L'Oncle Sam va-t-il enfin laisser voler l'Icann de ses propres ailes, et ainsi renoncer à une partie de son influence sur le web mondial ? C'est ce qu'a affirmé jeudi soir Fadi Chéhadé, le président du principal organe de régulation d'Internet. D'ici à la fin de l'année, la structure basée en Californie pourrait s'affranchir de la tutelle du secrétariat d'Etat américain au Commerce pour devenir une organisation internationale basée à Genève, en Suisse. "Tous les éléments nécessaires à cette émancipation sont désormais réunis", a déclaré Fadi Chéhadé.
Selon lui, 150 pays, dont la Chine, le Brésil et la France, soutiennent le projet. "Il appartient maintenant à la communauté de tout rassembler dans une boîte, de mettre un joli nœud autour et d'envoyer le paquet cadeau à Washington", a-t-il ajouté, non sans humour. Peu de chance que Barack Obama s'offusque de la liberté de ton de Chéhadé. Car c'est le gouvernement américain lui-même qui avait lancé, en mars 2014, l'idée de ne pas renouveler le contrat de l'Icann, qui expire en septembre prochain. Avec un impératif: que le nouveau dispositif de surveillance mis en place représente tous les intérêts et soit en mesure de maintenir la fiabilité technique d'Internet.
"En réalité, les Etats-Unis n'ont plus le choix", décrypte à La Tribune Mathieu Weil, le directeur général de l'Association française pour le nommage Internet en coopération (AFNI), qui gère entre autres les domaines français (.fr et outre-mer).
"Leur position privilégiée dans la gouvernance technique du réseau Internet fait l'objet d'une pression diplomatique intense qu'ils ont de plus en plus de mal à repousser, surtout avec la montée en puissance des géants chinois et russes. Même le secteur privé, y compris les GAFA [Google, Amazon, Facebook, Apple, les géants américains, ndlr] a compris que cela créé une forme de suspicion qui les gêne pour leur expansion et leur image".
Jusqu'à l'an dernier, le pays de l'Oncle Sam s'accrochait fermement à sa position avantageuse. En 2012, les Etats-Unis avaient même refusé d'accorder un rôle plus important dans la gouvernance d'Internet à l'Union internationale des télécoms (UIT), une organisation dépendante de l'ONU. "Ils ne voulaient pas bouger un statut quo qui leur permettait, via l'Icann, d'exercer une forme de contrôle stratégique sur la gestion d'Internet", précise Mathieu Weill.
Face à l'immobilisme des Américains, la Chine, le Brésil et la Russie redoublèrent leurs critiques. En entraînant aussi l'Europe, comme le révèle la polémique autour des extensions ".wine" ou ".vin". En 2013, l'Icann avait annoncé l'arrivée de centaines de nouvelles extensions, concernant des territoires (.paris, .bzh...) ou des secteurs spécifiques (.hotel, .banque...). Mais l'introduction de l'extension .vin, en 2014, avait fait bondir la filière viticole française et la secrétaire d'Etat chargée du Numérique, Axelle Lemaire. Le motif: des entreprises (américaines, notamment) qui n'ont ni le savoir-faire ni le prestige des AOC français, auraient pu acheter des extensions à prix d'or et ainsi "spolier" les acteurs français du vin ne pouvant se permettre un tel investissement.
- "mettre en place des contre-pouvoirs en renforçant la représentation des Etats, des organismes de régulation de chaque pays et des représentants des utilisateurs dans le conseil d'administration"
- et créer "un panel de juges que chacun puisse saisir pour examiner un problème issu d'une décision de l'Icann".
Les principes fondateurs de la nouvelle gouvernance seront dévoilés d'ici au mois de novembre, pour permettre à Washington de donner son accord de principe à la nouvelle structure, avant la campagne présidentielle de 2016, qui "bloquera" le processus.
Quant à l'éventuelle perte d'influence des Etats-Unis sur Internet, elle est à relativiser. L'Icann ne régule que les ressources techniques, certes indispensables, mais qui ne conditionnent pas la puissance d'un Etat sur le web. En revanche, les Etats-Unis disposent surtout de 39 des 50 plus grandes entreprises mondiales du web. La députée (UMP) Laure de la Raudière, spécialiste du numérique et partisane d'un contrôle plus strict des géants américains, résume:
"Je doute fort que le gouvernement américain décide un jour de ne plus contrôler Internet..."
Latribune.fr
Selon lui, 150 pays, dont la Chine, le Brésil et la France, soutiennent le projet. "Il appartient maintenant à la communauté de tout rassembler dans une boîte, de mettre un joli nœud autour et d'envoyer le paquet cadeau à Washington", a-t-il ajouté, non sans humour. Peu de chance que Barack Obama s'offusque de la liberté de ton de Chéhadé. Car c'est le gouvernement américain lui-même qui avait lancé, en mars 2014, l'idée de ne pas renouveler le contrat de l'Icann, qui expire en septembre prochain. Avec un impératif: que le nouveau dispositif de surveillance mis en place représente tous les intérêts et soit en mesure de maintenir la fiabilité technique d'Internet.
