L’avenir de l’accord sur le nucléaire iranien

Mardi 7 Avril 2015

NEW YORK – « Il y a loin de la coupe aux lèvres, » comme le veut un vieux proverbe anglais. En effet, quelque chose d’apparemment résolu et certain peut en réalité ne pas l’être du tout. Bien qu’une telle expression n’existe pas en Farsi, cela pourrait être le cas dans un avenir proche.


Richard N. Haass est président du Conseil des relations étrangères
Richard N. Haass est président du Conseil des relations étrangères
La raison à cela réside bien entendu dans les « Paramètres d’un plan d’action conjoint et exhaustif relatif au programme nucléaire de la République islamique d’Iran », à savoir le cadre tout juste adopté par l’Iran et le P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU) – Chine, Grande-Bretagne, France, Russie et États-Unis – auxquels s’ajoute l’Allemagne). Cet accord constitue le franchissement d’une importante étape sur le plan politique et diplomatique, énonçant davantage de détails et revêtant un champ d’application plus large que ce que beaucoup avaient prévu.
Malgré tout, le texte laisse sans réponse au moins autant d’interrogations qu’il n’en résout. En réalité – comme nous pourrons le constater dans les prochaines semaines, les prochains mois et les années à venir – plusieurs problématiques majeures restent encore à régler. En somme, il est plus proche de la vérité d’affirmer que le véritable débat autour de l’accord sur le nucléaire iranien vient tout juste de commencer.
Le cadre élaboré impose plusieurs limites significatives au programme nucléaire iranien, notamment concernant le nombre et le type de centrifugeuses, la nature des réacteurs, ainsi que la qualité et la quantité d’uranium enrichi que le pays sera susceptible de posséder. Un certain nombre de normes sont établies concernant les inspections nécessaires à une preuve de confiance de la part de l’Iran, selon laquelle elle honorera ses obligations. Une disposition particulière est également présente aux fins de l’assouplissement des sanctions économiques, dès lors que l’Iran aura rempli ses engagements de manière vérifiable.
Pour l’essentiel, cet accord prévoit la formulation d’un avertissement selon une période estimée à un an entre le moment auquel l’Iran pourrait décider de concevoir une ou plusieurs armes atomiques et jusqu’à un stade auquel le pays deviendrait capable d’atteindre cet objectif. Cette démarche se fonde sur l’hypothèse selon laquelle le contrôle prévu par l’accord pourrait détecter un éventuel manquement de conformité de la part de l’Iran, suffisamment tôt pour permettre une réponse internationale coordonnée, notamment la réintroduction de sanctions, avant que l’Iran ne puisse acquérir l’arme atomique.
Il existe pas moins de cinq raisons de penser que l’accord pourrait ne pas entrer en vigueur, ni engendrer l’impact escompté. La première de ces raisons réside dans la période des 90 jours prochains. Ce qui a été annoncé n’est autre qu’un cadre intérimaire, un accord formel et complet étant censé être conclu d’ici la fin du mois de juin. Or, pourraient bien survenir entre temps un certain nombre de doutes et de retournements d’opinion dès lors que ceux qui ont négocié l’accord intérimaire rentreront au pays et feront face aux critiques du gouvernement et de l’opinion publique autours de ses dispositions. Des différences significatives émergent d’ores et déjà dans la manière dont le camp américain et le camp iranien font état de ce qui a précisément été négocié.
Une deuxième préoccupation découle des questions spécifiques qui demeurent non résolues. L’interrogation la plus difficile réside sans doute dans le calendrier selon lequel les diverses sanctions économiques seront levées – plus grand sujet de préoccupation pour l’Iran. Or, ces mêmes sanctions constituent également le plus fort moyen de pression face au comportement iranien, ce qui signifie que beaucoup aux États-Unis et en Europe entendront demeurer aux fonctions jusqu’à ce que l’Iran ait intégralement honoré ses obligations critiques.
Une troisième source d’indétermination réside dans la question de savoir si les différentes parties approuveront quelque pacte à long terme. Ici, les deux incertitudes majeures font intervenir l’Iran et les États-Unis. On peut en effet s’attendre à ce que les jusqu’au-boutistes iraniens s’opposent à la conclusion d’un accord avec le « Grand Satan » autour de la fixation de limites aux ambitions nucléaires de leur pays. Mais il existe également chez les Iraniens un désir généralisé de se sortir des sanctions économiques, sachant que l’Iran approuvera la conclusion d’un pacte si le Guide suprême Ali Khamenei y est favorable, ce qui est vraisemblablement le cas.
Les incertitudes sont encore plus fortes aux États-Unis. Le président Barack Obama fait face à un environnement politique incroyablement plus complexe, à commencer par le Congrès américain. Beaucoup dans le pays s’inquiètent, de manière compréhensible, que soient conférées à l’Iran les moindres capacités nucléaires, s’interrogeant également sur le caractère adéquat des dispositions régissant les contrôles et les inspections, ainsi que sur ce qu’il adviendra dans dix, 15 ou 25 ans, lorsque les restrictions imposées à l’Iran arriveront à expiration. Ainsi, persuader le Congrès d’approuver le pacte final et/ou de lever les sanctions ne sera pas chose facile.
Cette question d’obtention d’une approbation politique se trouve par ailleurs étroitement liée à un quatrième domaine d’incertitude, à savoir la manière dont l’accord final sera mis en œuvre. L’expérience historique du contrôle des armes nous conduit en effet à ne pas exclure la possibilité de voir l’Iran – qui présente certains antécédents de rétention d’informations importantes  face aux inspecteurs de l’ONU opérant en la matière – se retrouver suspecté de ne pas respecter la lettre, et encore moins l’esprit, de ce qui a été négocié. Il doit être convenu du processus de jugement du comportement iranien, ainsi que de détermination des réponses appropriées.
Le cinquième domaine d’incertitude ne réside pas tant dans l’accord lui-même que dans tout ce qui caractérise plus largement la politique étrangère et de Défense de l’Iran. L’accord ne couvre en effet que les activités de l’Iran en matière nucléaire. Il ne dit rien des programmes de missiles de l’Iran ou d’un éventuel soutien aux terroristes et intermédiaires, et encore moins sur les agissements du pays en Syrie, en Iraq ou au Yémen, de même qu’ailleurs dans la turbulence du Moyen-Orient, sans parler de la question des droits de l’homme au sein du pays.
L’Iran est un aspirant à la puissance impériale, en quête de primauté régionale. Aucun accord nucléaire conclu, ni même appliqué, ne saurait changer cette réalité, étant même susceptible d’aggraver la situation dans la mesure où l’Iran pourrait bien en sortir avec une réputation renforcée, ainsi qu’avec la possibilité intacte à long terme de concevoir des armes nucléaires.
Obama a raison  : un accord de ce type sur le nucléaire est préférable à la possibilité de voir l’Iran posséder l’arme atomique, ou à l’obligation d’entrer en guerre pour éviter une telle issue. Néanmoins, tout accord doit également générer une confiance généralisée aux États-Unis et dans la région, selon laquelle il instaurera un plafond véritable au programme nucléaire iranien, et selon laquelle tout manquement malveillant sera détecté de manière précoce et géré avec fermeté. Cela ne sera pas chose facile ; en effet, il n’est pas exagéré de prédire que les efforts destinés à instaurer une telle confiance se révéleront aussi exigeants que les négociations elles-mêmes.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Richard N. Haass est président du Conseil des relations étrangères, et plus récemment auteur de l’ouvrage intitulé Foreign Policy Begins at Home: The Case for Putting America’s House in Order .
 
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