de CO2 cette année, soit environ la moitié des émissions mondiales. Si ces pays allouaient seulement 2 dollars par tonne de CO2 à des organismes de financement mondiaux comme le nouveau Fonds vert pour le climat et aux banques régionales de développement, ils pourraient transférer près de 36 milliards de dollars par an. En utilisant une partie de cet argent pour mobiliser des financements du secteur privé, la somme totale de 100 milliards de dollars pour le financement du climat pourrait être réunie.
Les grandes sociétés pétrolières et financières ont fait des erreurs ces dernières années, en acheminant des fonds vers des investissements socialement destructeurs. En 2015, ces deux secteurs économiques puissants et le monde dans son ensemble peuvent commencer à y remédier. Nous avons à notre portée les caractéristiques d'un nouveau système financier mondial qui dirige l'épargne vers des entreprises nécessaires de toute urgence : le développement durable et la sécurité du climat, pour nous et pour les générations futures.
Jeffrey D. Sachs est professeur de Développement durable, professeur de Politique sanitaire et Directeur du Earth Institute à l'Université Columbia. Il est également conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies sur les Objectifs du millénaire pour le développement.
 
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