Ce n'est que maintenant que le monde commence à comprendre la nocivité du programme de Trump. Lui et ses affidés attaquent la presse américaine (une institution vitale pour la démocratie et la défense des droits fondamentaux) qu'ils qualifient "d'ennemi du peuple". Ils s'en prennent aux bases de notre savoir et de nos valeurs - notre épistémologie - en traitant de "faux" tout ce qui va à l'encontre de leurs objectifs et de leur argumentation, allant jusqu'à rejeter la science elle-même. Les pseudo-explications de Trump pour se retirer de l'accord de Paris en est la dernière illustration.
Avant le milieu du 18° siècle, le niveau de vie stagnait depuis des millénaires. Ce sont les Lumières, avec leur recours à la raison et à la démarche scientifique qui sont à l'origine de l'énorme amélioration du niveau de vie au cours des deux siècles et demi qui ont suivi. Ce sont aussi les Lumières qui ont suscité notre engagement contre les préjugés.
L'idée d'égalité - et son corollaire, des droits fondamentaux pour tous - se diffusant rapidement, on a commencé à lutter contre les discriminations sur la base de la race, du genre, et finalement contre les discriminations basées sur d'autres facteurs comme le handicap ou l'orientation sexuelle.
Trump veut revenir sur tout cela. Son rejet de la science, en particulier de la climatologie, menace le progrès technologique. Ouvrant la voie à un systéme profondément inéquitable, ses préjugés à l'encontre des femmes, des hispaniques et des musulmans (à l'exception des dirigeants des émirats pétroliers du Golfe et de ceux dont lui et sa famille peuvent tirer profit) menacent le fonctionnement de la société américaine et de son économie.
Populiste, Trump instrumentalise le mécontentement économique justifié qui s'est étendu au cours de ces dernières années, car la situation de beaucoup d'Américains s'est dégradée avec la montée des inégalités. Mais son programme en matière d'impôt et d'assurance-maladie montre son véritable objectif : s'enrichir lui et les autres privilégiés aux dépens de ceux qui l'ont soutenu.
Son programme fiscal, pour ce que l'on en sait, va bien au-delà de celui de Georges W. Bush en terme de régressivité (plus on est riche, moins on paye d'impôt). Et dans un pays où l'espérance de vie baisse, sa réforme de l'assurance-maladie laisserait 23 millions de personnes supplémentaires démunies face à la maladie.
Trump et son cabinet sont peut-être compétents pour faire des affaires, mais ils n'ont pas la moindre idée du fonctionnement du système économique dans son ensemble. S'ils appliquent leur programme macroéconomique, le déficit commercial et le déclin de la production manufacturière des USA vont encore s'aggraver.
Avec Trump, les USA vont souffrir. Il a mis fin à leur rôle de leader mondial, et ce avant même qu'il ne rompe le contrat de confiance avec plus de 190 pays signataires de l'accord de Paris. Au point où nous en sommes, retrouver ce leadership leur demandera un effort héroïque. Nous partageons la même planète, et compte tenu de la situation, pour le bien de tous, nous devons coopérer.
Dans ces conditions, que faire face à une sorte de tyran capricieux qui veut tout pour lui et ne peut être raisonné ? Comment le monde peut-il réagir face aux USA devenus Etat voyou ?
La chancelière allemande Angela Merkel a donné la bonne réponse après avoir rencontré Trump lors du sommet du G7 le mois dernier. Elle a déclaré que l'Europe ne pouvait plus entièrement compter sur les autres et devra se battre par elle-même pour son avenir. Le moment est venu pour l'Europe de s'unir, de confirmer son attachement aux valeurs des Lumières et de faire face aux USA, comme l'a fait très éloquemment le nouveau président français Emmanuel Macron lors de sa poignée de main avec Trump qui se voulait une réponse à sa manière puérile et machiste d'affirmer son pouvoir.
