Pour répondre à cette question, le McKinsey Global Institute a envisagé plus de 150 scénarios dans lesquels l’IA participe – ou pourrait participer – au bien social. Il en ressort que l’IA pourrait apporter une contribution de poids à la solution de nombreux types de problèmes que connaissent les sociétés, mais qu’elle n’est pas la panacée – du moins pas encore. Si son domaine d’application est très vaste, les entraves à son développement et les risques de sa mise en œuvre devront d’abord être surmontés avant que ses avantages ne se fassent sentir à l’échelle mondiale.
Certes, l’IA bouleverse nos réponses aux problèmes du développement humain. En 2017, par exemple, des logiciels de détection et d’imagerie par satellite ont aidé à guider les sauveteurs dans Houston après les dégâts causés par l’ouragan Harvey. En Afrique, des algorithmes ont permis de réduire le braconnage dans les réserves naturelles. Au Danemark, des programmes de reconnaissance vocale détectent les arrêts cardiaques lors les appels aux urgences. Et au Media Lab du MIT, près de Boston, les chercheurs ont utilisé l’« apprentissage par renforcement » durant des d’essais cliniques simulés auxquels participaient des patients atteints de glioblastome, la forme la plus agressive de cancer du cerveau, afin de réduire les doses administrées lors des séances de chimiothérapie.
Encore ne s’agit-il là que d’une infime fraction de ce qui est possible. L’IA peut d’ores et déjà détecter les signes avant-coureurs du diabète, à partir de données collectées par des capteurs cardiaques, aider les enfants souffrant d’autisme à contrôler leurs émotions et guider les malvoyants. Si ces innovations se répandaient suffisamment pour être couramment utilisées, les avantages sanitaires et sociaux seraient immenses. Et nos estimations concluent, en effet, que les technologies de l’IA pourraient accélérer la réalisation de chacun des 17 objectifs de développement durable des Nations Unies.
Mais pour que l’une ou l’autre de ces solutions puisse changer la donne mondiale, elles doivent être utilisées à beaucoup plus grande échelle. Nous n’y parviendrons pas sans vaincre les obstacles à leur mise en œuvre ni atténuer, dans le même temps, les risques qui pourraient rendre les technologies de l’IA plus nuisibles qu’utiles.
Les plus grosses difficultés que rencontre leur développement concernent l’accès aux données. Dans de nombreux cas, les données sensibles ou commercialement viables qui correspondent à des demandes sociétales sont propriété privée et inaccessibles aux organisations non gouvernementales. Dans d’autres cas, l’inertie administrative maintient dans un domaine réservé des données qui pourraient être utiles.
Les problèmes d’adaptation de dernière minute sont également nombreux. Même lorsque les données sont disponibles et que la technologie est au point, la pénurie d’ingénieurs spécialisés peut rendre difficile l’application locale des solutions apportées par l’IA. Dans les entreprises qui ont besoin de ce genre de main-d’œuvre, une façon de surseoir au manque de collaborateurs suffisamment qualifiés pour renforcer ou mettre en place les moyens de l’IA pourrait être de consacrer plus de temps et de ressources à des causes utiles. Ainsi devrait-on encourager les experts en IA à prendre en charge des projets bénévoles, quitte à leur allouer pour cela des gratifications.
Les risques existent, bien sûr, qu’on fasse mauvais usage des outils et des techniques de l’IA, intentionnellement ou non. Des biais peuvent influencer les algorithmes ou les ensembles de données utilisés, risquant alors de creuser, avec la mise en service des applications, des inégalités déjà existantes. Selon une enquête scientifique, les taux d’erreur des logiciels de reconnaissance faciale sont inférieurs à 1 % pour les hommes à peau claire, mais atteignent 35 % pour les femmes à peau noire, ce qui soulève des questions pour le moins graves quant aux préjudices humains que peut engendrer la programmation. Autre risque évident : un usage malveillant par ceux qui tentent de menacer la sécurité physique, numérique, financière et émotionnelle des personnes.
Les parties prenantes des secteurs privé et public doivent travailler ensemble à la résolution de ces problèmes. Pour améliorer la disponibilité des données, les agents des collectivités comme les acteurs privés devraient, par exemple, garantir un meilleur accès à ceux dont l’intention est d’utiliser les données pour des actions au service du bien public. Nombre d’agences spatiales exploitant des satellites ont d’ores et déjà signé une charte internationale les engageant à fournir gratuitement des données permettant de faire face aux catastrophes majeures. Des partenariats comme celui-ci, concernant les données, doivent être généralisés et devenir la norme du fonctionnement opérationnel des entreprises.
