DEVELOPPEMENT : Les défis de la paix et de la croissance en Afrique de l’Ouest

Jeudi 5 Septembre 2013

Sauvée de crises majeures, l’Afrique de l’Ouest sort du lot, passant de la surenchère guerrière à l’essor économique. La sous-région se libère peu à peu de ses boulets pour porter la croissance du Produit intérieur brut (PIB) à hauteur de 6% en 2012 et vise 7% en 2013. Cette hirondelle dans la création de richesses suffit-elle pour annoncer le printemps dans une zone où la belligérance avait fini de dicter sa loi ? Aujourd’hui, vaincre la pauvreté et asseoir l’émergence demandent plus de "fruits de la croissance" à partager. Victoire d’étape sur le long chemin du développement socioéconomique. Toutefois, une tendance se dégage et donne raison au dramaturge et administrateur français Lucien Emile Arnault : « L’union des Etats fait leur gloire et leur force. » Son mot vaut pour les 15 pays de Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dont huit de ses membres forment l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Leurs destins étant confondus, ces deux communautés économiques régionales (CER) sont à la croisée des chemins de l’intégration


DEVELOPPEMENT :   Les défis de la paix et de la croissance en Afrique de l’Ouest
Après les affres de la guerre, les affaires reprennent leur éclat dans la région. « L’Afrique de l’Ouest a enregistré un taux de croissance positive qui la classe parmi les régions les plus performantes du continent avec des projections de PIB de l’ordre de 7%, contre 6,6% en 2012 », selon le rapport intérimaire 2013 présenté le 21 juin dernier à Abidjan par le président de la Commission de la CEDEAO, Kadré Désiré Ouédraogo. La consolidation de la croissance des grandes économies de la zone CEDEAO explique principalement ce dynamisme de l’activité économique de la sous-région : Nigeria (7,2%), Côte d’Ivoire (8%), Ghana (6,9%) et Sénégal (4%). Des taux de croissance significatifs sont attendus de la Sierra Leone (17,1%), de la Gambie (8,9%), du Libéria (7,5%), du Burkina Faso (7%), de la Guinée (4,5%) et de la Guinée-Bissau (4,2%).
 
Ce résultat est imputable à l’envie des investisseurs pour les ressources locales --forêts, mines, pétrole et pêche, mais aussi des nations naguère sous la coupe réglée des guérilléros échappent à leur infortune. Le boom des télécoms et technologies contribue également à booster la croissance. Paix et croissance vont dans une même direction. Pas de doute pour Abidjan, Conakry (avec la soldatesque de Dadis Camara), Freetown et Monrovia. Demain, Bamako répondra certainement par l’affirmative. La croissance remplace le chaos et l’Afrique de l’Ouest sort de la grisaille pour tendre vers l’émergence.
 
A Dakar, une semaine après la publication des résultats provisoires de la CEDEAO, le Conseil des ministres de l’UEMOA notait une bonne tenue de l’activité économique de l’union malgré une conjoncture internationale encore difficile. « Le taux de croissance du produit intérieur brut de l’Union est ressorti, en termes réels, à 6,4% en 2012 et devrait se situer à 6,5% en 2013 », d’après les ministres des Finances de l’union. Cerise sur le gâteau : la décélération de l’inflation se poursuit et son taux est passé de 2,8% à fin décembre 2012 à 2% à fin mai 2013, à la faveur de la décrue des prix des céréales locales. Le plafond d’inflation est fixé à 3%.
 
Les destins semblent se croiser pour les deux principales organisations régionales. Ses nations empruntent des voies différentes pour arriver à un même but : le  développement. Leurs défis sont identiques. L’Afrique de l’Ouest a longtemps souffert de l’instabilité résultant de conflits sociopolitiques et de leurs cycles de violence. Elle en paie encore un lourd tribut en drames humains et désastres politico-militaires. Quid du coût économico-financier ? Difficile à mesurer sur le long terme, mais, au regard de la reprise économique consécutive à l’extinction de foyers de tension, il est clair que l’instabilité freine la croissance et fomente l’état de pauvreté. Il devient alors moins risqué d’avancer sur un bilan présomptif de ces fléaux. Chose sure, le poids d’une tragédie est inversement proportionnel à la hausse de la création de la richesse des nations en temps de sérénité. Présentement, le rétablissement de la paix dans la région en constitue le socle de la reprise économique, à l’exception notable du Mali.
 
