Le déséquilibre entre les sommes que les USA consacrent à l'éducation mondiale et celles consacrées directement ou indirectement à la défense est vertigineux : 1 milliard par an pour l'éducation, 900 milliards de dollars pour la défense. Ces 900 milliards incluent le budget du Pentagone (600 milliards de dollars), celui de la CIA et des autres agences de renseignement (60 milliards), celui consacré à la sécurité intérieure (50 milliards), à l'armement nucléaire hors Pentagone (30 milliards) et aux anciens combattants (160 milliards).
Quel homme politique ou responsable politique américain peut raisonnablement croire que des dépenses de défense 900 fois plus élevées que celles consacrées à l'éducation mondiale permettent d'assurer la sécurité nationale ? Les USA ne sont pas les seuls. L'Arabie saoudite, l'Iran et Israël gaspillent des sommes colossales dans l'accélération de la course aux armements au Moyen-Orient dont les USA sont le principal fournisseur d'armes et le premier financeur. La Chine et la Russie augmentent à toute vitesse leurs dépenses militaires, malgré des urgences sur le plan intérieur. Les grandes puissances se lancent dans une nouvelle course aux armements alors que nous aurions besoin d'une course pacifique à l'éducation et au développement durable.
Plusieurs rapports internationaux récents, notamment deux d'entre eux publiés en septembre (celui de l'UNESCO et celui de la Commission internationale sur le financement de l'éducation mondiale présidée par l'ancien Premier ministre britannique Gordon Brown), évaluent à 4 milliards de dollars seulement l'aide à l'éducation primaire et secondaire au niveau mondial alors que les besoins s'élèvent à 40 milliards. Seule cette multiplication par 10 du financement permettrait aux pays pauvres d'assurer une éducation primaire et secondaire à toute leur jeunesse (c'est le quatrième objectif des nouveaux Objectifs pour un développement durable). C'est pourquoi dès cette année, les USA et les autres pays riches devraient créer le FME et le financer par une diminution des dépenses militaires.
Si Hillary Clinton, la probable prochaine présidente américaine, croit sincèrement à la paix et au développement durable, elle doit annoncer son intention de soutenir la création du FME, à l'image du président George W. Bush qui a été en 2001 le premier chef d'Etat à soutenir la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Elle devrait appeler la Chine et d'autres pays à se joindre à ce projet multilatéral. L'alternative - continuer à consacrer des sommes énormes à la défense plutôt qu'à l'éducation mondiale - condamnerait les USA au statut de puissance impériale en déclin cramponnée tragiquement à ses centaines de bases militaires à travers le monde, à ses dizaines de milliards de vente d'armes annuelles et à des guerres incessantes.
En l'absence du FME, les pays pauvres n'auront pas les moyens d'éduquer leur jeunesse, de même qu'ils n'ont pu financer la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme avant la création du Fonds mondial.
Voici en quelques chiffres le défi budgétaire tel qu'il se présente : la scolarisation d'un enfant dans les pays pauvres s'élève au moins à 250 dollars par an, mais ces pays ne peuvent y consacrer en moyenne que 90 dollars. Le manque s'élève donc à 160 dollars par enfant pour quelques 240 millions d'enfants, soit environ 40 milliards de dollars par an.
Les conséquences de l'insuffisance de financement de l'éducation sont tragiques. Les enfants quittent l'école très tôt, souvent sans savoir lire ou écrire. Ils rejoignent alors souvent des gangs, des trafiquants de drogue ou même des groupes jihadistes. Les filles se marient et très jeunes ont des enfants. Les taux de fertilité restent élevés et il est peu probable que les enfants de ces mères (et pères) pauvres et peu éduqués échappent à la pauvreté.
Une scolarisation insuffisante ou inexistante qui ne permet pas d'accéder à un emploi correctement rémunéré débouche sur l'instabilité politique, l'émigration de masse vers les USA (depuis l'Amérique centrale et les Antilles) et l'Europe (depuis le Moyen-Orient et l'Afrique), à la violence liée à la pauvreté, aux drogues, au trafic d'êtres humains et aux conflits ethniques. Et les drones américains ne font qu'exacerber les instabilités.
Autrement dit, il faut basculer de la CIA au FME, des échecs coûteux de changements de régime provoqués par les USA (des talibans en Afghanistan à Saddam Hussein en Irak, en passant par Kadhafi en Libye et Bachar Al Assad en Syrie) à des investissements dans la santé, l'éducation et la création d'emplois décents.
Certains critiques disent qu'un fond pour l'éducation sera gaspillé. Mais ils proclamaient exactement la même chose au sujet de la lutte contre les maladies en 2000 lorsque j'ai proposé d'augmenter le financement de la santé publique. Pourtant 16 ans plus tard la santé a été améliorée et le Fonds mondial est un grand succès (au vu des résultats les donneurs pensent de même et ils ont récemment renouvelé leur dotation).
Pour parvenir à un résultat similaire dans l'éducation, les USA et d'autres pays devraient collaborer à la création d'un fonds unique auquel les pays pauvres soumettront des propositions d'actions. Une commission technique non politique sélectionnerait alors celles qui seront financées. Le FME contrôlerait et évaluerait leur application. Une mise en œuvre couronnée de succès constituerait un élément positif en matière de gestion et de réputation pour les Etats concernés.
Depuis 2000, les USA et d'autres pays ont gaspillé des milliers de milliards de dollars dans des guerres et des achats d'armement. Le temps est venu d'adopter une stratégie plus raisonnable, humaine et professionnelle en réduisant les dépenses consacrées aux guerres, aux coups d'Etat et à l'armement. L'éducation de la jeunesse est le chemin le plus sûr - le seul chemin - qui conduise à un développement mondial durable.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de santé publique, est directeur de l’Institut de la Terre à l'université de Columbia à New-York. Il est également directeur du Réseau des solutions pour le développement durable de l'ONU.