L'Europe ne peut compter sur les USA de Trump pour sa défense. Mais elle doit admettre que la Guerre froide est finie - même si le complexe militaro-industriel américain y est plus que réticent. Il faut combattre le terrorisme, et c'est un combat coûteux, mais construire des porte-avions et des avions de combat n'est pas la bonne réponse. L'Europe doit décider elle-même combien dépenser, plutôt que de se soumettre au diktat des lobbies militaires qui exigent 2% du PIB. Elle parviendra plus sûrement à la stabilité politique en confirmant son engagement en faveur de son modèle économique socio-démocrate.
Nous savons maintenant que le monde ne peut pas compter sur les USA pour faire face à la menace existentielle posée par le réchauffement climatique. L'Europe et la Chine ont eu raison de confirmer leur engagement en faveur d'un avenir respectueux de l'environnement. C'est le bon choix pour la planète, mais aussi pour l'économie. A l'image de l'Allemagne qui en investissant dans la technologie et l'éducation a pris l'avantage dans le domaine de la fabrication de pointe sur les USA paralysés par l'idéologie du parti républicain, l'Europe et l'Asie prendront une longueur d'avance presque insurmontable sur les USA en matière de technologies vertes.
Mais le reste du monde ne peut pas laisser les USA devenus un Etat voyou détruire la planète, ni les laisser profiter de leur politique obscurantiste (en fait opposée aux Lumières) de "l'Amérique avant tout". Si Trump veut que les USA abandonnent l'accord de Paris sur le climat, le reste du monde doit appliquer une taxe carbone sur les exportations américaines qui ne répondent pas aux normes mondiales.
Heureusement la majorité des Américains n'est pas d'accord avec Trump. La majorité d'entre eux croient encore aux valeurs des Lumières, reconnaissent la réalité du réchauffement climatique et veulent le combattre. Mais en ce qui concerne Trump, il est évident que ce n'est pas un débat raisonné qui le fera changer d'avis. Le temps est venu d'agir.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz est professeur à l'université de Columbia à New-York et économiste en chef à l'Institut Roosevelt. Son dernier livre s'intitule The Euro: How a Common Currency Threatens the Future of Europe [L'euro : comment la monnaie commune menace l'avenir de l'Europe].
© Project Syndicate 1995–2017
Avant le milieu du 18° siècle, le niveau de vie stagnait depuis des millénaires. Ce sont les Lumières, avec leur recours à la raison et à la démarche scientifique qui sont à l'origine de l'énorme amélioration du niveau de vie au cours des deux siècles et demi qui ont suivi. Ce sont aussi les Lumières qui ont suscité notre engagement contre les préjugés.
L'idée d'égalité - et son corollaire, des droits fondamentaux pour tous - se diffusant rapidement, on a commencé à lutter contre les discriminations sur la base de la race, du genre, et finalement contre les discriminations basées sur d'autres facteurs comme le handicap ou l'orientation sexuelle.
Trump veut revenir sur tout cela. Son rejet de la science, en particulier de la climatologie, menace le progrès technologique. Ouvrant la voie à un systéme profondément inéquitable, ses préjugés à l'encontre des femmes, des hispaniques et des musulmans (à l'exception des dirigeants des émirats pétroliers du Golfe et de ceux dont lui et sa famille peuvent tirer profit) menacent le fonctionnement de la société américaine et de son économie.
Populiste, Trump instrumentalise le mécontentement économique justifié qui s'est étendu au cours de ces dernières années, car la situation de beaucoup d'Américains s'est dégradée avec la montée des inégalités. Mais son programme en matière d'impôt et d'assurance-maladie montre son véritable objectif : s'enrichir lui et les autres privilégiés aux dépens de ceux qui l'ont soutenu.
Son programme fiscal, pour ce que l'on en sait, va bien au-delà de celui de Georges W. Bush en terme de régressivité (plus on est riche, moins on paye d'impôt). Et dans un pays où l'espérance de vie baisse, sa réforme de l'assurance-maladie laisserait 23 millions de personnes supplémentaires démunies face à la maladie.