Partout, la détente est le prélude d’une reprise de l’activité. La croissance généralisée en Afrique de l’Ouest épouse cette sagesse. La réalité plaide pour l’éventualité d’efforts conséquents et d’actions d’envergure pour gagner la confiance de tous. La CEDEAO a 38 ans et l’UEMOA va vers ses 20 ans. L’une et l’autre traînent malgré tout deux défis majeurs : paix civile et convergence économique. Deux exigences pour les 300 millions d’Africains de l’Ouest, dont un tiers vit dans la zone UEMOA. Cela requiert, de la part des décideurs, une bonne dose de volonté d’aller ensemble et loin pour réussir les projets intégrateurs lesquels ne sauraient échapper au contrôle citoyen à travers les organisations de la société civile de la région.
 
Gouvernance politico-économique en question
 
Pour améliorer leurs performances, les Etats membres sont invités à redoubler d’efforts de consolidation des finances publiques et à accélérer la mise en œuvre des réformes structurelles en vue de poser les bases d’une croissance forte et durable. D’où, l’importance de sauvegarder le cadre de la surveillance multilatérale des critères de convergence. Ces impératifs rappellent la nécessité pour les décideurs de promouvoir la bonne gouvernance politique et économique. En effet, ceci est le maillon faible d’une chaîne des valeurs indispensables à la réussite des initiatives de développement économique et social dans les espaces communautaires. Ce facteur de stabilité ouvre aussi la voie à des partenariats harmonieux avec les voisins, l’Afrique Centrale et le Maghreb.
 
L’union a besoin d’aller à la quête d’une étoffe politique. Au vu de son succès macroéconomique, l’UEMOA ne devrait-elle pas s’atteler à présent à faire prospérer un message politique à côté de son projet économique. Parfois, l’un change de position avec l’autre. Question de dosage. Les conflits au Mali et en Côte d’Ivoire attestent de l’évolution des modèles de CER, lesquels suivent une tendance bien politique pour résoudre les problèmes majeurs de la zone. Il s’agira pour les Etats membres de l’union de mutualiser leurs efforts dans certains domaines : sécurité, diplomatie, justice, commerce (libre circulation des biens et services ou droit d’établissement des professions libérales). Il en est de même pour les grands défis en santé, agriculture, éducation, formation et emploi des jeunes.
 
Ce sont autant de raisons pour réaliser l’effectivité de la convergence des politiques publiques et des projets et programmes de développement. Pour cause, une mauvaise volonté politique se perpétue au préjudice d’une application convenable des décisions communautaires. Pour l’UEMOA, par exemple, le taux global moyen de mise en œuvre des réformes se situe à 47% en 2011, contre 57% l’année précédente. A six mois de son 20ème anniversaire, il est temps  de remettre les pendules à l’heure régionale, en surmontant les contingences internes et en venant à bout des égocentricités. Au total, ces ambitions valent pour cinq pays côtiers (Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Sénégal et Togo) et trois Etats continentaux (Burkina Faso, Mali et Niger), dont l’indigence des populations les lie à un destin commun. Pauvre lien social.
 
Au 380, Avenue du Professeur Joseph Ki-Zerbo à Ouagadoudou, la Commission de l’UEMOA en est à déplorer les effets pervers des barrières tarifaires : refus de produits d’origine, taxe sur des marchandises en transit et contestation de l’origine de marchandises. Sans oublier les coûts cachés à travers des barrières non tarifaires : restrictions de quantités, manque d’infrastructures, mauvais état des routes, formalités longues et répétitives aux frontières, contrôles intempestifs, racket opéré par des éléments incontrôlés des "Corps habillés", etc. Globalement, ces entorses à la réglementation de l’union obéissent à de petits calculs domestiques : fin des compensations aux Etats, impératifs budgétaires, méfiance sur les transferts de reconnaissance de l’origine communautaire des produits, besoin de protection de l’industrie nationale, corruption, entre autres.
 
