Comment venir en aide au Moyen-Orient

Mercredi 21 Septembre 2016

Tous les symptômes de la crise que traverse actuellement le Moyen-Orient sont visibles au Liban aujourd’hui. Les réfugiés récemment arrivés de Syrie et d’Irak rejoignent les Palestiniens qui y sont présents depuis longtemps. Cela fait deux ans que le pays n’a pas de président parce que les factions politiques rivales, reflétant l’inimité croissante entre leurs commanditaires iranien et saoudien, affaiblissent la gouvernance du pays. La corruption politique est endémique. Le ramassage des ordures est aléatoire.


Mais le Liban montre également des signes de résistance. Les entrepreneurs et les investisseurs prennent le risque de démarrer de nouvelles entreprises. Des groupes de la société civile proposent et mettent en œuvre des initiatives utiles. Les enfants des réfugiés sont scolarisés. Des ennemis politiques collaborent pour minimiser les risques sécuritaires et les chefs religieux plaident en faveur de la coexistence et de la tolérance.
La résistance du Liban tient en grande partie aux souvenirs douloureux de la guerre civile de 1975 à 1990. Les expériences des autres pays de la région – qui comprennent une longue période de gouvernance autocratique et de négligence de griefs longtemps latents – ont au contraire attisé les conflits. La Syrie, l’Irak et le Yémen sont aujourd’hui ravagés par la guerre. Pendant ce temps, l’aggravation de la situation des Palestiniens continue à représenter une injustice criante pour le monde arabo-musulman. Dans ce maelstrom, de nouveaux groupes radicaux avec un ordre du jour transnational prospèrent.
Au cours des deux dernières années, les conflits ont débordé des frontières nationales, menaçant la sécurité mondiale. L’État islamique a profité des anciens griefs des sunnites pour porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Irak et de la Syrie, créant un vide stratégique dans lequel la Russie, l’Iran, les États-Unis, la Turquie et l’Arabie rivalisent pour le pouvoir, parfois par procuration, mais de plus en plus souvent par des interventions militaires directes.
Chaque pays a ses propres priorités politiques. L’Iran cherche à projeter son influence pour apporter son soutien aux populations chiites historiquement prédominantes, ce à quoi réagit l’Arabie saoudite en armant les rebelles opposés au régime du président syrien Bachar el-Assad, soutenu par l’Iran, et en luttant contre ce qu’elle perçoit comme une présence iranienne dans son arrière-cour, au Yémen. De son côté, le gouvernement turc s’oppose à la création d’un État kurde, une éventualité rendue possible par la désagrégation territoriale de l’Irak et de la Syrie.
Alors que la région semble sombrer dans un gouffre de plus en plus profond de conflits permanents, il est facile de croire que seuls des dictateurs ou des fanatiques religieux seraient capables d’imposer une certaine stabilité. Mais le penser serait oublier les soulèvements progressistes passés, comme à Beyrouth en 2005, à Alger et Téhéran en 2009 et le printemps arabe qui a débuté en Tunisie pour se propager au reste de la région en 2011.
Pour pressentir la direction que prend le Moyen-Orient, il fait remonter plus loin dans l’histoire pour comprendre comment la région en est arrivée là. Le nationalisme arabe et ses ambitions de modernisation ont commencé à se déliter après la défaite du camp arabe lors de la guerre des Six Jours en 1967 et avec la chute du prix du pétrole en 1986. Les dirigeants nationaux se sont maintenus au pouvoir par la répression et ont utilisé les partis d’opposition islamiques comme épouvantail pour éviter les réformes politiques. Les économies nationales, grevées par le clientélisme, n’ont enregistré qu’une faible croissance et les gouvernements ont perdu leur légitimité.
C’est le caractère intenable de cette stratégie qui a provoqué en 2011 la chute des régimes qui la suivait, en Tunisie, Égypte, Libye, Syrie et ailleurs. En l’absence d’institutions capables d’assurer une transition politique pacifique, les groupes violents ont pris l’ascendant sur les citoyens ordinaires et une lutte brutale pour le pouvoir s’en est ensuivie.
Il arrive qu’une révolution violente ait une issue pacifique, mais un tel résultat est moins probable lorsque de profonds griefs sectaires sont en jeu, comme c’est le cas au Moyen-Orient. L’importance que prennent à nouveau d’anciens clivages irréductibles – reflétée par les griefs des sunnites en Syrie et en Irak, des chiites au Bahreïn, en Arabie saoudite et au Yémen et des Kurdes et des Palestiniens partout – rend la situation actuelle extrêmement précaire. Toutes ces rancœurs ont couvé sous la surface de la répression autocratique pendant des décennies. Aujourd’hui, la boîte de Pandore a été ouverte, révélant un puzzle géopolitique d’une extrême complexité.
L’Occident est en partie responsables de la situation actuelle. Il a échoué à mettre fin au long conflit israélo-palestinien et a créé de nouveaux problèmes en démantelant l’État irakien, en finançant les moudjahidines en Afghanistan et en soutenant des dictateurs qui adhéraient à sa stratégie de sécurité en Irak, en Syrie, en Égypte et ailleurs.
La dernière intervention des grandes puissances, nommément les États-Unis et la Russie, ne manque pas de rappeler les accords Sykes-Picot, signés au début du siècle dernier entre la France et le Royaume-Uni, qui prévoyaient le tracé de nouvelles frontières et le découpage de la région en plusieurs zones d’influence. Mais à défaut d’autre chose, ces accords sont un bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire pour reconstruire le Moyen-Orient. La région n’a pas besoin de nouvelles frontières, ni de nouveaux protectorats, mais de meilleurs États, construits pour résister aux divisions ethniques et moins vulnérables aux influences extérieures.
Les sondages d’opinion montrent qu’une vaste majorité des peuples du Moyen-Orient veulent être gouvernés par des dirigeants légitimes qui respectent l’État de droit, protègent les droits civiques et encouragent la coexistence entre les communautés. La réalisation de ce noble objectif nécessitera des compromis et une réconciliation aux niveaux national, régional et international.
Pour que les acteurs nationaux aient un espace qui leur permette de trouver des solutions, il est nécessaire de désamorcer les tensions et de trouver des compromis – d’abord mondialement, entre les États-Unis et la Russie, puis régionalement, entre l’Iran, la Turquie, l’Arabie saoudite et Israël. L’objectif est de parvenir à un grand compromis qui prenne en compte les principaux sujets de discorde dans la région, dont le statut des Palestiniens et des Kurdes, et qui crée les conditions d’un règlement politique viable en Syrie et en Irak.
Résoudre des problèmes qui ne l’ont pas été pendant des décennies est certes beaucoup demander, mais l’inaction a aujourd’hui un prix trop élevé. Et aucune des principales lignes de fracture du Moyen-Orient ne peut être résolue indépendamment.
Comme le disait Antonio Gramsci dans ses Lettres de prison, « La crise consiste justement dans le fait que l'ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés ». Tel est en quelques mots la situation du Moyen-Orient. L’aider à construire un nouvel ordre régional implique que tous les acteurs, grands et petits, soient prêts à faire des compromis, comme l’ont fait les Libanais. Une guerre dont l’une des parties est vaincue n’est jamais terminée.
Ishac Diwan est chercheur affilié de la Middle East Initiative du Belfer Center de l’université de Harvard et titulaire de la Chaire d’excellence Socio-économie du Monde Arabe, Paris Sciences et Lettres.
 
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