L'heure de l'Afrique - Saisir le moment

Mercredi 10 Décembre 2014

Pour la première fois en l'espace d'une génération, l'Afrique a, de l'avis général, démenti les discours pessimistes. La production économique du continent, hormis dans quelques pays en guerre ou en transition, est revenue aux niveaux d'avant la crise financière.
Comme vous l'aurez appris cette semaine, l'Afrique affiche une croissance de 6,6% en 2013, malgré le ralentissement de l'économie mondiale. Pour la seule Afrique subsaharienne, la croissance s'établit à 5,7 %. Et si l'on en exclut la plus grande et plus complexe économie de la région, la croissance de l'Afrique subsaharienne s'élève en fait à 6,7 %.


Dr Donald Kaberuka, President de la BAD
Dr Donald Kaberuka, President de la BAD

 

Les performances en matière d'exportation demeurent solides, tout comme les investissements étrangers. Contrairement à une perception répandue, les échanges commerciaux et les investissements intra-africains sont en hausse. Nos villes sont en plein essor, dopées par une forte demande de biens et services au détail. Le PIB réel a doublé en l'espace de 12 ans. Et n'oublions pas qu'un certain
nombre de pays–comme le Ghana récemment–sont en train de modifier la base de leur PIB pour mieux tenir compte de la taille de leur économie, qui est en fait beaucoup plus grande.

Pour la première fois, le PIB par habitant du continent a franchi la barre des 1000 dollars des États-Unis. La mortalité infantile et maternelle a baissé de moitié. L'espérance de vie a augmenté, passant de 40 à 60 ans. L'Afrique compte aujourd'hui plus d'enfants scolarisés que jamais auparavant. Sept Africains sur dix ont un téléphone mobile. La pauvreté absolue est en recul.

Les jeunes talents africains de la diaspora rentrent en grands nombres. La situation en Somalie est en train de se rétablir et la crise au Sahel est en passe d'être endiguée. Les quatre cinquièmes des populations d'Afrique vivent dans des pays où règnent la paix et la stabilité et qui enregistrent une forte croissance économique. Certes, ces réalités ne prévalent que dans 36 des 54 pays que compte l'Afrique, mais c'est dans ces pays que se trouve concentrée la majeure partie de la population du continent.

L'appétit des investisseurs pour le risque a changé de manière significative. Les investisseurs ont appris à évaluer les risques réels–
qu'il s'agisse de risques politiques, économiques ou sociaux–en se fondant sur des faits, et non sur des préjugés. Ils mesurent la réalité en Afrique comme ils le font partout ailleurs. Ils ont appris à déterminer le coût des risques encourus en Afrique et à les atténuer.

Pendant trop longtemps, ce continent a été jugé à travers le prisme de l'apocalypse.

Pour n'avoir pas été réfutés, des clichés corrosifs ont créé une image superficielle de l'Afrique, qui simplifiait à outrance la réalité beaucoup plus complexe de la mosaïque que constituent les 54 États et les cinq régions du continent. Le continent a été caricaturé par l'image:
- de l'enfant mourant de faim, le visage couvert de mouches et le ventre affreusement ballonné,
- de la mère désespérée, suppliante, qui mendie pour nourrir son bébé,
- du garçon, à peine adolescent, vêtu de treillis, et j'en passe....

Dans une certaine mesure, le peu d'empressement dont les Africains font preuve pour battre en brèche cette image dévalorisante leur fait porter une part de responsabilité. Tout compte fait, les populations d'Afrique ont les mêmes aspirations, les mêmes espoirs et les mêmes craintes que celles d'autres régions.

Mais une réalité aussi

Toutefois, au-delà de cette perception, il y a aussi une réalité. Une réalité pénible qui requiert toute notre attention. Un enjeu qui est au cœur de nos débats de cette semaine à Marrakech.

Certes, les économies africaines sont sur une trajectoire de croissance, mais elles ont progressé à un taux qui reste inférieur aux 7% nécessaires, et qu'il faudra maintenir pendant probablement deux décennies. Certes, nos économies enregistrent une croissance positive, mais notre population augmente également. Chaque année, dix à douze millions de jeunes font leur entrée sur le marché du
travail. Nous avons des villes en plein expansion, des gratte-ciel, mais aussi des millions de personnes indigentes, qui vivotent dans des taudis et bidonvilles surpeuplés.