Coût des rendez-vous manqués
 
A l’instar de l’UEMOA, le souci reste le même à Abuja. «Les mesures et stratégies proposées pour atteindre une convergence macroéconomique entre nos Etats dépendront de nos efforts en cours visant notamment la levée des barrières tarifaires et non tarifaires, ainsi que l’harmonisation de nos politiques budgétaires et fiscales», soutenait récemment un officiel ivoirien au nom de la CEDEAO. Alassane Ouattara en est le président en exercice. Du pain sur la planche. L’habileté est requise pour se sortir du mauvais pas politique afin de combler la vocation d’origine de l’organisation régionale, à savoir l’intégration économique en vue de loger la région de l’Afrique de l’Ouest et ses nations dans la prospérité.
 
En politique, la CEDEAO a trop carburé pour, malencontreusement, marquer le pas en économie. Rétablir la balance entre paix-sécurité et développement devient son challenge, le seul en mesure de donner corps et harmonie à l’intégration régionale. D’ici là, il reste à traiter la finalisation du Tarif extérieur commun (TEC) de la CEDEAO et à faire prévaloir les règles de la concurrence entre industries de la région. La communauté mérite aussi le respect des libertés des personnes et des capitaux. Signé à Dakar le 29 mai 1979, le protocole sur la libre circulation des personnes, des biens et des services de la CEDEAO est entré en vigueur le 8 mai 1980. Le texte a été révisé le 28 mai 1985 pour supprimer le visa d’entrée dans les pays membres et introduire aussi le droit d’établissement. Son application connaît des fortunes diverses.
 
Par ailleurs, l’harmonisation aléatoire des politiques économiques et financières des Etats creuse le fossé entre le discours et la réalité de l’intégration. A ce niveau, les ratés ne se comptent plus, parmi lesquels il y a la coexistence d’un panier de monnaies. En dépit de ses résultats perceptibles en politique et en sécurité, la CEDEAO peine à réussir une intégration monétaire complète : union monétaire et marché commun. Prolongement de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) depuis le 10 janvier 1994, l’UEMOA regroupe sept pays francophones (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger,  Sénégal et Togo) et un Etat lusophone, la Guinée-Bissau en mai 1997. Outre la monnaie unique, le but est de mener à bien leurs économies nationales, en faisant sauter leurs cloisons. Plus large est la CEDEAO qui réunit outre ces huit pays ayant en partage le franc CFA, sept autres Etats chacun ayant frappé sa monnaie nationale : Cap-Vert (escudo), Gambie (dalasi), Ghana (cedi), Guinée (franc), Liberia (dollar), Nigeria (naira) et Sierra Leone (leone).
 
Pour se convaincre de l’ (in)utilité de tant souverainetés monétaires, il s’agira de faire jouer le mécanisme de surveillance multilatérale, à défaut de l’améliorer. Ainsi est-il attendu de ce dernier groupe de pays d’arriver, cette fois-ci à l’horizon 2020, à la mise en place de la seconde Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO) et à la création de la monnaie unique de la CEDEAO, baptisée "ECO". Abuja, Accra, Banjul, Conakry, Freetown et Monrovia devaient adopter une monnaie commune avant janvier 2003 et œuvrer pour sa fusion avec l’UEMOA, en janvier 2004. Même sort pour le deadline suivant du 1er  juillet 2005. Pourtant, l’Institut monétaire de l’Afrique de l’Ouest (IMOA) a ouvert ses portes en 2001 au Ghana. Cet organisme intérimaire est chargé de faciliter la transition à la banque centrale commune dont l’entrée en fonction était prévue à la fin 2002. Sa mise en place nécessitait au moins 200 millions de dollars américains.
 
Au bout du compte, tous ces rendez-vous manqués résultent du degré de non respect des critères de convergence par les six pays concernés, mais aussi d’indicateurs macroéconomiques longtemps restés mal en point dans certains Etats. En 1999 à Lomé, les six Etats retardataires s’étaient engagés à remplir les critères de convergence préalables à l’introduction d’une monnaie unique. Des conditions jugées moins contraignantes que celles régissant l’UEMOA. Fin 2003, les candidats à la nouvelle union monétaire devaient atteindre ces objectifs: taux d’inflation inférieur à 5%, réserves brutes en devises couvrant au moins six mois d’importation, financement du déficit budgétaire par la banque centrale limité à 10% des recettes fiscales de l’année précédente et déficit budgétaire plafonné à 4% du PIB.
 
