Ébola et innovation

Mardi 16 Décembre 2014

Les vies actuelles ne remplacent pas toutes les vies perdues dans la crise de l'Ébola toujours en cours. Au cours des dernières discussions sur la façon de lutter contre le virus, la rigueur méthodique de la science et de la médecine ont fait place à l'exagération politique et à l'hystérie collective. Bien sûr, une politique publique informée et axée sur les données, en vue de gérer l'épidémie actuelle doit rester une priorité absolue. Mais il est tout aussi important de faire le point sur les leçons de l'épidémie et de s'assurer que nous sommes préparés à l'émergence d'autres maladies.


Nous pouvons tirer deux leçons principales de l'actuelle épidémie d'Ébola. Premièrement, la lutte contre une seule maladie ne doit pas se faire au détriment du renforcement d'un système de santé global. Les pays ayant des systèmes de santé fragiles peuvent être en mesure de lutter contre une maladie donnée avec l'aide des ONG et des gouvernements étrangers, mais ils risquent d'être dangereusement mal préparés face aux épidémies inattendues de nouvelles maladies.
Au Libéria, par exemple, la prévalence du paludisme  chez les enfants âgés de moins de cinq ans est passée de 66% en 2005 à moins de 32% en 2011. Néanmoins, lorsque le virus Ébola est entré au Libéria par la Guinée voisine cette année, l'infrastructure sanitaire du pays a été rapidement submergée. Plus de 2 000 Libériens sont morts de la maladie et le virus reste endémique. De même, à moins qu'ils ne renforcent le système de santé dans son ensemble, les autres pays qui s'en sont bien tirés dans certains domaines (par exemple dans la lutte contre le virus Ébola),  pourraient bien encore faire face à de lourdes pertes humaines et à une crise économique à long terme.
La deuxième leçon de l'épidémie d'Ébola se rapporte à des lacunes majeures dans notre capacité à développer de nouvelles méthodes et technologies pour lutter contre le virus et contre d'autres maladies semblables à lui. Nos mesures et nos approches ont trop souvent été réactives et non proactives. En conséquence, un équipement de protection abordable et facile à utiliser pour les travailleurs de première ligne des services de santé, ainsi que des analyses hors laboratoire qui soient rapides, fiables, robustes et économiques ont été difficiles à trouver. Les secteurs publics et à but non-lucratif devraient soutenir les innovations qui non seulement se concentrent sur les problèmes immédiats, mais qui relèvent aussi les futurs défis potentiels.
L'Agence des États-Unis pour le Développement International, le Bureau des Sciences et Technologies de la Maison Blanche, les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) et le Ministère de la Défense ont inscrit Ébola au programme du "Grand Défi pour le Développement"  et ont lancé une initiative pour parrainer des innovations pratiques et rentables pour son traitement et sa prévention. C'est une avancée importante dans la bonne direction, mais ces efforts doivent commencer bien avant une épidémie, s'ils veulent avoir un impact significatif. Les nouvelles technologies ont besoin de temps pour être testées avant de pouvoir être déployées sur le terrain et la mise en production à grande échelle est un enjeu majeur pour toute nouvelle invention.
La crise de l'Ébola a montré que nous devons penser à développer notre capacité d'innovation au niveau le plus élémentaire. Tout comme les systèmes de santé dans les pays en développement doivent être renforcés, nous devons également renforcer notre capacité à développer de nouvelles solutions à des défis similaires lorsqu'ils surviennent.
Les écoles d'ingénieurs parviennent rarement à fournir à leurs étudiants des moyens de connaitre ou de comprendre les difficultés rencontrées par des personnes vivant en dehors du monde développé. Parfois les étudiants en médecine et les professionnels de santé publique étudient ou font des stages dans des endroits où la charge de morbidité est élevée. Mais un nombre infime de possibilités similaires sont disponibles pour les ingénieurs et les technologues. En conséquence, des scientifiques et ingénieurs de talent sont souvent grossièrement désinformés quant aux  problèmes qu'ils doivent résoudre. Même ceux qui pourraient être motivés dans cette tâche sont peu susceptibles de consacrer leur formation à la réponse aux menaces nouvelles et émergentes.
Le développement de la technologie demande du temps et de l'engagement. En plus de promouvoir la prise de conscience des défis mondiaux en sciences et en écoles d'ingénieurs et de permettre aux étudiants de commencer à y répondre dans leurs domaines, nous devons établir des mécanismes visant à favoriser et à soutenir les idées que ce processus entend promouvoir. En créant des bourses de recherche qui n'expirent pas dès qu'une épidémie est maîtrisée, nous pourrions augmenter considérablement notre gamme de solutions pour mieux gérer la prochaine épidémie.
Une fois confrontés au prochain défi de type Ébola, notre capacité à y répondre dépendra de la force des institutions locales et de notre capacité à développer les bons outils pour lutter contre la maladie. Nul ne peut dire combien de vies vont dépendre des mesures que nous prenons dès à présent.
Muhammad Hamid Zaman est professeur de génie biomédical à l'Université de Boston.
 
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