Depuis le début des années 1990, toutes sortes de missions m’ont amené à parcourir l’Afrique subsaharienne, et les difficultés économiques qui s’y préparent n’ont rien à voir avec ce que j’ai connu jusqu’alors. La récession prévue cette année pour la région – avec un PIB qui devrait se contracter d’au moins 1,6 %, et de 4 % lorsqu’on le calcule par habitant – sera au moins la plus brutale depuis 1970.
Plusieurs raisons concourent à l’énorme menace que fait planer sur la région la pandémie. Pour commencer, les précédentes crises africaines, comme celles engendrées par les catastrophes naturelles ou la chute des prix des matières premières, ont toujours eu des effets différents d’une économie à l’autre, or, cette fois, aucun pays ne sera épargné par les conséquences économiques du virus.
Si les ravages de la maladie associée demeurent jusqu’à présent limités dans certains pays d’Afrique, c’est en raison des mesures énergiques d’endiguement et de protection qui ont été prises, allant du confinement total à la fermeture des frontières. L’activité économique formelle a donc été brutalement réduite dans tous les domaines.
Ce sont les pauvres, par ailleurs, qui endureront probablement l’essentiel de la crise. Des gens qui doivent sortir chaque jour pour gagner leur vie et rapporter de quoi manger à la maison sont aujourd’hui contraints de ne pas quitter leur domicile et de respecter la distanciation physique. Bien peu auront la possibilité de travailler chez eux.
La détérioration marquée de l’environnement extérieur ne fait qu’ajouter à ces problèmes. Le durcissement des conditions financières et la chute brutale des prix des matières premières (notamment du pétrole) exacerbent les difficultés que rencontrent de nombreuses économies.
Enfin, les capacités de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne à mettre en place quelque chose qui s’approcherait d’une politique budgétaire et monétaire adaptée à la situation sont malheureusement très limitées. Nombre d’entre eux connaissent de hauts niveaux d’endettement et ne disposent que de peu d’épargne ; concomitamment, au moment même où elles auraient été les plus utiles, les possibilités de financements privés extérieurs se sont raréfiées.
Que vont faire les gouvernements de la région ? La première de leurs priorités est bien sûr de protéger la santé et le bien-être de leurs concitoyens. Cela nécessite une augmentation conséquente des dépenses, afin d’améliorer l’état de préparation des systèmes de santé et de fournir de l’argent liquide aux groupes les plus démunis ou de débloquer des transferts en nature. Partout où c’est possible, les pouvoirs publics devraient aussi envisager d’étendre leurs aides en liquidités aux petites et moyennes entreprises, afin de garantir leur survie en cette période difficile. Cette assistance doit être dispensée en toute transparence et en respectant les normes de gouvernance les plus exigeantes.
Mais, plus que jamais, les pays d’Afrique subsaharienne ont aussi besoin d’aide financière extérieure à grande échelle. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale estiment que la région va être confrontée, en 2020, à un déficit de financement public (dans l’hypothèse d’une politique budgétaire modestement solidaire) d’au moins 114 milliards de dollars. Les gouvernements africains ne peuvent réunir à eux seuls une telle somme.
Pour sa part, le FMI peut fournir cette année près de 19 milliards de dollars de financements rapidement disponibles aux pays d’Afrique, dont 26 ont déjà reçu des fonds de ses dispositifs d’urgence. En outre, 19 des pays les plus pauvres de la région vont bénéficier d’un allégement direct de leur dette, le Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes du FMI fournissant son concours, sous forme de dons, pour honorer les paiements au FMI du service de leur dette.
D’autres partenaires du développement, comme le Groupe de la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, renforcent également leurs financements. Et les pays du G20 ont fait un grand pas en décidant de suspendre jusqu’à la fin de l’année 2020 les paiements du service de la dette des pays pauvres qui ont besoin d’un allègement.
En dépit de ces initiatives, les gouvernements africains sont toujours confrontés à un déficit résiduel de financement significatif, d’au moins 44 milliards de dollars pour l’année 2020.
Pour la communauté internationale, tout plaide en faveur d’une intervention qui permettrait de solder ce déficit. Fournir les fonds nécessaires augmenterait considérablement la capacité des pays d’Afrique à prendre des mesures budgétaires permettant d’atténuer les effets destructeurs de la pandémie. Et les prêteurs internationaux réaliseraient l’un des investissements à long terme de la plus grande importance stratégique qui soit en apportant en appui de la reprise économique régionale une aide supplémentaire.
D’une façon ou d’une autre, ce qui se passera en Afrique déterminera ce siècle. Dans dix ans précisément, l’Afrique subsaharienne représentera plus de la moitié de l’accroissement annuel de la main-d’œuvre mondiale. En outre, la hausse marginale de la consommation mondiale et de la demande d’investissement reposera de plus en plus sur cette région. Plus riche sera la population africaine, plus solide sera la main-d’œuvre mondiale à l’avenir. Et plus l’urbanisation du continent tiendra compte des exigences climatiques, plus notre environnement à tous sera préservé.
Les montants en question sont sans aucun doute supportables. Ainsi 100 milliards de dollars dans un nouveau plan de soutien à la reprise économique de la région ne représenteraient-ils que 2 % de l’effort budgétaire consenti ces dernières semaines par les pays du G7 et des sommes injectées dans leurs économies. Étant donné la faiblesse actuelle, partout dans le monde, des taux d’intérêt, il serait difficile d’imaginer un moment plus opportun pour prendre à l’égard de l’Afrique ce type d’engagement – difficile également de concevoir un investissement plus important pour l’avenir de notre planète.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Abebe Aemro Selassie est directeur du département Afrique du Fonds monétaire international.
