Tant à gauche qu'à droite, il est peu de gens aujourd'hui pour se prononcer en faveur de "l'inégalité pour tous". Le véritable clivage est plutôt entre les conservateurs partisans de l'égalité des chances et les progressistes partisans de l'égalité de fait, ce qui constitue une différence importante. Mais quelque soit la définition que l'on donne à l'égalité, la grande question est de savoir comment y parvenir.
A l'issue de la Deuxième Guerre mondiale, le monde a adopté le système de Bretton Woods qui établissait un taux de change sensiblement fixe des diverses devises par rapport au dollar, avec peu de flux transnationaux de capitaux. Lorsque les Anglais voyageaient en France, en Italie ou en Espagne, ils ne pouvaient acheter des francs, des lires ou des pesetas qu'en quantité limitée et les investissements internationaux étaient eux aussi limités par un vaste systéme de contrôle des capitaux.
En 1971, après l'abandon du système de Bretton Woods, le monde s'est embarqué dans l'aventure audacieuse de la mondialisation. Les capitaux ont alors afflué des pays riches vers des pays à très bas salaires, ce qui s'est traduit par une réduction massive des inégalités au niveau planétaire. D'après la théorie économique, les relations commerciales bénéficient à tous les pays qui s'y engagent, ce qui ne signifie pas que tous les habitants des pays participants en soient bénéficiaires. Au contraire, selon la théorie la mondialisation produit des gagnants et des perdants, ce que vérifie l'histoire économique depuis des décennies.
La libéralisation du marché des capitaux a manifestement bénéficié à quelques 800 millions de travailleurs chinois non qualifiés et aux Occidentaux disposant d'une solide qualification professionnelle. Mais pour les travailleurs occidentaux non qualifiés, la mondialisation a coïncidé avec des décennies de stagnation des salaires.
L'Etat-nation ne constitue pas un idéal, mais il a permis d'améliorer le niveau de vie dans les démocraties libérales occidentales. Les systèmes de retraite et la sécurité sociale n'y ont pas existé de tout temps. Les lois qui régissent les conditions de travail, interdisent le travail des enfants et celles qui ont établi l'éducation gratuite et le suffrage universel ne viennent pas de nulle part. Elles résultent de réformes et de conflits politiques souvent violents depuis plus de deux siècles.
La libéralisation des mouvements de capitaux ne s'est pas accompagnée de progrès dans la protection des travailleurs, ce qui a conduit à un résultat prévisible. Les syndicats qui défendent de longue date les droits des travailleurs dans les pays occidentaux se sont retrouvés en moins bonne position pour négocier de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires.
La libre circulation des capitaux contribue à accroître les salaires des travailleurs dans les pays en développement. Pour autant, les faiseurs d'opinion des démocraties occidentales favorisent-ils la cause de l'égalité au niveau international lorsqu'ils s'expriment en faveur de la circulation des capitaux ? Parce qu'elles bénéficient du labeur des travailleurs des pays à bas salaires, les élites occidentales jouissent de revenus à la hausse. Et quand elles défendent la mondialisation en tant qu'instrument d'égalité universelle, elles pensent en général davantage à leur propre intérêt qu'au bien-être des travailleurs non qualifiés chinois. Et tant mieux pour les Occidentaux qui peuvent acheter des téléphones et des appareils électroniques bon marché fabriqués en Chine et des automobiles fabriquées en Corée du Sud.
La mondialisation a réduit le fossé entre pays riches et pays pauvres, mais celui qui sépare riches et pauvres dans les démocraties occidentales s'est creusé en raison de la faible croissance du salaire médian. Les économistes ne sont pas d'accord entre eux sur les causes de cette divergence. Elle est probablement due au moins en partie à l'irruption des robots qui remplacent de plus en plus les travailleurs qui effectuent des tâches répétitives. Mais une étude d'Autor, Dorn et Hanson du MIT montre que le creusement des inégalités de revenus est dû notamment à la concurrence de plus en plus marquée de la Chine.
Cette conclusion pose un problème aux partisans de l'égalité pour tous. La planète dans son ensemble n'est pas une démocratie, et il est improbable qu'elle le devienne dans un futur prévisible. Les électeurs des classes populaires et des classes moyennes des pays occidentaux en concurrence directe avec les travailleurs peu qualifiés des pays en développement balayeront à la première occasion les dirigeants politiques qui érodent les frontières étatiques. L'égalité pour tous est un objectif admirable, mais il ne faut pas pour autant risquer d'abolir deux siècles de progrès social.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Roger E.A. Farmer est professeur d'économie à l'université de Warwick en Angleterre et directeur de recherche à l'Institut national de recherche économique et sociale. Il a écrit un livre intitulé Prosperity for All.
