L'austérité, çà ne marche pas !

Vendredi 10 Juin 2016

L'on n'obtient rien sans effort, mais on peut faire des efforts et ne rien gagner - c'est ce que l'on sait en Occident au moins depuis 2012. Après des années d'austérité qui n'ont servi à rien aux USA, en Europe et au Japon, il est temps d'y mettre fin.


L'austérité, çà ne marche pas !
Cette proposition va être très mal accueillie par beaucoup de gouvernements, notamment mais pas exclusivement, par le gouvernement allemand, et par nombre de candidats à des postes politiques qui considèrent comme œuvre du diable la dette souveraine creusée par les responsables qu'ils veulent remplacer. Par delà l'idéologie et la recherche de l'intérêt personnel, il y a une vérité toute simple : l'austérité, çà ne marche pas.
Le Premier ministre japonais Shinzo Abe  a admis à contre-cœur l'échec de la politique d'austérité en annonçant le 1er juin que son gouvernement allait reporter une augmentation de la TVA. Loin d'aider à limiter le déficit du budget et à éviter de creuser encore une dette publique massive, cette hausse aurait probablement réduit les revenus. La hausse précédente qui date d'avril 2014 avait rapidement replongé le pays dans la récession.
Malgré les preuves éclatantes de l'échec de l'austérité, la zone euro – qui en est la championne mondiale incontestée – n'a pas encore pris conscience de cette réalité. En 2012, les dirigeants de la zone euro ont signé un Pacte budgétaire destiné à limiter la dette publique qui selon le FMI s'élevait à 91,3% du PIB  de la zone euro. Il contraint les différents pays à limiter leurs dépenses et à augmenter la fiscalité. En 2015, relativement au PIB, le déficit budgétaire de la zone euro avait diminué de 2/3 par rapport à son pic de 2010.
Néanmoins la dette publique brute avait augmenté, atteignant 93,2% du PIB. Tandis que l'Allemagne a réussi à diminuer sa dette publique brute qui est passée de 79,7% du PIB en 2012 à 71% du PIB l'année dernière, elle a continué à monter en France et en Italie, malgré une discipline budgétaire stricte (particulièrement en Italie).
Ailleurs en Europe, le Royaume-Uni a suivi une trajectoire analogue, sa dette publique brute passant de 85,3% en 2012 à 89,3% du PIB en 2015. Aux USA, ce taux est passé de 102,5% à 105,8% durant la même période.
Le problème tient évidemment à une croissance anémique qui freine l'augmentation des salaires, diminue les revenus fiscaux et empêche les gouvernements de rembourser leur dette. L'austérité est aujourd'hui l'un des principaux obstacles à la croissance. Plus les gouvernements réduisent leur déficit, plus la croissance fléchit – et plus il devient difficile de réduire la dette. C'est ainsi que fonctionne le cycle autodestructeur d'austérité budgétaire.
Il est vrai que l'austérité ne conduit pas nécessairement à cette situation. Lors des périodes d'inflation des années 1970 et 1980, lorsque les investisseurs demandaient des primes de risque liées à l'inflation, poussant ainsi à la hausse le coût des crédits à long terme, les grands déficits poussaient encore davantage à la hausse les taux d'intérêt à long terme, tandis que les petits déficits tendaient à les réduire.
C'est pourquoi après 2010, les dirigeants politiques pensaient que la réduction de la demande publique stimulerait l'investissement privé. Dans la zone euro, le manque de confiance entre les différents gouvernements a aussi poussé à l'austérité, les pays créanciers voulant que les pays endettés aient à souffrir un peu en échange "d'avantages" tels que les plans de secours.
Mais aujourd'hui les choses ont changé, nous ne sommes plus dans une période d'inflation. Bien au contraire, au Royaume-Uni elle est pratiquement nulle, tandis que le Japon et certains pays de la zone euro sont confrontés à la déflation. C'est seulement aux USA que l'inflation se manifeste – bien modestement. Par ailleurs, le coût du crédit à long terme n'a jamais été aussi bas, une situation qui dure depuis cinq ans. Dans ce contexte, la poursuite de l'austérité a fait chuté la croissance au point que même une diminution de moitié du coût de l'énergie au cours des 18 derniers mois n'a pu y remédier.
Une politique monétaire expansionniste, l'injection massive de liquidités au moyen du relâchement monétaire, n'est manifestement pas suffisante. Le relâchement monétaire qui reste nécessaire en Europe et au Japon n'a pas suffi à relancer l'investissement privé ou à accélérer la création d'emplois et la hausse des salaires.
En matière salariale, l'intervention de l'Etat pourrait être utile. Le Royaume-Uni a décidé d'augmenter le SMIC et quelques Etats américains, à commencer par la Californie, vont faire de même prochainement. Le Japon, où les salaires stagnent malgré un manque de main d'œuvre, pourrait être le grand bénéficiaire de cette stratégie.
Mais aujourd'hui rien ne peut remplacer l'expansion budgétaire. De nombreux pays, notamment en Europe, devraient donner un coup d'accélérateur aux investissements publics dans les infrastructures. Plus largement, l'Europe a besoin d'un nouveau plan Marshall qui ne serait pas financé par l'Amérique, mais autofinancé, pour relancer la croissance et doper la productivité. Un tel plan serait aussi utile pour les USA. Ce type d'investissement pourrait même accroître les revenus fiscaux par la création d'emplois et la hausse des salaires.
A un moment où le taux du crédit est faible et l'inflation nulle (parfois même remplacée par la déflation), l'austérité n'est pas la bonne réponse. Il est temps que les dirigeants politiques réalisent qu'elle est parfaitement inutile. Desserrons les cordons de la bourse !
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Bill Emmott, est co-producteur du docufiction "L'Europe au bord du crash" [The Great European Disaster Movie]. Il a été rédacteur en chef de la revue The Economist.
 
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