Certes, la baisse de la demande de ressources naturelles en Chine (qui représente près de la moitié de la demande mondiale pour les métaux de base) a largement contribué à la forte chute des leurs prix, qui a porté un gros coup à de nombreux pays en développement et économies émergentes en Amérique latine et en Afrique. En effet, le rapport de l'ONU énumère 29 économies qui sont susceptibles d'être durement touchées par le ralentissement de la Chine. Et l'effondrement des prix du pétrole de plus de 60% depuis juillet 2014 a érodé les perspectives de croissance des exportateurs de pétrole.
Le vrai souci, cependant, n’est pas seulement la baisse des prix des matières premières, mais aussi les sorties de capitaux massives. Au cours de la période 2009-2014, les pays en développement ont reçu collectivement une entrée nette de capitaux de 2,2 trillions de dollars, en partie en raison de l'assouplissement quantitatif dans les pays avancés, qui ont poussé les taux d'intérêt proche de zéro dans ces pays.
La recherche de rendements plus élevés a incité investisseurs et spéculateurs à se tourner vers les pays en développement, où les entrées de capitaux ont favorisé une augmentation de l’endettement, une hausse du cours des actions et, dans certains cas, une envolée des prix des matières premières. La capitalisation des bourses de Mumbai, Johannesburg, Sao Paulo et Shanghai, par exemple, a presque triplé durant les années suivant la crise financière. Les marchés d'actions d'autres pays en développement ont connu une augmentation tout aussi spectaculaire au cours de cette même période.
Or, les flux de capitaux font maintenant marche arrière et sont devenus négatifs pour la première fois depuis 2006, avec des sorties nettes des pays en développement en 2015 dépassant 600 milliards de dollars – plus d'un quart des entrées reçues au cours des six années précédentes. Les plus grandes sorties se sont faites par voie bancaire : les banques internationales ont réduit leur exposition brute au crédit aux pays en développement à concurrence de plus de 800 milliards de dollars en 2015. Des sorties de capitaux de cette ampleur sont susceptibles d'avoir des effets innombrables : assèchement de la liquidité, augmentation des coûts d'emprunt et de service de la dette, affaiblissement des devises, épuisement des réserves et diminution du prix des actions et d'autres actifs. Il y aura des effets d'entraînement de grande ampleur sur l'économie réelle, notamment de graves dommages pour les perspectives de croissance des pays en développement.
Ce n’est pas la première fois que les pays en développement sont confrontés aux défis de la gestion des capitaux spéculatifs pro-cycliques, mais les dimensions de cet épisode sont écrasantes. Au cours de la crise financière asiatique en 1997, les sorties nettes des économies est-asiatiques n’avaient atteint que 12 milliards de dollars.
Bien sûr, les économies d'Asie orientale sont aujourd'hui mieux à même de résister à de telles sorties massives, compte tenu de leur accumulation de réserves internationales depuis la crise financière de 1997. En effet, le stock mondial de réserves a plus que triplé depuis la crise financière asiatique. La Chine, par exemple, a puisé près de 500 milliards de dollars dans ses réserves en 2015 pour lutter contre les sorties de capitaux et prévenir la forte dépréciation du renminbi ; néanmoins, elle détient encore plus de 3 trillions de dollars en réserve.
Le stock important de réserves peut expliquer en partie pourquoi les énormes sorties de capitaux n’ont pas déclenché de crise financière à part entière dans les pays en développement. Cependant, tous les pays n’ont pas la chance d'avoir un grand arsenal.
Une fois de plus, les défenseurs de la libre circulation des flux de capitaux de court terme déstabilisateurs sont contredits par les faits. De nombreux marchés émergents ont reconnu les dangers et ont essayé de réduire les entrées de capitaux. La Corée du Sud, par exemple, a eu recours à une série de mesures macro-prudentielles depuis 2010, visant à limiter les dettes transfrontalières pro-cycliques du secteur bancaire. Les mesures prises ne sont que partiellement réussies, comme le montrent les données ci-dessus. La question est : que devraient-ils faire à présent ?
Les secteurs des entreprises dans les pays en développement, ayant augmenté leur endettement grâce aux entrées de capitaux après 2008, sont particulièrement vulnérables. Les sorties de capitaux vont affecter négativement leurs cours boursiers, faire augmenter leurs ratios dette sur fonds propres et accroitre la probabilité de défaut de paiement. Le problème est particulièrement grave dans les pays en développement exportateurs de matières premières, où les entreprises ont emprunté abondamment en s’attendant à ce que persistent les prix élevés des matières premières.
