L'ONU doit intervenir au Tigré

Lundi 15 Février 2021

Dans une interview récente, le président rwandais Paul Kagame a soutenu que la nouvelle administration du président américain Joe Biden et le Conseil de sécurité des Nations Unies devaient prendre l'initiative de lutter contre la violence et les privations dans la région du Tigré en Éthiopie. Kagame a décrit la situation de ce pays comme préoccupante et a déclaré que le nombre de morts était trop élevé pour que ce conflit soit laissé à la seule gestion de l'Éthiopie ou de l'Union africaine. En tant que président d'un pays encore aux prises avec les conséquences du génocide de 1994 contre sa population tutsi, Kagame bénéficie d'une compétence considérable en cette matière et mérite d'être entendu.


Il y a cinq raisons pour lesquelles une action immédiate du Conseil de sécurité à propos du Tigré est nécessaire.
Premièrement, la présence  probable de forces armées érythréennes au Tigré fait de la guerre un conflit civil et international, et qui est donc du ressort de l'ONU. Les troupes érythréennes ont été impliquées dans des meurtres et dans le retour forcé de réfugiés érythréens, notamment lors de l'incendie des camps de réfugiés de Shimelba et de Hitsats. Selon le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, entre 15 000 et 20 000 réfugiés érythréens sont portés disparus .
Deuxièmement, la région du Tigré est confrontée à présent à une possible famine, où 2,3 millions de personnes  ont besoin d'une aide d'urgence. Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires signale que 4,5 millions de personnes  – 67 % de la population de la région – ont besoin d'aide. On rapporte  en outre que les forces du gouvernement fédéral éthiopien empêchent l'accès à l'aide et à l'eau potable. On rapporte  également la destruction délibérée de magasins et de marchés  alimentaires des Nations Unies.
Troisièmement, avec près de deux millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays, le Tigré représente un fardeau important pour les ressources humanitaires du monde à un moment où le besoin de ces ressources en Afrique de l'Est n'a jamais été aussi élevé, en raison de la COVID-19, des invasions de sauterelles et de l'insécurité alimentaire. L'apparente réticence  du gouvernement éthiopien à autoriser à la communauté internationale de fournir un accès humanitaire rapide, inconditionnel, sans entrave et durable à toutes les parties du Tigré a fait empirer une situation désastreuse.
Quatrièmement, certains rapports de l'ONU et ceux d'autres organisations du Tigré font état d'éventuelles violations graves  des Conventions de Genève et d'autres aspects du droit international humanitaire qui interdisent le fait d'affamer des civils et les châtiments collectifs. On rapporte également des faits pouvant constituer un nettoyage ethnique  dirigé par l'État et un génocide, ainsi qu'un « grand nombre de viols présumés  ». Des dizaines de milliers de ressortissants du Tigré employés dans les sphères du maintien de la paix, de la sécurité, de l'armée, de la police et des services de renseignement éthiopiens ont été licenciés et parfois détenus.
Cinquièmement, les ravages perpétrés en Éthiopie sont tels, suite aux combats au Tigré, que ce pays n'est plus une source de stabilité dans la région et qu'il semble renoncer à son rôle de gardien de la paix dans cette région. Les tensions en matière de sécurité et les conflits frontaliers prolifèrent dans la région, principalement entre l'Éthiopie et le Soudan, le Kenya et la Somalie, où une crise liée aux élections  en Somalie et des négociations sur le Barrage de la Renaissance en Éthiopie font augmenter le risque de guerres par procuration. La transition politique fragile au Soudan risque également d'être déstabilisée.
Pire encore, il est à peu près certain que le retrait  des forces éthiopiennes des missions de maintien de la paix en Somalie, au Sud-Soudan et au Soudan va rendre la région encore plus instable. En particulier, le départ des troupes éthiopiennes de Somalie, où l'Union africaine a dirigé sa mission de maintien de la paix AMISOM, pourrait créer une ouverture pour le retour du groupe Al Shabaab, lié à Al-Qaïda, dans ce pays.

Lorsqu' un État ne parvient pas à prévenir ou à atténuer les atrocités commises sur son territoire (comme le génocide, les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre), ou si l'État lui-même est le principal auteur de tels actes, l'ONU doit agir. Après tout, seul le Conseil de sécurité peut réussir à contester l'obstruction délibérée d'un gouvernement à l'aide humanitaire.

Pour ces raisons, le Conseil de sécurité doit immédiatement faire face à la situation au Tigré. Il doit adopter une résolution visant à atténuer les souffrances dans la région par une action internationale résolue et convaincre le gouvernement éthiopien de rétablir la paix dans cette région.

Concrètement, la résolution doit établir une commission de suivi et de vérification chargée de négocier, d'observer, de surveiller, de vérifier et d'enquêter sur la situation au Tigré. Les objectifs doivent être la cessation immédiate et définitive des hostilités ; la distribution rapide, inconditionnelle, sans entrave et durable de l'aide à toutes les parties du Tigré ; le retrait complet de toutes les forces et de tous les groupes armés externes ; et un accord de cessez-le-feu pouvant conduire à une résolution pacifique du conflit au Tigré.

Le gouvernement éthiopien déclare  qu'il est prêt à collaborer avec la communauté internationale pour alléger les souffrances au Tigré. Cette promesse doit être mise à l'épreuve dès à présent.
Mehari Taddele Maru, professeur adjoint au Centre de politique migratoire du Centre Robert Schuman d'études supérieures de l'Institut Universitaire Européen, coordinateur académique du Programme des jeunes leaders africains de l'École de gouvernance transnationale de l'IUE.
© Project Syndicate 1995–2021

 
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