A l'issue de la Deuxième Guerre mondiale, le monde a adopté le système de Bretton Woods qui établissait un taux de change sensiblement fixe des diverses devises par rapport au dollar, avec peu de flux transnationaux de capitaux. Lorsque les Anglais voyageaient en France, en Italie ou en Espagne, ils ne pouvaient acheter des francs, des lires ou des pesetas qu'en quantité limitée et les investissements internationaux étaient eux aussi limités par un vaste systéme de contrôle des capitaux.
En 1971, après l'abandon du système de Bretton Woods, le monde s'est embarqué dans l'aventure audacieuse de la mondialisation. Les capitaux ont alors afflué des pays riches vers des pays à très bas salaires, ce qui s'est traduit par une réduction massive des inégalités au niveau planétaire. D'après la théorie économique, les relations commerciales bénéficient à tous les pays qui s'y engagent, ce qui ne signifie pas que tous les habitants des pays participants en soient bénéficiaires. Au contraire, selon la théorie la mondialisation produit des gagnants et des perdants, ce que vérifie l'histoire économique depuis des décennies.
La libéralisation du marché des capitaux a manifestement bénéficié à quelques 800 millions de travailleurs chinois non qualifiés et aux Occidentaux disposant d'une solide qualification professionnelle. Mais pour les travailleurs occidentaux non qualifiés, la mondialisation a coïncidé avec des décennies de stagnation des salaires.
L'Etat-nation ne constitue pas un idéal, mais il a permis d'améliorer le niveau de vie dans les démocraties libérales occidentales. Les systèmes de retraite et la sécurité sociale n'y ont pas existé de tout temps. Les lois qui régissent les conditions de travail, interdisent le travail des enfants et celles qui ont établi l'éducation gratuite et le suffrage universel ne viennent pas de nulle part. Elles résultent de réformes et de conflits politiques souvent violents depuis plus de deux siècles.
La libéralisation des mouvements de capitaux ne s'est pas accompagnée de progrès dans la protection des travailleurs, ce qui a conduit à un résultat prévisible. Les syndicats qui défendent de longue date les droits des travailleurs dans les pays occidentaux se sont retrouvés en moins bonne position pour négocier de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires.
La libre circulation des capitaux contribue à accroître les salaires des travailleurs dans les pays en développement. Pour autant, les faiseurs d'opinion des démocraties occidentales favorisent-ils la cause de l'égalité au niveau international lorsqu'ils s'expriment en faveur de la circulation des capitaux ? Parce qu'elles bénéficient du labeur des travailleurs des pays à bas salaires, les élites occidentales jouissent de revenus à la hausse. Et quand elles défendent la mondialisation en tant qu'instrument d'égalité universelle, elles pensent en général davantage à leur propre intérêt qu'au bien-être des travailleurs non qualifiés chinois. Et tant mieux pour les Occidentaux qui peuvent acheter des téléphones et des appareils électroniques bon marché fabriqués en Chine et des automobiles fabriquées en Corée du Sud.
La mondialisation a réduit le fossé entre pays riches et pays pauvres, mais celui qui sépare riches et pauvres dans les démocraties occidentales s'est creusé en raison de la faible croissance du salaire médian. Les économistes ne sont pas d'accord entre eux sur les causes de cette divergence. Elle est probablement due au moins en partie à l'irruption des robots qui remplacent de plus en plus les travailleurs qui effectuent des tâches répétitives. Mais une étude d'Autor, Dorn et Hanson du MIT montre que le creusement des inégalités de revenus est dû notamment à la concurrence de plus en plus marquée de la Chine.
Cette conclusion pose un problème aux partisans de l'égalité pour tous. La planète dans son ensemble n'est pas une démocratie, et il est improbable qu'elle le devienne dans un futur prévisible. Les électeurs des classes populaires et des classes moyennes des pays occidentaux en concurrence directe avec les travailleurs peu qualifiés des pays en développement balayeront à la première occasion les dirigeants politiques qui érodent les frontières étatiques. L'égalité pour tous est un objectif admirable, mais il ne faut pas pour autant risquer d'abolir deux siècles de progrès social.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Roger E.A. Farmer est professeur d'économie à l'université de Warwick en Angleterre et directeur de recherche à l'Institut national de recherche économique et sociale. Il a écrit un livre intitulé Prosperity for All.