Nouveau plan-Sakho pour l’union
 
Cependant, l’enjeu de la convergence est de taille, car les gains sont multiples. La réalisation d’une monnaie unique facilite les transactions commerciales et autres opérations de paiement. L’union monétaire favoriserait la création d’un marché commun pour la CEDEAO afin d’intensifier l’effort global d’intégration de ses membres. Il y a 12 ans, des études empiriques citées par le Fonds monétaire international (FMI) indiquaient qu’une union monétaire multiplierait par trois le volume des échanges. Le commerce entre les membres de la CEDEAO dépassait à peine 10% du total de leurs exportations et importations (compte non tenu de l’informel).
 
Barrières tarifaires, absence de politique commerciale commune, réseau de transports défaillant et conflits régionaux en sont les facteurs de contre-performance. Aussi l’utilisation d’une monnaie unique dans les transactions intra-régionales devrait-elle autoriser  des économies de devises, en se passant du coût des opérations de change d’une frontière à l’autre. En outre, elle réduirait les transactions transfrontalières de nature spéculatives qui sont, à présent, courantes avec les monnaies de l’Afrique de l’Ouest, ajoutait la même source. Au-delà des économies d’échelle, la région allait gagner en investissements directs étrangers, attirés par les avantages du marché commun et, le cas échéant, de ceux de l’"ECO".
 
Rien n’est gagné d’avance, mais tout n’est pas perdu non plus. Dans son ouvrage de 101 pages paru en février 2011 et intitulé : L’intégration économique en Afrique de l’Ouest : analyses et perspectives, El-Hadji Abdou Sakho appelle de ses vœux  une prise de conscience de « la nécessité et de l’urgence de changer et de changer de cap ». Plusieurs obstacles se sont dressés sur le chemin. Pour progresser, trois points de passage s’offrent à l’idée originelle d’intégration. « Le premier point concerne la gouvernance politique des CER et pose directement la question de la légitimité populaire des processus d’intégration en cours », écrit-il, plaidant la cause des activistes de la société civile qui encouragent les démarches participatives afin d’étendre le droit de regard des citoyens sur les processus communautaires.
 
Sur un autre point, la gouvernance économique requiert la prise en charge de certains défis. « La crise récente en Grèce illustre la nécessité de conforter davantage la gouvernance économique, par la mise en place de mécanismes de solidarité et l’adoption de règles de discipline budgétaire, et de transparence dans la gestion des finances publiques et l’élaboration des statistiques. » L’auteur scrute enfin les effarants projets-doublons. Pour ce haut fonctionnaire des douanes sénégalaises, on ne saurait se passer de l’optimisation des CER, ni éluder le sujet de la coexistence de  la CEDEAO avec l’UEMOA. « La rationalisation au sein même de l’espace UEMOA serait un test de volonté politique des Etats, puisque nous y trouvons deux traités en vigueur, ceux de l’UMOA et de l’UEMOA. »
 
Ancien directeur de cabinet ministériel au Sénégal, El-Hadji Abdou Sakho intégrait en 2004 la Commission de l’UEMOA. Il en fut successivement commissaire du Département des politiques fiscales, douanières et commerciales et commissaire du Département des politiques économiques et de la fiscalité intérieure. En 2011, sa candidature à la présidence de la Commission a été victime de la fiévreuse "méthode-Wade". Avant de connaître l’infortune qui allait être la sienne, l’ex-commissaire sénégalais à Ouagadougou avait pourtant avisé qui de droit sur l’intégration régionale : « Les sociétés humaines ont toujours progressé suivant une démarche de tâtonnement pragmatique. Le pire des dangers est l’immobilisme ou le manque de réactivité. » Paix et croissance s’imposent alors à l’Afrique de l’Ouest pour aller de l’avant, faire le bien-être des populations et gagner en prestige auprès de la communauté internationale.
Serigne Adama BOYE - Journaliste
Actu-Economie


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