Trump et son cabinet sont peut-être compétents pour faire des affaires, mais ils n'ont pas la moindre idée du fonctionnement du système économique dans son ensemble. S'ils appliquent leur programme macroéconomique, le déficit commercial et le déclin de la production manufacturière des USA vont encore s'aggraver.
Avec Trump, les USA vont souffrir. Il a mis fin à leur rôle de leader mondial, et ce avant même qu'il ne rompe le contrat de confiance avec plus de 190 pays signataires de l'accord de Paris. Au point où nous en sommes, retrouver ce leadership leur demandera un effort héroïque. Nous partageons la même planète, et compte tenu de la situation, pour le bien de tous, nous devons coopérer.
Dans ces conditions, que faire face à une sorte de tyran capricieux qui veut tout pour lui et ne peut être raisonné ? Comment le monde peut-il réagir face aux USA devenus Etat voyou ?
La chancelière allemande Angela Merkel a donné la bonne réponse après avoir rencontré Trump lors du sommet du G7 le mois dernier. Elle a déclaré que l'Europe ne pouvait plus entièrement compter sur les autres et devra se battre par elle-même pour son avenir. Le moment est venu pour l'Europe de s'unir, de confirmer son attachement aux valeurs des Lumières et de faire face aux USA, comme l'a fait très éloquemment le nouveau président français Emmanuel Macron lors de sa poignée de main avec Trump qui se voulait une réponse à sa manière puérile et machiste d'affirmer son pouvoir.
L'Europe ne peut compter sur les USA de Trump pour sa défense. Mais elle doit admettre que la Guerre froide est finie - même si le complexe militaro-industriel américain y est plus que réticent. Il faut combattre le terrorisme, et c'est un combat coûteux, mais construire des porte-avions et des avions de combat n'est pas la bonne réponse. L'Europe doit décider elle-même combien dépenser, plutôt que de se soumettre au diktat des lobbies militaires qui exigent 2% du PIB. Elle parviendra plus sûrement à la stabilité politique en confirmant son engagement en faveur de son modèle économique socio-démocrate.
Nous savons maintenant que le monde ne peut pas compter sur les USA pour faire face à la menace existentielle posée par le réchauffement climatique. L'Europe et la Chine ont eu raison de confirmer leur engagement en faveur d'un avenir respectueux de l'environnement. C'est le bon choix pour la planète, mais aussi pour l'économie. A l'image de l'Allemagne qui en investissant dans la technologie et l'éducation a pris l'avantage dans le domaine de la fabrication de pointe sur les USA paralysés par l'idéologie du parti républicain, l'Europe et l'Asie prendront une longueur d'avance presque insurmontable sur les USA en matière de technologies vertes.
Mais le reste du monde ne peut pas laisser les USA devenus un Etat voyou détruire la planète, ni les laisser profiter de leur politique obscurantiste (en fait opposée aux Lumières) de "l'Amérique avant tout". Si Trump veut que les USA abandonnent l'accord de Paris sur le climat, le reste du monde doit appliquer une taxe carbone sur les exportations américaines qui ne répondent pas aux normes mondiales.
Heureusement la majorité des Américains n'est pas d'accord avec Trump. La majorité d'entre eux croient encore aux valeurs des Lumières, reconnaissent la réalité du réchauffement climatique et veulent le combattre. Mais en ce qui concerne Trump, il est évident que ce n'est pas un débat raisonné qui le fera changer d'avis. Le temps est venu d'agir.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz est professeur à l'université de Columbia à New-York et économiste en chef à l'Institut Roosevelt. Son dernier livre s'intitule The Euro: How a Common Currency Threatens the Future of Europe [L'euro : comment la monnaie commune menace l'avenir de l'Europe].
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