Quel homme politique ou responsable politique américain peut raisonnablement croire que des dépenses de défense 900 fois plus élevées que celles consacrées à l'éducation mondiale permettent d'assurer la sécurité nationale ? Les USA ne sont pas les seuls. L'Arabie saoudite, l'Iran et Israël gaspillent des sommes colossales dans l'accélération de la course aux armements au Moyen-Orient dont les USA sont le principal fournisseur d'armes et le premier financeur. La Chine et la Russie augmentent à toute vitesse leurs dépenses militaires, malgré des urgences sur le plan intérieur. Les grandes puissances se lancent dans une nouvelle course aux armements alors que nous aurions besoin d'une course pacifique à l'éducation et au développement durable.
Plusieurs rapports internationaux récents, notamment deux d'entre eux publiés en septembre (celui de l'UNESCO et celui de la Commission internationale sur le financement de l'éducation mondiale présidée par l'ancien Premier ministre britannique Gordon Brown), évaluent à 4 milliards de dollars seulement l'aide à l'éducation primaire et secondaire au niveau mondial alors que les besoins s'élèvent à 40 milliards. Seule cette multiplication par 10 du financement permettrait aux pays pauvres d'assurer une éducation primaire et secondaire à toute leur jeunesse (c'est le quatrième objectif des nouveaux Objectifs pour un développement durable). C'est pourquoi dès cette année, les USA et les autres pays riches devraient créer le FME et le financer par une diminution des dépenses militaires.
Si Hillary Clinton, la probable prochaine présidente américaine, croit sincèrement à la paix et au développement durable, elle doit annoncer son intention de soutenir la création du FME, à l'image du président George W. Bush qui a été en 2001 le premier chef d'Etat à soutenir la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Elle devrait appeler la Chine et d'autres pays à se joindre à ce projet multilatéral. L'alternative - continuer à consacrer des sommes énormes à la défense plutôt qu'à l'éducation mondiale - condamnerait les USA au statut de puissance impériale en déclin cramponnée tragiquement à ses centaines de bases militaires à travers le monde, à ses dizaines de milliards de vente d'armes annuelles et à des guerres incessantes.
En l'absence du FME, les pays pauvres n'auront pas les moyens d'éduquer leur jeunesse, de même qu'ils n'ont pu financer la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme avant la création du Fonds mondial.
Voici en quelques chiffres le défi budgétaire tel qu'il se présente : la scolarisation d'un enfant dans les pays pauvres s'élève au moins à 250 dollars par an, mais ces pays ne peuvent y consacrer en moyenne que 90 dollars. Le manque s'élève donc à 160 dollars par enfant pour quelques 240 millions d'enfants, soit environ 40 milliards de dollars par an.
Les conséquences de l'insuffisance de financement de l'éducation sont tragiques. Les enfants quittent l'école très tôt, souvent sans savoir lire ou écrire. Ils rejoignent alors souvent des gangs, des trafiquants de drogue ou même des groupes jihadistes. Les filles se marient et très jeunes ont des enfants. Les taux de fertilité restent élevés et il est peu probable que les enfants de ces mères (et pères) pauvres et peu éduqués échappent à la pauvreté.
Une scolarisation insuffisante ou inexistante qui ne permet pas d'accéder à un emploi correctement rémunéré débouche sur l'instabilité politique, l'émigration de masse vers les USA (depuis l'Amérique centrale et les Antilles) et l'Europe (depuis le Moyen-Orient et l'Afrique), à la violence liée à la pauvreté, aux drogues, au trafic d'êtres humains et aux conflits ethniques. Et les drones américains ne font qu'exacerber les instabilités.
Autrement dit, il faut basculer de la CIA au FME, des échecs coûteux de changements de régime provoqués par les USA (des talibans en Afghanistan à Saddam Hussein en Irak, en passant par Kadhafi en Libye et Bachar Al Assad en Syrie) à des investissements dans la santé, l'éducation et la création d'emplois décents.
Certains critiques disent qu'un fond pour l'éducation sera gaspillé. Mais ils proclamaient exactement la même chose au sujet de la lutte contre les maladies en 2000 lorsque j'ai proposé d'augmenter le financement de la santé publique. Pourtant 16 ans plus tard la santé a été améliorée et le Fonds mondial est un grand succès (au vu des résultats les donneurs pensent de même et ils ont récemment renouvelé leur dotation).
Pour parvenir à un résultat similaire dans l'éducation, les USA et d'autres pays devraient collaborer à la création d'un fonds unique auquel les pays pauvres soumettront des propositions d'actions. Une commission technique non politique sélectionnerait alors celles qui seront financées. Le FME contrôlerait et évaluerait leur application. Une mise en œuvre couronnée de succès constituerait un élément positif en matière de gestion et de réputation pour les Etats concernés.
Depuis 2000, les USA et d'autres pays ont gaspillé des milliers de milliards de dollars dans des guerres et des achats d'armement. Le temps est venu d'adopter une stratégie plus raisonnable, humaine et professionnelle en réduisant les dépenses consacrées aux guerres, aux coups d'Etat et à l'armement. L'éducation de la jeunesse est le chemin le plus sûr - le seul chemin - qui conduise à un développement mondial durable.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Jeffrey D. Sachs, professeur de développement durable et de santé publique, est directeur de l’Institut de la Terre à l'université de Columbia à New-York. Il est également directeur du Réseau des solutions pour le développement durable de l'ONU.