Comment la BAD peut-elle contribuer à l'émergence de l'Afrique ? Un entretien exclusif avec Jaloul Ayed

Jeudi 30 Avril 2015

Pour l'ancien ministre tunisien de l'Économie, dans ce moment historique que vit l'Afrique, la Banque africaine de développement (BAD) apparaît comme un outil majeur pour amplifier et pérenniser le développement économique. Jaloul Ayed évoque ici pour La Tribune quelques-unes des idées clés de sa note stratégique de candidat à la présidence de la BAD, qui va être renouvelée le 28 mai.


Jaloul Ayed, ancien ministre tunisien de l'Économie, candidat à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD)
Jaloul Ayed, ancien ministre tunisien de l'Économie, candidat à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD)
LA TRIBUNE - Quelles priorités d'action préconisez-vous pour soutenir le développement des infrastructures du continent ?
JALOUL AYED - Le déficit énergétique m'apparaît l'obstacle majeur au développement économique. C'est pourquoi nous pensons que la banque doit agir sans hésitation et de façon proactive au profit des États-membres régionaux, notamment les plus pauvres et les plus fragiles d'entre eux, pour les aider à concevoir des stratégies à court et à long termes destinées à répondre à leurs besoins en énergie. Ce faisant, la Banque doit effectuer une évaluation précise - car cruciale - des récentes avancées technologiques en matière d'énergie, telles que les centrales électriques mobiles, les nouveaux aménagements de stockage hautement efficients des énergies renouvelables, et le développement de réseaux intelligents. Ceci pourrait ouvrir la voie à une union énergétique africaine semblable à celle actuellement envisagée par l'Union européenne.
 
Au-delà de l'énergie, quelles autres infrastructures entendez-vous privilégier ?
La Banque doit donner la priorité aux projets d'infrastructure sur la base des besoins, en privilégiant ceux qui ont le plus fort impact socio-économique. Outre l'énergie, Il faut mettre l'accent sur les autres infrastructures dites « critiques  », car essentielles à la survie de la société et de l'économie  : le transport, les télécommunications, l'approvisionnement en eau, les chaînes alimentaires, la santé publique, la sûreté, la sécurité et les services financiers.
Qu'envisagez-vous de faire pour les entreprises du secteur privé, et en particulier pour pallier le déficit chronique du financement des PME  ?
Le secteur privé représente sans aucun doute l'épine dorsale de la croissance économique et est de plus en plus reconnu comme le moteur central du développement. En Afrique, les micros, petites et moyennes entreprises (MPME) emploient 90 % de la population active. La Banque devrait ainsi aider les États-membres régionaux à s'atteler sérieusement aux problèmes chroniques auxquels les MPME font face. Les actions politiques à mener comprendraient une série de mesures réglementaires, fiscales et autres visant à créer un environnement propice.
Par exemple, la Banque devrait envisager de promouvoir une « loi pour les petites entreprises  », un « Small Business Act  » africain. Afin d'élaborer cette « loi  », la Banque pourrait prendre exemple sur des « lois  » similaires actuellement en vigueur aux États-Unis et en Europe. La Banque doit aussi participer à l'émergence d'écosystèmes stimulant l'entrepreneuriat dans toute l'Afrique. Par ailleurs, la faiblesse de leurs fonds propres constitue le vrai drame des PME africaines. La BAD doit par conséquent sensibiliser les décideurs politiques des États-membres régionaux à l'importance de développer les fonds de capital-risque, car ils constituent un instrument fondamental pour répondre aux besoins pressants des PME africaines en capitaux de moyen et long termes. La BAD pourrait par ailleurs aider les banques commerciales à adopter des techniques d'évaluation financière et de gestion des risques spécifiquement conçues pour les PME (marketing-cible, notation, procédure de détection des problèmes, gestion corrective...). Enfin, la BAD pourrait, si nécessaire, mettre en place des lignes de crédits au profit des banques commerciales pour les aider à soutenir les PME.
Comment optimiser le potentiel financier de l'Afrique  ?
La Banque est particulièrement bien placée pour assister, sur les plans technique et financier, les États-membres régionaux en matière de promotion de programmes de développement du secteur financier et de politiques visant à  : accroître l'inclusion financière et réduire les barrières à l'entrée du marché pour les ménages à faibles revenus et les femmes, à travers notamment la mise en place de solutions technologiques innovantes et d'un environnement plus propice aux services de la microfinance ; faciliter l'accès du secteur privé à des sources alternatives de capitaux de moyen et long termes, telles que par exemple le capital-risque, ainsi qu'à des mécanismes de financement novateurs  promouvoir les marchés de capitaux locaux, notamment les marchés obligataires, et créer les conditions favorables à l'émergence de marchés secondaires actifs et liquides, aussi bien pour les titres de créance que de capital  renforcer la gouvernance au niveau du secteur financier et améliorer l'environnement réglementaire et prudentiel afin d'attirer des capitaux à plus long terme.
Enfin, en œuvrant en étroite collaboration avec les gouvernements africains, la Banque pourrait encourager à harmoniser les politiques et la réglementation du secteur financier, afin de stimuler les investissements transfrontaliers et la circulation des capitaux entre les différents pays africains, et contribuer ainsi à accélérer l'intégration économique régionale.
Vous préconisez aussi la libéralisation des systèmes de pension  ?
Oui, et cela revêt une importance particulière, car on anticipe une croissance importante de cette industrie, à quelque 630 milliards de dollars d'ici à 2020, représentant le stock d'actifs des six plus grands fonds de pension subsahariens. En permettant aux fonds de pension d'investir dans les fonds d'investissement, l'investissement privé sera largement renforcé. En outre, les compagnies d'assurances devraient elles aussi être encouragées, sous certaines conditions, à inclure dans le calcul de leurs réserves techniques leurs investissements dans les fonds de capital-risque.
Tout cela suppose de réelles avancées en matière d'environnement des affaires et de gouvernance...
Certes ! Je rappellerai rapidement que promouvoir correctement l'industrie du capital-risque nécessite cinq conditions fondamentales  : un cadre réglementaire, juridique et fiscal favorable  une volonté de la part des entrepreneurs à ouvrir leur capital  des investisseurs institutionnels motivés  un environnement d'affaires favorable  et l'existence de professionnels en placement hautement qualifiés et d'un marché boursier, de préférence actif et liquide.
Sur quels principes fondez-vous votre coopération avec les États ?
Je dirais que l'assistance technique de la BAD doit toujours accompagner, et même précéder, l'assistance financière afin de s'assurer de la création de valeur, et d'atteindre les objectifs recherchés.
Concrètement, la Banque peut par exemple soutenir les États membres régionaux dans la mise en place de fonds qui renforceraient les capitaux propres des entreprises privées. Nous pouvons aussi accompagner les gouvernements voulant introduire une variété de véhicules d'investissement gérés de manière autonome et professionnelle, dans le but d'attirer les investisseurs locaux et étrangers. Citons à titre d'exemple, les Sicar, les fonds sectoriels destinés à financer l'infrastructure, l'agriculture, la technologie ou le tourisme. Étant le principal sponsor de ces véhicules, le gouvernement sera garant de la bonne gouvernance, de l'existence de normes éthiques élevées et de la promotion d'une économie verte, inclusive et durable, tout en limitant son exposition aux participations indirectes.
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