Grèce : comment les créanciers utilisent le Bank Run dans la négociation

Samedi 20 Juin 2015

Tout au long de la semaine, les créanciers et la BCE ont tout fait pour déstabiliser les déposants grecs. Et placer le gouvernement grec devant un choix impossible.


Grèce : comment les créanciers utilisent le Bank Run dans la négociation

Le plan des créanciers se déroule-t-il comme prévu en Grèce ? Confronté à une résistance opiniâtre des autorités helléniques sur leurs « lignes rouges », autrement dit principalement sur le refus de réduire les pensions de retraites et d'alourdir fortement la TVA, l'Eurogroupe et le FMI ont tenté une nouvelle offensive durant cette semaine pour « briser les lignes » grecques.

Le scénario chypriote

Cette offensive a commencé lundi lorsqu'une information parue dans le journal munichois Süddeutsche Zeitung  dessine un « scénario à la chypriote » pour la Grèce. L'article prédit une fermeture des banques pendant quelques jours, un blocage des comptes, un contrôle des capitaux. Aucun déposant grec ne peut alors ne pas penser à ce qui s'est passé en mars 2013 à Chypre : une ponction sur les dépôts pour renflouer les banques. Or chacun sait aussi que la solvabilité des banques grecques n'est qu'une fiction utile pour la BCE, mais est une fiction. Enfin, la garantie européenne sur les dépôts à hauteur de 100.000 euros est également une fiction puisqu'elle n'est pas assurée par l'UE mais par le pays concerné. Or, la Grèce n'a pas les moyens d'assurer cette garantie ! Le signal est clairement envoyé aux déposants grecs de retirer leurs fonds, alors que, le week-end, les discussions avec les créanciers ont encore échoué.

L'auto-alimentation du Bank Run

Dans les jours qui suivent, les retraits aux guichets des banques s'accélèrent. D'un rythme quotidien de 200 millions d'euros, ils passent à 400 millions d'euros lundi, puis 700 millions mardi pour frôler le milliard d'euros mercredi. Fort opportunément, ces chiffres sont rendus publics chaque soir par des indiscrétions à la presse grecque. Or, en matière de Bank Run, de course aux guichets des banques, le risque est bien entendu l'effet d'entraînement. Si l'on sait que les dépôts s'accélèrent, on juge sa banque de plus en plus fragile et, naturellement, on sent que le moment est venu de retirer, à son tour, son argent des banques. Malgré tout, les autorités grecques demeurent inflexibles et, en ce début de semaine, le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, prévient qu'il ne présentera pas de nouvelles propositions à l'Eurogroupe du 18 juin. Il faut donc encore augmenter la pression.

Le 17 juin, nouvelles pressions

Mercredi 17 juin, la Banque de Grèce publie un rapport catastrophique sur une éventuelle sortie de la zone euro du pays, une alternative que le gouvernement a toujours repoussé, mais que beaucoup jugent inévitable en cas de défaut, donc d'absence d'accord. Surtout, en soirée, alors que tout le monde sait que les retraits s'accélèrent, le Conseil des gouverneurs de la BCE décide de ne relever que de 1,1 milliard d'euros le plafond des liquidités disponibles pour les banques grecques dans le cadre du programme de liquidités d'urgence ELA. La BCE ne peut alors ne pas être consciente qu'elle crée une pénurie de liquidités alors même que les retraits atteignent des sommets. Le coup de théâtre de l'Eurogroupe est alors soigneusement préparé. En tout cas, les déposants grecs, eux, sont parfaitement conscients de cette pénurie. Jeudi 18 juin, La directrice générale du FMI Christine Lagarde affirme, pour encore jeter de l'huile sur le feu, qu'il n'y aura pas de « période de grâce » d'un mois pour la Grèce en cas de non-paiement le 30 juin. Elle ne peut apporter aucune justification à cette affirmation contraire aux statuts et à l'histoire du FMI. Mais il y a là de quoi inquiéter encore les déposants. Jeudi, les retraits dépassent encore le milliard d'euros. A ce rythme, les banques grecques sont au bord de l'effondrement.

