Il faut réformer le système de réserves mondiales

Lundi 2 Novembre 2015

La faiblesse économique de plusieurs pays émergents ou en développement a constitué un thème majeur de la récente assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale à Lima. Pourtant les discussions n'ont guère porté sur une cause essentielle de cette faiblesse : le système monétaire mondial. Le sujet sera débattu bien plus en profondeur le mois prochain lors du conseil d'administration du FMI, néanmoins on ne sait toujours pas ce qu'il va faire.


José Antonio Ocampo est professeur à l'université de Colombia à New-York
José Antonio Ocampo est professeur à l'université de Colombia à New-York
Le problème des pays émergents ou en développement tient à ce que le flux de capitaux entrants présente un caractère cyclique. Quand ces pays étaient en croissance rapide, notamment  comparés aux pays avancés, ils attiraient d'énormes volumes de capitaux. Mais les risques s'étant multipliés, les flux se sont inversés en direction d'un pays émetteur de monnaie de réserve - les USA. C'est compréhensible car leur devise s'est appréciée par rapport à presque toutes les autres et ils sont appelés à augmenter les taux d'intérêt.
Dans le passé, ce système aboutissait toujours à une correction, le déficit croissant des comptes courants américains conduisant finalement à une baisse du dollar. Mais ces corrections (en  1979-1980, 1990-1991 et 2007-2008) étaient toujours associées à un ralentissement ou à une crise mondiale.
Ce rappel met en lumière le problème inhérent à l'utilisation du dollar, une monnaie nationale, en tant que première devise constitutive des réserves mondiales. C'est l'économiste belge Robert Triffin qui dans les années 1960 a le premier identifié ce problème, que l'on appelle ledilemme de Triffin. Il a souligné le conflit fondamental entre les objectifs d'un pays (par exemple la limitation du déficit extérieur) et les impératifs internationaux tels que la création de liquidités en quantité suffisante pour répondre à la demande d'actifs de réserve. Par ailleurs, ce système soumet l'économie mondiale à des cycles de confiance à l'égard du dollar, tout en plaçant l'économie mondiale à la merci d'une autorité nationale - une autorité qui prend souvent des décisions sans grande considération pour ses conséquences sur le plan international.
Le seul moyen de stabiliser le système serait de favoriser l'émergence d'une devise véritablement mondiale. Dans les années 1940, c'est cette idée qui était derrière la proposition de Keynes visant à créer une monnaie supranationale, le "bancor". C'était également l'idée derrière la création en 1969 du droit de tirage spécial (DTS) du FMI qui était supposé devenir  "un actif de réserve international".
Les allocations générales de DTS  doivent correspondre à un besoin global à long terme de compléter les avoirs de réserve existants. Les décisions de procéder à une allocation générale de DTS sont prises pour des périodes pouvant aller jusqu’à cinq ans ; il n'y a eu jusqu'à présent que trois allocations, en 1970-72, en 1979-81et en 2009. Cette dernière, d'un montant équivalent à 250 milliards de dollars, a été distribuée dans le cadre du plan de relance adopté par le G20 après la crise financière mondiale.
 On reparle depuis peu du DTS en raison du débat sur l'intégration par le FMI du renminbi  chinois dans le panier des devises qui déterminent sa valeur unitaire. Etant donné le rôle croissant de la devise chinoise sur la scène internationale, il est évident qu'il faut l'intégrer à ce panier. La discussion devrait maintenant porter sur le point de savoir comment faire pour que le DTS réalise tout son potentiel en tant qu'instrument de coopération internationale.
La première étape serait d'effacer la séparation qui existe entre les comptes en DTS et le fonctionnement habituel du FMI. Aussi longtemps que cette division perdure, le DTS sera au mieux une ligne de crédit auquel un détenteur de compte peut faire appel inconditionnellement - une sorte de ligne de trésorerie, et non un véritable actif de réserve.
Une meilleure stratégie consisterait à autoriser les différents pays à "déposer" les DTS inutilisés au FMI de manière à ce que celui-ci puisse les utiliser pour ses opérations de prêt. Ainsi avec plus de DTS, il pourrait prêter davantage. Emis lors d'une crise, comme celle à laquelle pays émergents et en développement sont confrontés aujourd'hui, cela aboutirait à une véritable politique monétaire contre-cyclique au niveau international.
Il serait même possible de franchir une étape supplémentaire en allouant les DTS selon une nouvelle formule qui prenne en compte non seulement les quotas du FMI, mais aussi la demande (ou le besoin) en réserves en devises étrangères des pays membres. Avec la formule actuelle, les pays qui sont les plus en manque de réserves – les pays à revenu moyen ou faible (à l'exclusion de la Chine) - ne reçoivent qu'un peu plus du tiers de l'allocation totale. C'est insuffisant.
Même en l'absence de ces mesures, le DTS peut et doit avoir un rôle bien plus important dans les réserves mondiales. Au moment où les pays émergents ou en développement affrontent des difficultés croissantes, il n'y a pas de temps à perdre. 50 ans après que Triffin ait identifié les problèmes liés à l'utilisation du dollar comme principale devise constitutive des réserves, espérons que l'heure du DTS est enfin arrivée.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
José Antonio Ocampo est professeur à l'université de Colombia à New-York et président de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (ICRICT). Il a été sous-secrétaire général de l'ONU pour les Affaires économiques et sociales et ministre des Finances en Colombie.
© Project Syndicate 1995–2015
 
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