Un renoncement stratégique
Quelle mouche a donc piqué Barack Obama, qui considère pourtant qu' "Internet est américain", selon une déclaration de février 2015? La transformation de l'Icann en organisation internationale priverait les Etats-Unis d'un levier de pouvoir sur l'Internet mondial. Et ravirait les défenseurs de la neutralité du net, qui trouvent la situation actuelle de l'Icann ubuesque. Sa dépendance envers l'Etat américain depuis sa création, en 1998, paraît en effet incompatible avec sa mission. Car en étant le seul organisme à pouvoir attribuer, entre autres, les noms de domaine (.com, .org, etc), l'Icann assume de fait les fonctions de régulateur technique de l'Internet mondial..."En réalité, les Etats-Unis n'ont plus le choix", décrypte à La Tribune Mathieu Weil, le directeur général de l'Association française pour le nommage Internet en coopération (AFNI), qui gère entre autres les domaines français (.fr et outre-mer).
"Leur position privilégiée dans la gouvernance technique du réseau Internet fait l'objet d'une pression diplomatique intense qu'ils ont de plus en plus de mal à repousser, surtout avec la montée en puissance des géants chinois et russes. Même le secteur privé, y compris les GAFA [Google, Amazon, Facebook, Apple, les géants américains, ndlr] a compris que cela créé une forme de suspicion qui les gêne pour leur expansion et leur image".
Branle-bas de combat contre l'ingérence américaine
Et pour cause. Depuis quelques années, de plus en plus de voix s'élèvaient contre les décisions de l'Icann sur les noms de domaines. Certains pays, notamment la Chine, le Brésil, la Russie, et même la France, y voyaient la main des Etats-Unis et leur reprochaient de considérer Internet, réseau ouvert et planétaire par définition, comme leur pré-carré.Jusqu'à l'an dernier, le pays de l'Oncle Sam s'accrochait fermement à sa position avantageuse. En 2012, les Etats-Unis avaient même refusé d'accorder un rôle plus important dans la gouvernance d'Internet à l'Union internationale des télécoms (UIT), une organisation dépendante de l'ONU. "Ils ne voulaient pas bouger un statut quo qui leur permettait, via l'Icann, d'exercer une forme de contrôle stratégique sur la gestion d'Internet", précise Mathieu Weill.
Face à l'immobilisme des Américains, la Chine, le Brésil et la Russie redoublèrent leurs critiques. En entraînant aussi l'Europe, comme le révèle la polémique autour des extensions ".wine" ou ".vin". En 2013, l'Icann avait annoncé l'arrivée de centaines de nouvelles extensions, concernant des territoires (.paris, .bzh...) ou des secteurs spécifiques (.hotel, .banque...). Mais l'introduction de l'extension .vin, en 2014, avait fait bondir la filière viticole française et la secrétaire d'Etat chargée du Numérique, Axelle Lemaire. Le motif: des entreprises (américaines, notamment) qui n'ont ni le savoir-faire ni le prestige des AOC français, auraient pu acheter des extensions à prix d'or et ainsi "spolier" les acteurs français du vin ne pouvant se permettre un tel investissement.
Création de contre-pouvoirs
Pour devenir une organisation internationale, l'Icann a mis en place depuis plusieurs mois trois groupes de travail. Chacun est chargé de définir les principes de gouvernance de la future organisation. Mathieu Weill, qui pilote l'un d'entre eux, explique que le futur Icann devra "mieux équilibrer les pouvoirs entre tous les acteurs d'Internet". Avec deux nouveautés:- "mettre en place des contre-pouvoirs en renforçant la représentation des Etats, des organismes de régulation de chaque pays et des représentants des utilisateurs dans le conseil d'administration"
- et créer "un panel de juges que chacun puisse saisir pour examiner un problème issu d'une décision de l'Icann".
Les principes fondateurs de la nouvelle gouvernance seront dévoilés d'ici au mois de novembre, pour permettre à Washington de donner son accord de principe à la nouvelle structure, avant la campagne présidentielle de 2016, qui "bloquera" le processus.
Incertitudes sur le calendrier
De fait, le nouvel Icann ne verra le jour, au mieux, qu'à la fin de 2016, voire en 2017... Si le nouveau président le souhaite. Pour l'heure, une majorité des démocrates soutient le projet, ainsi qu'une partie des républicains. Mais certains membres du Congrès, républicains dans leur immense majorité, sont réticents à l'idée de mettre fin au rôle central actuellement exercé par Washington dans la gouvernance de l'Icann. "Il n'y a pas encore de grand débat tendu, mais le risque existe d'une politisation du dossier à l'approche des élections", admet Mathieu Weil.Quant à l'éventuelle perte d'influence des Etats-Unis sur Internet, elle est à relativiser. L'Icann ne régule que les ressources techniques, certes indispensables, mais qui ne conditionnent pas la puissance d'un Etat sur le web. En revanche, les Etats-Unis disposent surtout de 39 des 50 plus grandes entreprises mondiales du web. La députée (UMP) Laure de la Raudière, spécialiste du numérique et partisane d'un contrôle plus strict des géants américains, résume:
"Je doute fort que le gouvernement américain décide un jour de ne plus contrôler Internet..."
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