La rumeur de l'Eurogroupe

Arrive alors l'Eurogroupe où Yanis Varoufakis présente de nouvelles propositions qui, selon lui, « ne sont pas discutées. » La réunion s'achève sur un nouveau constat d'échecs et une énième métaphore tennistique de Pierre Moscovici (« la balle est dans le camp des Grecs »). Mais Athènes n'a pas cédé sur ce qui est essentiel désormais pour les créanciers : la baisse des pensions. Il faut encore augmenter la pression sur le gouvernement grec. Une dépêche Reuters s'en charge. Elle révèle, en citant des « officiels anonymes » une discussion entre le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, et Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE. A la question du Néerlandais lui demandant si les banques grecques pourront rouvrir vendredi, le banquier central répond :« Demain, oui, lundi, je ne sais pas. » La BCE affirme donc que le scénario présenté lundi par la Süddeutsche Zeitung est possible. La Banque centrale est-elle à l'origine de ces fuites ? C'est peu clair, mais elles sont « confirmées » au Financial Times par deux « officiels » de l'Eurogroupe dans la foulée. Dès lors, elles deviennent réelles. Dans la foulée, un média grec, Proto Thema, annonce que la Banque  de Grèce demande un relèvement du plafond de l'ELA. La pression sur les déposants grecs remonte d'un cran.

Relèvement limité du plafond de l'ELA

Le mouvement est habile : la BCE veut avant tout apparaître comme « indépendante » et ne pas « prendre de décisions politiques. » Avec une fuite des dépôts aussi savamment accélérée, toute action sur l'ELA peut être justifiée par des éléments techniques. Mais les buts sont évidemment politiques. La difficulté de l'exercice est alors pour la BCE ne pas précipiter les événements. Il s'agit de maintenir la pression sur le gouvernement grec pour qu'il finisse par capituler devant les exigences des créanciers, pas de conduire à la faillite avant cette capitulation du système financier grec, car, alors, le Grexit deviendrait inévitable. La BCE a donc ce vendredi décidé de relever le plafond de l'ELA de 1,8 milliard d'euros selon d'autres. La Banque de Grèce demandait 3,5 milliards d'euros. Autrement dit, la BCE n'a même pas accepté de ne donner le strict nécessaire. Assez pour faire face pendant quelques jours, mais le scénario chypriote reste d'actualité pour la Grèce. Les déposants demeurent prévenus. Et le gouvernement grec aussi. La BCE maintient la pression pour faire capituler au plus tôt Athènes.

Ceci s'accompagne aussi de nouvelles pressions. Selon Reuters ce vendredi, sans nouvelle "proposition grecque", l'Eurogroupe examinera les conséquences d'un défaut sur le FMI. Déjà, le FESF, premier créancier de la Grèce, a menacé de réclamer à Athènes un remboursement anticipé.

L'impossible choix d'Alexis Tsipras

Pour faire pencher la balance en leur faveur dans les négociations, les créanciers et l'Eurosystème ont utilisé la menace du Bank Run. C'est une arme redoutable, car aucun gouvernement n'est vraiment capable de survivre à un tel phénomène. Cela en dit long sur le point jusqu'où les créanciers sont prêts à aller. S'il veut éviter une catastrophe, le gouvernement grec serait donc, s'il accepte la logique des créanciers, contraint d'accepter lundi leur plan qui, à la différence du plan grec, n'a pas évolué. Alexis Tsipras devrait désormais choisir entre accepter le Bank Run qui mène directement ou à un scénario chypriote ou au Grexit, ou accepter les coupes dans les retraites et la hausse de la TVA qui mènent à coup sûr à la chute du gouvernement et à la dissolution de fait de Syriza, mais aussi à des conséquences néfastes pour l'économie. Alexis Tsipras se retrouve alors perdant dans les deux cas. Mais à condition d'accepter le défi que lui lance les créanciers.

Partie serrée

La véritable question demeure de savoir si la BCE est prête sérieusement à aller jusqu'au bout de sa logique en coupant le fil de l'ELA. Si les banques sont à cours de liquidités dimanche, refusera-t-elle une nouvelle augmentation du plafond ? C'est toujours la même question qui revient depuis la première action de Francfort contre la Grèce le 4 février dernier : la seule institution réellement fédérale de la zone euro peut-elle prendre le risque d'exclure un de ses membres. Cette question ne peut pas recevoir une réponse en termes purement financiers ou économiques. C'est en premier lieu un choix politique puisque, comme l'a encore souligné Angela Merkel jeudi 18 juin à la tribune du Bundestag, l'euro est« plus qu'une monnaie. » La BCE peut-elle prendre le risque de n'en faire qu'une « simple monnaie », de surcroît soutenue par un attelage politico-financier bien fragile ? Athènes peut, par ailleurs, toujours trancher le nœud gordien dans lequel on l'a enfermé et choisir le Grexit en se prévalant de ces pressions et de l'urgence. C'est un risque que les Européens semblent prêts à prendre. Mais jouer aux pompiers pyromanes peut coûter, au final, fort cher.

Latribune.fr

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