La santé des pays émergents : c’est l'un des thèmes du G20, qui se tient en Russie les 5 et 6 septembre. Pendant la récession de 2009, leur apparente vitalité conduisait à parler de basculement du monde. Mais aujourd'hui, Chine, Inde ou encore Brésil et Turquie sont à la peine, en proie à des troubles sociaux et politiques violents. Bien qu'ils affichent toujours des taux de croissance très supérieurs à ceux des pays occidentaux, ils connaissent une baisse de régime.
En juillet, le FMI a d'ailleurs revu les prévisions de croissance les concernant : de 0,3 point pour la Chine, de 0,2 point pour l'Inde et de 0,5 point pour le Brésil. Une première depuis des années. L'OCDE souligne elle aussi leurs difficultés dans son dernier rapport. Fuite de capitaux, inflation, instabilité monétaire et contestation sociale... Comme les pays riches. Aujourd’hui, ils réfléchissent même à la création de réserves monétaires communes.
Jean-Marc Daniel, économiste à l'Institut de l'entreprise, think tank libéral, et enseignant aux Mines de Paris et à l'ESCP, explique les mécanismes économiques et financiers responsables de ce changement de donne.
Que se passe-t-il pour les pays émergents ?
- D'abord leur croissance ralentit au fur et a mesure qu'ils se rapprochent des pays qu'ils imitent, notamment les Etats-Unis. Ensuite, les pays émergents sont confrontés à l'inflation. Grâce aux investissements et aux savoirs-faire étrangers, ils ont créé des secteurs technologiques très profitables, dont les débouchés sont essentiellement à l'export. Pour attirer la meilleure main d’œuvre, les salaires y sont très supérieurs à la moyenne locale. Résultat : les salariés des autres secteurs, dits "archaïques" (fonction publique, petit artisanat, petite propriété rurale…) ont exigé le même niveau de vie, et donc des hausses de salaires, répercutées sur les prix, ce qui a suscité des hausses de salaires, etc.
Comment les pays émergents réagissent-ils à ce ralentissement ?
- Au Brésil, on a vu monter le taux de change ces dernières années, mais le gouvernement a fini par tenter de contenir le phénomène, si bien que l’inflation s’est maintenue. L'Inde a adopté une autre méthode : elle a mené une politique monétaire restrictive assez traditionnelle de hausse des taux d’intérêt. Il en a résulté un ralentissement de la croissance et la progression du chômage, ce qui a fait baisser les salaires. La Chine a bloqué les prix, notamment des denrées agricoles, ce qui a maintenu le pouvoir d’achat des villes et amplifié les tendances à l’exode rural. Enfin, la Turquie semble avoir renoncé à toute action monétaire. Elle a accepté l'inflation, créant ainsi d'importants déficits extérieurs, qu’elle finance par l'emprunt.
Quelles sont les limites de ces politiques ?
- La politique monétaire restrictive de l'Inde a créé du chômage. La Chine a pénalisé ses agriculteurs. Quant à la Turquie, elle a créé des bulles d’inflation, dont profitent les détenteurs d'immobilier et le secteur agricole. Faire monter le taux de change peut faire baisser les salaires des secteurs technologiques et le coût de la vie. Mais la hausse du réal a fait plonger les exportations brésiliennes. Pour sortir de là, il faut accélérer la modernisation de l’économie en faisant émerger rapidement une classe d'entrepreneurs. C'est difficile au Brésil et en Chine notamment, qui fonctionnent avec des joint-ventures [fusions entre entreprises locales et étrangères, NDLR].
Quels sont les impacts de la reprise (modérée) aux Etats-Unis ?
- Elle provoque des changements dans la politique monétaire américaine qui risquent d’amplifier ces perturbations. Les taux d’intérêt montent, ce qui attire les capitaux, notamment ceux qui étaient partis dans les pays émergents durant la crise. Cette fuite fait baisser le taux de change des pays émergents, ce qui de nouveau fait monter le prix de leurs importations et crée de l'inflation. Cet été, la roupie indienne a beaucoup baissé face au dollar.
Ces soubresauts monétaires ont des conséquences sociales…
- Oui. Le Brésil s'est résolu à accepter une hausse des prix des transports en commun pour éviter un déficit du secteur, ainsi les usagers sont descendus dans la rue pour protester. Les agriculteurs chinois ne devraient pas rester les bras croisés. En Turquie, ce sont les prix de l'immobilier qui ont augmenté, la grogne est donc venue des villes. quant à l'Inde, elle est entrée en stagnation, mais elle reste le pays où l’émergence d’une authentique classe entrepreneuriale est la plus probable.
Quel est l’effet du ralentissement des émergents sur le reste du monde ?
- Il tire le prix des matières premières vers le bas, ce qui est une bonne nouvelle pour la consommation en Europe, mais une mauvaise pour les exportateurs de matières premières. Au-delà, la stagnation des pays émergents va ralentir l’évolution du commerce mondial. L'Europe va en pâtir. Et c'est sans compter le revirement américain, qui va faire monter les taux d'intérêts.
Quels sont vos conseils pour limiter ces effets ?
- Il faut arrêter de fantasmer sur les pays émergents, à la fois comme modèle et comme débouchés. La croissance de l’Europe se construira en Europe sur les bases habituelles de la croissance, à savoir l’investissement privé et la stimulation apportée par la concurrence. La première nécessité est de généraliser les baisses de l’impôt sur les sociétés selon la voie tracée par le Royaume-Uni, et de libérer l’économie, notamment le marché du travail.