L’IA est rapidement en train de s’assurer une part essentielle dans la boîte à outils du développement de l’humanité. Mais pour que ses capacités à faire le bien soient pleinement exploitées, ses partisans doivent moins se préoccuper de superlatifs que des obstacles qui empêchent sa compréhension et son adoption.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Michael Chui est associé du McKinsey Global Institute. Martin Harrysson est associé du cabinet McKinsey & Company de la Silicon Valley.
© Project Syndicate 1995–2019
Certes, l’IA bouleverse nos réponses aux problèmes du développement humain. En 2017, par exemple, des logiciels de détection et d’imagerie par satellite ont aidé à guider les sauveteurs dans Houston après les dégâts causés par l’ouragan Harvey. En Afrique, des algorithmes ont permis de réduire le braconnage dans les réserves naturelles. Au Danemark, des programmes de reconnaissance vocale détectent les arrêts cardiaques lors les appels aux urgences. Et au Media Lab du MIT, près de Boston, les chercheurs ont utilisé l’« apprentissage par renforcement » durant des d’essais cliniques simulés auxquels participaient des patients atteints de glioblastome, la forme la plus agressive de cancer du cerveau, afin de réduire les doses administrées lors des séances de chimiothérapie.
Encore ne s’agit-il là que d’une infime fraction de ce qui est possible. L’IA peut d’ores et déjà détecter les signes avant-coureurs du diabète, à partir de données collectées par des capteurs cardiaques, aider les enfants souffrant d’autisme à contrôler leurs émotions et guider les malvoyants. Si ces innovations se répandaient suffisamment pour être couramment utilisées, les avantages sanitaires et sociaux seraient immenses. Et nos estimations concluent, en effet, que les technologies de l’IA pourraient accélérer la réalisation de chacun des 17 objectifs de développement durable des Nations Unies.
Mais pour que l’une ou l’autre de ces solutions puisse changer la donne mondiale, elles doivent être utilisées à beaucoup plus grande échelle. Nous n’y parviendrons pas sans vaincre les obstacles à leur mise en œuvre ni atténuer, dans le même temps, les risques qui pourraient rendre les technologies de l’IA plus nuisibles qu’utiles.
Les plus grosses difficultés que rencontre leur développement concernent l’accès aux données. Dans de nombreux cas, les données sensibles ou commercialement viables qui correspondent à des demandes sociétales sont propriété privée et inaccessibles aux organisations non gouvernementales. Dans d’autres cas, l’inertie administrative maintient dans un domaine réservé des données qui pourraient être utiles.
Les problèmes d’adaptation de dernière minute sont également nombreux. Même lorsque les données sont disponibles et que la technologie est au point, la pénurie d’ingénieurs spécialisés peut rendre difficile l’application locale des solutions apportées par l’IA. Dans les entreprises qui ont besoin de ce genre de main-d’œuvre, une façon de surseoir au manque de collaborateurs suffisamment qualifiés pour renforcer ou mettre en place les moyens de l’IA pourrait être de consacrer plus de temps et de ressources à des causes utiles. Ainsi devrait-on encourager les experts en IA à prendre en charge des projets bénévoles, quitte à leur allouer pour cela des gratifications.
Les risques existent, bien sûr, qu’on fasse mauvais usage des outils et des techniques de l’IA, intentionnellement ou non. Des biais peuvent influencer les algorithmes ou les ensembles de données utilisés, risquant alors de creuser, avec la mise en service des applications, des inégalités déjà existantes. Selon une enquête scientifique, les taux d’erreur des logiciels de reconnaissance faciale sont inférieurs à 1 % pour les hommes à peau claire, mais atteignent 35 % pour les femmes à peau noire, ce qui soulève des questions pour le moins graves quant aux préjudices humains que peut engendrer la programmation. Autre risque évident : un usage malveillant par ceux qui tentent de menacer la sécurité physique, numérique, financière et émotionnelle des personnes.
Les parties prenantes des secteurs privé et public doivent travailler ensemble à la résolution de ces problèmes. Pour améliorer la disponibilité des données, les agents des collectivités comme les acteurs privés devraient, par exemple, garantir un meilleur accès à ceux dont l’intention est d’utiliser les données pour des actions au service du bien public. Nombre d’agences spatiales exploitant des satellites ont d’ores et déjà signé une charte internationale les engageant à fournir gratuitement des données permettant de faire face aux catastrophes majeures. Des partenariats comme celui-ci, concernant les données, doivent être généralisés et devenir la norme du fonctionnement opérationnel des entreprises.
L’IA est rapidement en train de s’assurer une part essentielle dans la boîte à outils du développement de l’humanité. Mais pour que ses capacités à faire le bien soient pleinement exploitées, ses partisans doivent moins se préoccuper de superlatifs que des obstacles qui empêchent sa compréhension et son adoption.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Michael Chui est associé du McKinsey Global Institute. Martin Harrysson est associé du cabinet McKinsey & Company de la Silicon Valley.
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