De nombreux gouvernements de pays en développement n’ont pas tiré la leçon des crises précédentes, qui auraient dû encourager une réglementation et une taxation limitant et décourageant les expositions en devises. A présent, les gouvernements doivent agir rapidement pour éviter de devenir responsables de ces expositions. Des procédures accélérées de faillite favorisant les débiteurs pourraient assurer une restructuration rapide et fournir un cadre pour la renégociation des dettes.
Les gouvernements des pays en développement devraient également encourager la conversion de ces dettes en obligations indexées sur le PIB ou d’autres d'obligations indexées. Ceux qui ont des niveaux élevés de dette extérieure, mais qui disposent de réserves, devraient également envisager le rachat de leur dette souveraine sur le marché international des capitaux, profitant de la baisse des prix des obligations.
Bien que les réserves puissent fournir un certain matelas pour minimiser les effets négatifs de la fuite des capitaux, dans la plupart des cas, elles ne seront pas suffisantes. Les pays en développement devraient résister à la tentation d'augmenter les taux d'intérêt afin d'endiguer les sorties de capitaux. Historiquement, les hausses de taux d'intérêt ont eu peu d'effet. En fait, parce qu'ils nuisent à la croissance, réduisant encore la capacité des pays à rembourser leurs dettes extérieures, des taux d'intérêt plus élevés peuvent être contre-productifs. Des mesures macro-prudentielles peuvent décourager ou retarder les sorties de capitaux, mais de telles mesures, elles aussi, risquent d’être insuffisantes.
Dans certains cas, il pourrait être nécessaire d'introduire des contrôles de capitaux sélectifs, ciblés et limités dans le temps pour endiguer les sorties, en particulier celles par voie bancaire. Cela impliquerait, par exemple, de limiter les transferts de capitaux entre les banques mères dans les pays développés et leurs filiales ou succursales dans les pays en développement. Suivant l'exemple réussi de la Malaisie en 1997, les pays en développement pourraient aussi suspendre temporairement tous les retraits de capitaux pour stabiliser les flux de capitaux et les taux de change. Il s’agit peut-être du seul recours pour de nombreux pays en développement afin d’éviter une crise financière catastrophique. Il est important qu'ils agissent rapidement.
Les opinions exprimées ici ne représentent pas la position des Nations Unies ou de ses Etats membres.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont.
Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d'économie, est professeur d'université à l'université de Columbia et économiste en chef de l'Institut Roosevelt. Hamid Rashid est Chef de la Surveillance de l'économie mondiale au Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies.
Le vrai souci, cependant, n’est pas seulement la baisse des prix des matières premières, mais aussi les sorties de capitaux massives. Au cours de la période 2009-2014, les pays en développement ont reçu collectivement une entrée nette de capitaux de 2,2 trillions de dollars, en partie en raison de l'assouplissement quantitatif dans les pays avancés, qui ont poussé les taux d'intérêt proche de zéro dans ces pays.
La recherche de rendements plus élevés a incité investisseurs et spéculateurs à se tourner vers les pays en développement, où les entrées de capitaux ont favorisé une augmentation de l’endettement, une hausse du cours des actions et, dans certains cas, une envolée des prix des matières premières. La capitalisation des bourses de Mumbai, Johannesburg, Sao Paulo et Shanghai, par exemple, a presque triplé durant les années suivant la crise financière. Les marchés d'actions d'autres pays en développement ont connu une augmentation tout aussi spectaculaire au cours de cette même période.
Or, les flux de capitaux font maintenant marche arrière et sont devenus négatifs pour la première fois depuis 2006, avec des sorties nettes des pays en développement en 2015 dépassant 600 milliards de dollars – plus d'un quart des entrées reçues au cours des six années précédentes. Les plus grandes sorties se sont faites par voie bancaire : les banques internationales ont réduit leur exposition brute au crédit aux pays en développement à concurrence de plus de 800 milliards de dollars en 2015. Des sorties de capitaux de cette ampleur sont susceptibles d'avoir des effets innombrables : assèchement de la liquidité, augmentation des coûts d'emprunt et de service de la dette, affaiblissement des devises, épuisement des réserves et diminution du prix des actions et d'autres actifs. Il y aura des effets d'entraînement de grande ampleur sur l'économie réelle, notamment de graves dommages pour les perspectives de croissance des pays en développement.
Ce n’est pas la première fois que les pays en développement sont confrontés aux défis de la gestion des capitaux spéculatifs pro-cycliques, mais les dimensions de cet épisode sont écrasantes. Au cours de la crise financière asiatique en 1997, les sorties nettes des économies est-asiatiques n’avaient atteint que 12 milliards de dollars.