Propos recueillis par Donald Hebert - Le Nouvel Observateur
En juillet, le FMI a d'ailleurs revu les prévisions de croissance les concernant : de 0,3 point pour la Chine, de 0,2 point pour l'Inde et de 0,5 point pour le Brésil. Une première depuis des années. L'OCDE souligne elle aussi leurs difficultés dans son dernier rapport. Fuite de capitaux, inflation, instabilité monétaire et contestation sociale... Comme les pays riches. Aujourd’hui, ils réfléchissent même à la création de réserves monétaires communes.
Jean-Marc Daniel, économiste à l'Institut de l'entreprise, think tank libéral, et enseignant aux Mines de Paris et à l'ESCP, explique les mécanismes économiques et financiers responsables de ce changement de donne.
Que se passe-t-il pour les pays émergents ?
- D'abord leur croissance ralentit au fur et a mesure qu'ils se rapprochent des pays qu'ils imitent, notamment les Etats-Unis. Ensuite, les pays émergents sont confrontés à l'inflation. Grâce aux investissements et aux savoirs-faire étrangers, ils ont créé des secteurs technologiques très profitables, dont les débouchés sont essentiellement à l'export. Pour attirer la meilleure main d’œuvre, les salaires y sont très supérieurs à la moyenne locale. Résultat : les salariés des autres secteurs, dits "archaïques" (fonction publique, petit artisanat, petite propriété rurale…) ont exigé le même niveau de vie, et donc des hausses de salaires, répercutées sur les prix, ce qui a suscité des hausses de salaires, etc.
Comment les pays émergents réagissent-ils à ce ralentissement ?
- Au Brésil, on a vu monter le taux de change ces dernières années, mais le gouvernement a fini par tenter de contenir le phénomène, si bien que l’inflation s’est maintenue. L'Inde a adopté une autre méthode : elle a mené une politique monétaire restrictive assez traditionnelle de hausse des taux d’intérêt. Il en a résulté un ralentissement de la croissance et la progression du chômage, ce qui a fait baisser les salaires. La Chine a bloqué les prix, notamment des denrées agricoles, ce qui a maintenu le pouvoir d’achat des villes et amplifié les tendances à l’exode rural. Enfin, la Turquie semble avoir renoncé à toute action monétaire. Elle a accepté l'inflation, créant ainsi d'importants déficits extérieurs, qu’elle finance par l'emprunt.
Quelles sont les limites de ces politiques ?
- La politique monétaire restrictive de l'Inde a créé du chômage. La Chine a pénalisé ses agriculteurs. Quant à la Turquie, elle a créé des bulles d’inflation, dont profitent les détenteurs d'immobilier et le secteur agricole. Faire monter le taux de change peut faire baisser les salaires des secteurs technologiques et le coût de la vie. Mais la hausse du réal a fait plonger les exportations brésiliennes. Pour sortir de là, il faut accélérer la modernisation de l’économie en faisant émerger rapidement une classe d'entrepreneurs. C'est difficile au Brésil et en Chine notamment, qui fonctionnent avec des joint-ventures [fusions entre entreprises locales et étrangères, NDLR].
Quels sont les impacts de la reprise (modérée) aux Etats-Unis ?
- Elle provoque des changements dans la politique monétaire américaine qui risquent d’amplifier ces perturbations. Les taux d’intérêt montent, ce qui attire les capitaux, notamment ceux qui étaient partis dans les pays émergents durant la crise. Cette fuite fait baisser le taux de change des pays émergents, ce qui de nouveau fait monter le prix de leurs importations et crée de l'inflation. Cet été, la roupie indienne a beaucoup baissé face au dollar.
Ces soubresauts monétaires ont des conséquences sociales…
- Oui. Le Brésil s'est résolu à accepter une hausse des prix des transports en commun pour éviter un déficit du secteur, ainsi les usagers sont descendus dans la rue pour protester. Les agriculteurs chinois ne devraient pas rester les bras croisés. En Turquie, ce sont les prix de l'immobilier qui ont augmenté, la grogne est donc venue des villes. quant à l'Inde, elle est entrée en stagnation, mais elle reste le pays où l’émergence d’une authentique classe entrepreneuriale est la plus probable.
Quel est l’effet du ralentissement des émergents sur le reste du monde ?
- Il tire le prix des matières premières vers le bas, ce qui est une bonne nouvelle pour la consommation en Europe, mais une mauvaise pour les exportateurs de matières premières. Au-delà, la stagnation des pays émergents va ralentir l’évolution du commerce mondial. L'Europe va en pâtir. Et c'est sans compter le revirement américain, qui va faire monter les taux d'intérêts.
Quels sont vos conseils pour limiter ces effets ?
- Il faut arrêter de fantasmer sur les pays émergents, à la fois comme modèle et comme débouchés. La croissance de l’Europe se construira en Europe sur les bases habituelles de la croissance, à savoir l’investissement privé et la stimulation apportée par la concurrence. La première nécessité est de généraliser les baisses de l’impôt sur les sociétés selon la voie tracée par le Royaume-Uni, et de libérer l’économie, notamment le marché du travail.
Propos recueillis par Donald Hebert - Le Nouvel Observateur