© Project Syndicate 1995–2020
Plusieurs raisons concourent à l’énorme menace que fait planer sur la région la pandémie. Pour commencer, les précédentes crises africaines, comme celles engendrées par les catastrophes naturelles ou la chute des prix des matières premières, ont toujours eu des effets différents d’une économie à l’autre, or, cette fois, aucun pays ne sera épargné par les conséquences économiques du virus.
Si les ravages de la maladie associée demeurent jusqu’à présent limités dans certains pays d’Afrique, c’est en raison des mesures énergiques d’endiguement et de protection qui ont été prises, allant du confinement total à la fermeture des frontières. L’activité économique formelle a donc été brutalement réduite dans tous les domaines.
Ce sont les pauvres, par ailleurs, qui endureront probablement l’essentiel de la crise. Des gens qui doivent sortir chaque jour pour gagner leur vie et rapporter de quoi manger à la maison sont aujourd’hui contraints de ne pas quitter leur domicile et de respecter la distanciation physique. Bien peu auront la possibilité de travailler chez eux.
La détérioration marquée de l’environnement extérieur ne fait qu’ajouter à ces problèmes. Le durcissement des conditions financières et la chute brutale des prix des matières premières (notamment du pétrole) exacerbent les difficultés que rencontrent de nombreuses économies.
Enfin, les capacités de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne à mettre en place quelque chose qui s’approcherait d’une politique budgétaire et monétaire adaptée à la situation sont malheureusement très limitées. Nombre d’entre eux connaissent de hauts niveaux d’endettement et ne disposent que de peu d’épargne ; concomitamment, au moment même où elles auraient été les plus utiles, les possibilités de financements privés extérieurs se sont raréfiées.
Que vont faire les gouvernements de la région ? La première de leurs priorités est bien sûr de protéger la santé et le bien-être de leurs concitoyens. Cela nécessite une augmentation conséquente des dépenses, afin d’améliorer l’état de préparation des systèmes de santé et de fournir de l’argent liquide aux groupes les plus démunis ou de débloquer des transferts en nature. Partout où c’est possible, les pouvoirs publics devraient aussi envisager d’étendre leurs aides en liquidités aux petites et moyennes entreprises, afin de garantir leur survie en cette période difficile. Cette assistance doit être dispensée en toute transparence et en respectant les normes de gouvernance les plus exigeantes.
Mais, plus que jamais, les pays d’Afrique subsaharienne ont aussi besoin d’aide financière extérieure à grande échelle. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale estiment que la région va être confrontée, en 2020, à un déficit de financement public (dans l’hypothèse d’une politique budgétaire modestement solidaire) d’au moins 114 milliards de dollars. Les gouvernements africains ne peuvent réunir à eux seuls une telle somme.
Pour sa part, le FMI peut fournir cette année près de 19 milliards de dollars de financements rapidement disponibles aux pays d’Afrique, dont 26 ont déjà reçu des fonds de ses dispositifs d’urgence. En outre, 19 des pays les plus pauvres de la région vont bénéficier d’un allégement direct de leur dette, le Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes du FMI fournissant son concours, sous forme de dons, pour honorer les paiements au FMI du service de leur dette.
D’autres partenaires du développement, comme le Groupe de la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, renforcent également leurs financements. Et les pays du G20 ont fait un grand pas en décidant de suspendre jusqu’à la fin de l’année 2020 les paiements du service de la dette des pays pauvres qui ont besoin d’un allègement.
En dépit de ces initiatives, les gouvernements africains sont toujours confrontés à un déficit résiduel de financement significatif, d’au moins 44 milliards de dollars pour l’année 2020.
Pour la communauté internationale, tout plaide en faveur d’une intervention qui permettrait de solder ce déficit. Fournir les fonds nécessaires augmenterait considérablement la capacité des pays d’Afrique à prendre des mesures budgétaires permettant d’atténuer les effets destructeurs de la pandémie. Et les prêteurs internationaux réaliseraient l’un des investissements à long terme de la plus grande importance stratégique qui soit en apportant en appui de la reprise économique régionale une aide supplémentaire.
D’une façon ou d’une autre, ce qui se passera en Afrique déterminera ce siècle. Dans dix ans précisément, l’Afrique subsaharienne représentera plus de la moitié de l’accroissement annuel de la main-d’œuvre mondiale. En outre, la hausse marginale de la consommation mondiale et de la demande d’investissement reposera de plus en plus sur cette région. Plus riche sera la population africaine, plus solide sera la main-d’œuvre mondiale à l’avenir. Et plus l’urbanisation du continent tiendra compte des exigences climatiques, plus notre environnement à tous sera préservé.
Les montants en question sont sans aucun doute supportables. Ainsi 100 milliards de dollars dans un nouveau plan de soutien à la reprise économique de la région ne représenteraient-ils que 2 % de l’effort budgétaire consenti ces dernières semaines par les pays du G7 et des sommes injectées dans leurs économies. Étant donné la faiblesse actuelle, partout dans le monde, des taux d’intérêt, il serait difficile d’imaginer un moment plus opportun pour prendre à l’égard de l’Afrique ce type d’engagement – difficile également de concevoir un investissement plus important pour l’avenir de notre planète.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Abebe Aemro Selassie est directeur du département Afrique du Fonds monétaire international.
© Project Syndicate 1995–2020