ETATS-UNIS. "A Washington, 200 millions de dollars perdus chaque jour

Jeudi 3 Octobre 2013

L'Etat fédéral est paralysé depuis deux jours à cause de l'impasse sur le budget américain. Pour combien de temps encore ? Interview d'Anne Deysine, spécialiste des institutions américaines.


ETATS-UNIS. "A Washington, 200 millions de dollars perdus chaque jour
Depuis mardi, les Etats-Unis ont fermé les services non-essentiels de l'administration  et mis au chômage technique des centaines de milliers de fonctionnaires en l'absence d'un accord sur le budget au Congrès. Davantage encore que la paralysie budgétaire et la fermeture des services fédéraux, l'impasse sur la dette constitue une sérieuse menace pour l'économie américaine. Combien de temps la paralysie peut-elle durer ? Anne Deysine, spécialiste des institutions américaines, auteur de "Etats-Unis : permanences et changements" (La documentation française), analyse pour le "Nouvel Observateur" les blocages institutionnels du système politique américain. Interview.
Faute d'accord sur le budget entre les démocrates majoritaires au Sénat et l'opposition républicaine qui domine à la Chambre des représentants, les administrations centrales des Etats-Unis sont partiellement fermées depuis deux jours. Y-a-t-il une limite constitutionnelle à cette paralysie ?
- Non. Il n'y a pas d'interdiction de blocage car les institutions américaines ont été adoptées pour séparer les pouvoirs et éviter la tyrannie. C'est l'une des conséquences de ce qu'ont voulu les Pères fondateurs. La Constitution ne prévoit pas l'obligation faite au Congrès de voter un budget.
Ce qui se passe donc normalement, c'est que lorsqu'il y a blocage, il y a bricolage. Depuis que Barack Obama est président, aucun budget n'a été voté normalement. On adopte à chaque fois un budget temporaire ou un budget partiel.
Combien de temps peut durer ce blocage ?
- Les points de références que l'on a, ce sont les deux fermetures de 1995, l'une de 5 jours, l'autre de 21 jours. Cela peut donner un élément de réponse. Si ce n'est que la situation est bien pire aujourd'hui, parce que la vie politique est bien plus polarisée et que les républicains sont bien plus extrémistes qu'ils ne l'étaient après les élections de 1994.
Et combien de temps l'Etat fédéral peut supporter cette situation ?
- Les agences ont des plans de fermeture d'urgence prévus pour quelques jours. Ils ont mis au chômage technique un certain nombre de personnes et font fonctionner le plus essentiel. Les instances judiciaires, par exemple, ont de quoi fonctionner pendant dix jours. Mais après ça se complique. D'abord parce que toutes les personnes qui ne sont pas payées vont avoir des problèmes financiers et n'injecteront plus d'argent dans l'économie. Les chèques ne vont plus être envoyés, non plus. A Washington, ce sont 200 millions de dollars perdus chaque jour. La croissance est forcément affectée, tout comme l'image des Etats-Unis sur le plan international.
Le processus budgétaire américain est particulièrement long et complexe...
- Il y a d'abord un projet de loi qui autorise les départements à dépenser des fonds. C'est une sorte d'enveloppe globale. Ensuite le département va dépenser ces fonds. Mais très souvent, le gouvernement a besoin de plus d'argent qu'il n'en a. Et c'est comme cela qu'on se retrouve dans la situation qui va advenir dans 15 jours : le plafond de la dette va être atteint, le coffre des Etats-Unis est vide. Théoriquement, le plafond de la dette était augmenté automatiquement à échéance par le Congrès, puisqu'il s'était déjà mis d'accord pour dépenser autant. Les Etats-Unis sont alors autorisé à trouver de l'argent et à émettre des bons du Trésor. C'est donc un peu étrange de refuser le relèvement du plafond de la dette...
Comment expliquez-vous ces blocages à répétitions ?
- Par les extrémismes, surtout du côté des républicains. Après l'élection de Barack Obama, il y a eu une résurrection du mouvement libertaire qui a donné naissance au Tea Party. 70 élus sont directement issus de ce mouvement très conservateur : des gens qui n'ont jamais fait de politique, qui n'ont aucun sens de l'art du compromis, qui sont jusqu'au-boutistes. Ils ont pris en otage le parti républicain, qui lui-même a pris en otage le système et le président.
Barack Obama a-t-il raison d'être aussi intransigeant ?
- Oui, il a raison. S'il négocie sur le budget, les républicains ne voudront pas augmenter le plafond de la dette. A chaque fois que les républicains votent un texte, que ce soit sur le budget ou sur le plafond de la dette, c'est toujours en échange d'un report de la loi sur la santé. Il a expliqué rapidement qu'il ne négocierait pas parce que la loi avait été votée et validée par la Cour suprême. Il est légitimé par son élection.
La résistance des républicains est-elle seulement idéologique ?
- A l'origine c'est idéologique, au point qu'ils font de l'obstruction.
Quels sont les armes dont disposent Barack Obama  ?
- La seule solution, c'est la communication. Il faut passer au-dessus des membres du Congrès et s'adresser directement au peuple américain pour que ce dernier fasse pression sur les élus ; ce qui se fait très souvent aux Etats-Unis. Il dira que voter le budget n'est pas une concession faite à lui-même, mais pour le bien-être du peuple américain. C'est ce qu'il fait, d'ailleurs, et ça marche : les sondages montrent que les républicains sont considérés comme responsables du blocage.
Le pays est-il gouvernable ?
- Les Américains disent du Congrès qu'il est dysfonctionnel. La Constitution a été rédigée sur deux idées fortes : un pouvoir fédéral fort et une division des pouvoirs pour éviter le retour de la tyrannie. Une division qui pénètre jusqu'au législatif puisqu'il y a deux chambres. Pour obtenir le budget, il faut l'accord des deux. Quand il y a cohabitation, ça bloque. Dans notre système français, le président a beaucoup plus de pouvoir sur le Parlement.
Que faudrait-il faire pour que le pays soit mieux géré ?
- Ce n'est pas possible de changer la Constitution. Le problème, c'est la culture politique, qui est très polarisée. Il n'y a plus de centristes. Dans un camp comme dans l'autre d'ailleurs. Les élections se jouent lors des primaires, qui favorisent les candidats les plus extrémistes, les plus démagogues.
Propos recueillis par Sarah Diffalah - Le Nouvel Observateur
 
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