Bien sûr, les économies d'Asie orientale sont aujourd'hui mieux à même de résister à de telles sorties massives, compte tenu de leur accumulation de réserves internationales depuis la crise financière de 1997. En effet, le stock mondial de réserves a plus que triplé depuis la crise financière asiatique. La Chine, par exemple, a puisé près de 500 milliards de dollars dans ses réserves en 2015 pour lutter contre les sorties de capitaux et prévenir la forte dépréciation du renminbi ; néanmoins, elle détient encore plus de 3 trillions de dollars en réserve.
Le stock important de réserves peut expliquer en partie pourquoi les énormes sorties de capitaux n’ont pas déclenché de crise financière à part entière dans les pays en développement. Cependant, tous les pays n’ont pas la chance d'avoir un grand arsenal.
Une fois de plus, les défenseurs de la libre circulation des flux de capitaux de court terme déstabilisateurs sont contredits par les faits. De nombreux marchés émergents ont reconnu les dangers et ont essayé de réduire les entrées de capitaux. La Corée du Sud, par exemple, a eu recours à une série de mesures macro-prudentielles depuis 2010, visant à limiter les dettes transfrontalières pro-cycliques du secteur bancaire. Les mesures prises ne sont que partiellement réussies, comme le montrent les données ci-dessus. La question est : que devraient-ils faire à présent ?
Les secteurs des entreprises dans les pays en développement, ayant augmenté leur endettement grâce aux entrées de capitaux après 2008, sont particulièrement vulnérables. Les sorties de capitaux vont affecter négativement leurs cours boursiers, faire augmenter leurs ratios dette sur fonds propres et accroitre la probabilité de défaut de paiement. Le problème est particulièrement grave dans les pays en développement exportateurs de matières premières, où les entreprises ont emprunté abondamment en s’attendant à ce que persistent les prix élevés des matières premières.
De nombreux gouvernements de pays en développement n’ont pas tiré la leçon des crises précédentes, qui auraient dû encourager une réglementation et une taxation limitant et décourageant les expositions en devises. A présent, les gouvernements doivent agir rapidement pour éviter de devenir responsables de ces expositions. Des procédures accélérées de faillite favorisant les débiteurs pourraient assurer une restructuration rapide et fournir un cadre pour la renégociation des dettes.
Les gouvernements des pays en développement devraient également encourager la conversion de ces dettes en obligations indexées sur le PIB ou d’autres d'obligations indexées. Ceux qui ont des niveaux élevés de dette extérieure, mais qui disposent de réserves, devraient également envisager le rachat de leur dette souveraine sur le marché international des capitaux, profitant de la baisse des prix des obligations.
Bien que les réserves puissent fournir un certain matelas pour minimiser les effets négatifs de la fuite des capitaux, dans la plupart des cas, elles ne seront pas suffisantes. Les pays en développement devraient résister à la tentation d'augmenter les taux d'intérêt afin d'endiguer les sorties de capitaux. Historiquement, les hausses de taux d'intérêt ont eu peu d'effet. En fait, parce qu'ils nuisent à la croissance, réduisant encore la capacité des pays à rembourser leurs dettes extérieures, des taux d'intérêt plus élevés peuvent être contre-productifs. Des mesures macro-prudentielles peuvent décourager ou retarder les sorties de capitaux, mais de telles mesures, elles aussi, risquent d’être insuffisantes.
Dans certains cas, il pourrait être nécessaire d'introduire des contrôles de capitaux sélectifs, ciblés et limités dans le temps pour endiguer les sorties, en particulier celles par voie bancaire. Cela impliquerait, par exemple, de limiter les transferts de capitaux entre les banques mères dans les pays développés et leurs filiales ou succursales dans les pays en développement. Suivant l'exemple réussi de la Malaisie en 1997, les pays en développement pourraient aussi suspendre temporairement tous les retraits de capitaux pour stabiliser les flux de capitaux et les taux de change. Il s’agit peut-être du seul recours pour de nombreux pays en développement afin d’éviter une crise financière catastrophique. Il est important qu'ils agissent rapidement.
Les opinions exprimées ici ne représentent pas la position des Nations Unies ou de ses Etats membres.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont.
Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d'économie, est professeur d'université à l'université de Columbia et économiste en chef de l'Institut Roosevelt. Hamid Rashid est Chef de la Surveillance de l'économie mondiale au Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies.