Bien que soutenues actuellement par un document de la commission bancaire de la Chambre, et par un article favorable du Wall Street Journal, la plupart des propositions d’Hensarling semblent d’emblée vouées à l’échec sur la plan politique. (Il leur faudrait réunir 60 votes au Sénat et une signature présidentielle pour pouvoir être adoptées.) Ces propositions sont d’ores et déjà nettement critiquées par les démocrates, qui les considèrent trop risquées et trop favorables aux banques – ce qui est effectivement en grande partie le cas. Pour autant, l’une des recommandations d’ Hensarling mérite d’être explorée : l’idée d’une « échappatoire », pour reprendre sa formule, d’une marge de manœuvre par rapport à la réglementation Dodd-Franck, pour les banques souhaitant volontiers procéder à une augmentation de leur capital disponible.
Mais revenons à l’essentiel pour un instant. Si l’État garantit les dépôts bancaires, c’est parce qu’une faillite des banques risquerait de mettre à mal l’économie toute entière. Ceci crée un risque moral, dans la mesure où les banques, en quête de gains maximums pour leurs actionnaires, se montrent alors plus laxistes dans la gestion de ce qui devient effectivement de l’argent public. Elles se sentent à l’aise lorsqu’il s’agit de prendre de gros risques, puisqu’elles savent qu’en cas de pertes elles n’auront qu’à se tourner vers l’État pour que soient remboursés les déposants et autres créanciers. Et si elles gagnent, ce sont elles et leurs actionnaires qui profiteront de l’aubaine.
Les régulateurs appliquent deux principales mesures pour atténuer cette prise de risque : ils exigent d’une part des banques qu’elles détiennent davantage de capital, et d’autre part qu’elles se cantonnent à des investissements, opérations et prêts plus sûrs (et potentiellement moins rentables) que ce qu’elles auraient souhaité. Dans la mesure où ces deux méthodes réglementaires et centralisées visent un même objectif, elles peuvent en théorie se substituer l’une à l’autre – les régulateurs pouvant soit fixer très haut les exigences de capital, soit fixer très bas le degré de risque jusqu’auquel peuvent s’élever les activités des banques. En pratique, dans la mesure où les régulateurs ne peuvent appliquer parfaitement l’une ou l’autre de ces méthodes, ils utilisent un peu des deux.
L’échappatoire préconisée par Hensarling repose sur un compromis consistant à conférer aux banques davantage de liberté de choix, qui leur permettrait de décider si elles préfèrent l’exigence d’un moindre risque ou celle d’un capital plus conséquent. La logique réglementaire de base pourrait impliquer le mélange habituel des deux, à ceci près que les banques dans leur individualité pourraient choisir de respecter des exigences de capital significativement plus élevées, en échange de la permission de procéder à des opérations et investissements plus risqués. Autrement dit, elles pourraient atténuer la rigueur de l’une des mesures réglementaires en échange du resserrement de l’autre.
Sur le plan conceptuel, la logique est saine. Seulement voilà, des difficultés existent autour de la proposition d’Hensarling telle qu’il la formule. Et elles ne sont pas des moindres.
Premièrement, le ratio de capital qu’Hensarling exigerait des banques souhaitant bénéficier d’une telle échappatoire est beaucoup trop faible, s’élevant à 10 % du total des actifs ; un niveau certes supérieur aux exigences actuelles, mais pas suffisamment élevé pour assurer la sécurité des banques.
Le Conseil de stabilité financière et le Fonds monétaire international ont déterminé qu’un grand nombre de banques menacées au cours de la crise financière de 2007 et 2008 auraient eu besoin de doubler les niveaux actuels de capital pour pouvoir sortir intactes de la crise. Si la proposition d’Hensarling venait à être appliquée, ces niveaux devraient alors être encore plus élevés en cas de moindre réglementation du risque. En effet, c’est seulement à condition d’accroître considérablement leur capital – jusqu’à des niveaux spectaculaires – que les banques et leurs dirigeants pourraient en arriver à la conclusion, sans instruction réglementaire, qu’il n’est ni dans leur intérêt, ni dans celui de leurs actionnaires, de s’exposer à un risque plus élevé.
Une deuxième difficulté intervient autour de la recommandation d’Hensarling : les banques rejetteront probablement cette proposition aussi longtemps que demeurera inchangée la politique de fiscalité régissant les entreprises. Comme je l’ai évoqué dans un précédent article, ainsi que dans une récente publication coécrite avec Michael Troege, le fait d’exiger davantage de capital des banques vient alourdir leur imposition, puisque ceci réduit le niveau d’endettement fiscalement déductible, tout en augmentant la part de capitaux imposables. Sans une réforme du code de la fiscalité, peu de banques se laisseront séduire par ce compromis, puisqu’une imposition plus lourde viendra annuler les rendements permis par la proposition d’Hensarling.
La troisième difficulté est de nature logistique : le projet d’Hensarling viendrait ancrer dans la législation les paramètres permettant aux banques de bénéficier de l’échappatoire réglementaire, ce qui lierait les mains des régulateurs. Dès lors qu’une banque satisferait à l’exigence des 10 % de capital, elle ne pourrait plus être empêchée de procéder à des fusions majeures, ni être qualifiée d’importante et de risquée sur le plan systémique. Dans la mesure où les circonstances financières changent rapidement, les régulateurs, capables de s’adapter plus promptement que le Congrès à de nouvelles conditions, devraient bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire de fixation des exigences de capital et des points de repère en termes de compromis prêts-risques. Dans le cadre du projet d’Hensarling, ce ne serait pas le cas.
Aspect plus insidieux, en révoquant une bonne partie de la réglementation Dodd-Franck sur le risque, la proposition d’Hensarling viendrait quasiment éliminer la tentation des banques de bénéficier de l’échappatoire. En effet, l’absence de réglementation lourde ferait tout simplement disparaître chez elles le besoin de s’échapper. Les banques pourraient ainsi avoir le beurre et l’argent du beurre.
Malgré tout, les régulateurs peuvent remercier Hensarling pour ses efforts de promotion d’un concept de compromis flexible. Bien que les détails de cette proposition précise s’avèrent pour le moins problématiques, le concept revêt un réel potentiel. L’issue pour être celle d’un système financier plus dynamique – et plus sûr.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Mark Roe est professeur à la Harvard Law School.
Mais revenons à l’essentiel pour un instant. Si l’État garantit les dépôts bancaires, c’est parce qu’une faillite des banques risquerait de mettre à mal l’économie toute entière. Ceci crée un risque moral, dans la mesure où les banques, en quête de gains maximums pour leurs actionnaires, se montrent alors plus laxistes dans la gestion de ce qui devient effectivement de l’argent public. Elles se sentent à l’aise lorsqu’il s’agit de prendre de gros risques, puisqu’elles savent qu’en cas de pertes elles n’auront qu’à se tourner vers l’État pour que soient remboursés les déposants et autres créanciers. Et si elles gagnent, ce sont elles et leurs actionnaires qui profiteront de l’aubaine.
Les régulateurs appliquent deux principales mesures pour atténuer cette prise de risque : ils exigent d’une part des banques qu’elles détiennent davantage de capital, et d’autre part qu’elles se cantonnent à des investissements, opérations et prêts plus sûrs (et potentiellement moins rentables) que ce qu’elles auraient souhaité. Dans la mesure où ces deux méthodes réglementaires et centralisées visent un même objectif, elles peuvent en théorie se substituer l’une à l’autre – les régulateurs pouvant soit fixer très haut les exigences de capital, soit fixer très bas le degré de risque jusqu’auquel peuvent s’élever les activités des banques. En pratique, dans la mesure où les régulateurs ne peuvent appliquer parfaitement l’une ou l’autre de ces méthodes, ils utilisent un peu des deux.
L’échappatoire préconisée par Hensarling repose sur un compromis consistant à conférer aux banques davantage de liberté de choix, qui leur permettrait de décider si elles préfèrent l’exigence d’un moindre risque ou celle d’un capital plus conséquent. La logique réglementaire de base pourrait impliquer le mélange habituel des deux, à ceci près que les banques dans leur individualité pourraient choisir de respecter des exigences de capital significativement plus élevées, en échange de la permission de procéder à des opérations et investissements plus risqués. Autrement dit, elles pourraient atténuer la rigueur de l’une des mesures réglementaires en échange du resserrement de l’autre.
Sur le plan conceptuel, la logique est saine. Seulement voilà, des difficultés existent autour de la proposition d’Hensarling telle qu’il la formule. Et elles ne sont pas des moindres.
Premièrement, le ratio de capital qu’Hensarling exigerait des banques souhaitant bénéficier d’une telle échappatoire est beaucoup trop faible, s’élevant à 10 % du total des actifs ; un niveau certes supérieur aux exigences actuelles, mais pas suffisamment élevé pour assurer la sécurité des banques.
Le Conseil de stabilité financière et le Fonds monétaire international ont déterminé qu’un grand nombre de banques menacées au cours de la crise financière de 2007 et 2008 auraient eu besoin de doubler les niveaux actuels de capital pour pouvoir sortir intactes de la crise. Si la proposition d’Hensarling venait à être appliquée, ces niveaux devraient alors être encore plus élevés en cas de moindre réglementation du risque. En effet, c’est seulement à condition d’accroître considérablement leur capital – jusqu’à des niveaux spectaculaires – que les banques et leurs dirigeants pourraient en arriver à la conclusion, sans instruction réglementaire, qu’il n’est ni dans leur intérêt, ni dans celui de leurs actionnaires, de s’exposer à un risque plus élevé.
Une deuxième difficulté intervient autour de la recommandation d’Hensarling : les banques rejetteront probablement cette proposition aussi longtemps que demeurera inchangée la politique de fiscalité régissant les entreprises. Comme je l’ai évoqué dans un précédent article, ainsi que dans une récente publication coécrite avec Michael Troege, le fait d’exiger davantage de capital des banques vient alourdir leur imposition, puisque ceci réduit le niveau d’endettement fiscalement déductible, tout en augmentant la part de capitaux imposables. Sans une réforme du code de la fiscalité, peu de banques se laisseront séduire par ce compromis, puisqu’une imposition plus lourde viendra annuler les rendements permis par la proposition d’Hensarling.
La troisième difficulté est de nature logistique : le projet d’Hensarling viendrait ancrer dans la législation les paramètres permettant aux banques de bénéficier de l’échappatoire réglementaire, ce qui lierait les mains des régulateurs. Dès lors qu’une banque satisferait à l’exigence des 10 % de capital, elle ne pourrait plus être empêchée de procéder à des fusions majeures, ni être qualifiée d’importante et de risquée sur le plan systémique. Dans la mesure où les circonstances financières changent rapidement, les régulateurs, capables de s’adapter plus promptement que le Congrès à de nouvelles conditions, devraient bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire de fixation des exigences de capital et des points de repère en termes de compromis prêts-risques. Dans le cadre du projet d’Hensarling, ce ne serait pas le cas.
Aspect plus insidieux, en révoquant une bonne partie de la réglementation Dodd-Franck sur le risque, la proposition d’Hensarling viendrait quasiment éliminer la tentation des banques de bénéficier de l’échappatoire. En effet, l’absence de réglementation lourde ferait tout simplement disparaître chez elles le besoin de s’échapper. Les banques pourraient ainsi avoir le beurre et l’argent du beurre.
Malgré tout, les régulateurs peuvent remercier Hensarling pour ses efforts de promotion d’un concept de compromis flexible. Bien que les détails de cette proposition précise s’avèrent pour le moins problématiques, le concept revêt un réel potentiel. L’issue pour être celle d’un système financier plus dynamique – et plus sûr.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Mark Roe est professeur à la Harvard Law School.