L’avenir d’une Chine à revenu élevé

Lundi 21 Mars 2016

« Et si c’était pour le meilleur et pour le pire ? » demande Jack Nicholson en traversant la salle d’attente de son psychiatre dans le film éponyme. Et s’il était donc, quoi qu’on veuille, impossible de faire mieux ? Lors de la récente réunion des ministres des Finances du G-20, à Shanghaï, les participants se sont posé à peu près la même question – et il ne s’agissait pas seulement des perspectives à moyen terme d’une croissance mondiale faible. Beaucoup se demandent aujourd’hui si le taux de croissance actuel de la Chine n’est pas, pour de longues années, le meilleur qu’on puisse espérer – et s’attendent, peut-être, à pire.


Pour savoir si ces craintes sont fondées, il faut comprendre les raisons du ralentissement économique chinois. Certains en proposent une explication simple : la Chine, ainsi que d’autres grandes économies émergentes, est tombée dans le « piège » redouté du revenu intermédiaire, et elle est incapable de tracer sa voie jusqu’au statut de pays avancé. Mais c’est faire l’hypothèse d’une force ou d’une tendance exogène en raison de laquelle ces pays se maintiendraient à un certain niveau de revenu – un point de vue que les recherches, l’une après l’autre, démentent.
Certes, un pays doit souvent lutter pour accéder au statut de pays à revenu élevé. Selon la Banque mondiale, 13 pays seulement, sur les 101 pays à revenu moyen ainsi catégorisés en 1960, avaient atteint, en 2008, le statut de pays à revenu élevé. De plus, certains pays à revenu moyen, après une période prometteuse de croissance, sont restés « piégés » à un certain niveau de revenu par habitant. L’Argentine, par exemple, a vu son revenu par habitant progresser au même rythme, entre 1870 et 1940, que celui des États-Unis ; depuis, le fossé n’a cessé de se creuser. Ainsi, même des pays parvenus au statut de revenu élevé régressent parfois vers un revenu intermédiaire.
Mais il n’existe aucune nécessité historique qui contraindrait ces pays à demeurer prisonniers d’un certain niveau de revenu. Au contraire, les études suggèrent que les économies à faible revenu mais à forte croissance ont aussi de fortes chances de devenir des pays à forte croissance et à revenu intermédiaire, pour enfin accéder au statut du revenu élevé. Lorsqu’une économie ne parvient pas à décoller, c’est faute de s’adapter à l’évolution des facteurs de croissance. Et tout indique que cette incapacité à se développer aurait normalement dû apparaître au stade antérieur du faible revenu. 
Mais que recouvre, exactement, cette notion d’adaptation ? Si les détails varient d’un pays à l’autre, la théorie de la croissance néo-schumpétérienne, qui insiste sur l’importance de l’innovation, telle qu’elle a été proposée par les économistes Philippe Aghion et Peter Howitt, apporte un éclairage intéressant.
Aghion et Howitt définissent l’innovation comme un changement qui conduit à l’introduction, sur le marché où opère une entreprise, d’un nouveau produit ou d’un nouveau procès. Les pays qui se trouvent éloignés de la frontière technologique s’enrichissent en imitant les technologies existantes et en les adaptant aux conditions locales, mais avec le temps, ces pays doivent améliorer leurs capacités d’innovation. Les études ont aussi montré une corrélation positive entre l’innovation et la mobilité sociale, et même entre l’innovation et la réduction des inégalités de revenu.
Au centre de cette analyse centrée sur l’innovation, on trouve l’idée que la croissance nécessite des transferts de technologie ainsi qu’un environnement où de nouvelles entreprises peuvent se former, croître et disparaître (réallouant ainsi les facteurs de production à d’autres, qui réussissent mieux). La qualité de la gestion et de la direction joue évidemment un grand rôle, mais les institutions et le capital humain comptent aussi ; la corruption, la limitation du crédit et un accès trop restreint à l’enseignement supérieur rendent la transformation économique d’autant plus difficile.
Mais encourager l’innovation de suffit pas. Les gains obtenus par les innovateurs peuvent favoriser le développement de l’innovation, mais ils peuvent aussi permettre aux entrepreneurs de capter une part trop importante du procès de transformation. Ainsi Bill Gates joue-t-il, dans la transformation de l’économie, un rôle probablement positif, que n’a pas le milliardaire mexicain des télécommunications Carlos Slim. Lorsqu’on encourage le premier type d’innovateurs, on provoque facilement l’apparition du second.
Que signifie tout ceci pour la Chine ? Alors que le pays tente de créer les conditions d’une innovation plus authentique, il doit aussi affronter quantité de défis à court terme. Il est pris dans une spirale déflationniste, où la chute des prix et les inquiétudes quant aux perspectives économiques se renforcent mutuellement. Des prêts excessifs aux entreprises, notamment dans le secteur manufacturier, ont conduit à une surcapacité massive et ont accumulé une montagne de mauvaises dettes, annulant la croissance.
Le défi est d’autant plus lourd que l’économie chinoise est plus importante à l’échelle mondiale et plus interconnectée qu’elle ne l’a jamais été, ce qui signifie que chaque action qu’elle entreprend peut avoir une portée considérable. Dans ce nouveau contexte, les politiques déjà éprouvées ont peu de chances de fonctionner, et le gouvernement doit aujourd’hui improviser. Comme des marchés inquiets le reconnaissent indubitablement, cette politique est grosse d’erreurs potentielles.
Il existe néanmoins de bonnes raisons de croire que la Chine peut réussir, car l’histoire économique du pays témoigne d’une impressionnante capacité de transformation. Bien sûr, l’économie chinoise a parcouru un long chemin depuis la politique de réformes et d’ouverture lancée par Deng Xiaoping en 1978. Mais ces dernières années aussi, le niveau de qualification dans la production chinoise s’est radicalement amélioré, et les ressources sont transférées avec succès de l’agriculture au secteur des services, plutôt qu’au secteur manufacturier, où les grandes entreprises publiques dominent encore de nombreuses industries.
Si les recherches récentes, qui réfutent le piège du revenu intermédiaire, voient juste, la Chine – dont la croissance est une des plus miraculeuses de l’histoire – a de très bonnes chances de réussir, avec la même vigueur, dans la transition vers le statut de pays à revenu élevé. Les profonds changements structurels réalisés ces dernières années confortent cet optimisme. La Chine aura besoin de poursuivre les réformes et de surmonter les intérêts catégoriels, notamment dans le secteur public, mais ses chances de succès demeurent élevées.
Traduction François Boisivon
Erik Berglöf est directeur de l’Institute of Global Affairs à la London School of Economics and Political Science.
 
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