Nous avons des centaines de jeunes de la diaspora pleins d'énergie qui rentrent dans leurs pays, ... mais aussi des centaines de migrants qui fuient leur pays , entassés sur des embarcations de fortune pour traverser la Méditerranée, souvent au péril de leur vie.

Nous avons des entrepreneurs et des artistes créatifs qui déploient leurs talents ...mais aussi des jeunes au chômage, bien formés, mais qui n'ont guère de chances de trouver un emploi décent.

Nous avons une classe moyenne en expansion, mais aussi des paysans qui peinent en cultivant encore à la houe, comme le faisaient jadis leurs grands-parents.

Moins de 25% d'Africains ont accès aux services financiers. L'Afrique a réduit de moitié son taux de mortalité infantile, mais elle compte encore 52 millions d'enfants non scolarisés en Afrique subsaharienne. Elle souffre d'un énorme déficit d'infrastructures, et d'un déficit de compétences tout aussi important.

Et comme si cela ne suffisait pas, de nouveaux types de menaces au Sahel et l'instabilité chronique en République centrafricaine viennent s'ajouter à la crise somalienne qui dure depuis deux décennies.

Tels sont les défis auxquels nous devons nous attaquer résolument. Telle est la réalité de l'Afrique.

Un discours en évolution

Avant de commencer à répondre, il vaut mieux écouter ce que demandent les gens ordinaires. Eh bien, ils disent, «d'accord, la croissance économique est là ...mais, où est l'argent dans ma poche?» Qu'il s'agisse du jeune diplômé au chômage, qui n'arrive pas à trouver du travail, du petit entrepreneur ruiné par un approvisionnement peu fiable en électricité, ou du paysan dont les moyens de subsistance sont fragilisés par les aléas climatiques...

Eh bien, toutes ces personnes ne trouvent pas convaincantes les réponses techniques invoquant «la démographie», «le faible niveau de départ», «le nombre limité d'inducteurs de croissance»...Ces personnes se laissent d'autant moins convaincre par ces arguments qu'elles voient autour d'elles l'opulence et des inégalités croissantes.

Elles ont besoin de réponses. Des réponses sur la manière dont la forte croissance économique actuelle de l'Afrique se traduit dans les faits par la création d'emplois et d'opportunités pour tous, et réduit la dépendance à l'égard d'une poignée de  produits de base.

Rien ne résume mieux ce paradoxe que l'histoire du téléphone mobile. Au cours d'une récente discussion lors du Forum économique mondial au Cap, j'ai rappelé une observation faite par Larry Summers le mois passé à Boston, à savoir que l'Afrique subsaharienne compte plus de téléphones portables que l'Amérique du Nord et l'Europe réunies. Mon ami Mo Ibrahim, qui s'y connaît bien en matière de téléphonie, et qui est présent dans cette salle, a confirmé cette information.

Toutefois , il nous a aussi rappelé un autre fait dans le même domaine : aucun des milliers de composants de ces téléphones n'est fabriqué en Afrique.

Pour tout dire, alors que le volume et la valeur de nos matières premières ont augmenté, générant ainsi plus de recettes pour investir et stimuler l'investissement public, la structure de nos économies est restée la même. Pour la grande majorité de nos pays, notre production est encore absente dans les chaînes de plus grande valeur mondiales. Il en résulte un nombre moins important de possibilités d'emploi,
parce que la transformation de nos économies n'est pas pour demain.

C'est pourquoi le dialogue de cette semaine est si crucial. Il s'agit d'un dialogue sur les deux principales problématiques auxquelles l'Afrique est actuellement confrontée, à savoir la qualité de la croissance et sa durabilité. Ces problématiques seront au cœur de nos débats cette après-midi lors du dialogue des gouverneurs. L'enjeu est de savoir comment faire en sorte que l'Afrique tire parti de l'actuelle dynamique interne et externe pour créer des emplois pour sa population et réduire sa dépendance.

Notre nouvelle Stratégie décennale

C'est également l'essence même de la nouvelle Stratégie décennale de la Banque, que vous êtes priés d'entériner à l'occasion de la présente assemblée. La stratégie décennale vise non seulement une croissance qui force l'admiration en termes de PIB, mais une croissance qui crée des emplois, instaure la confiance et l'espoir et favorise, par conséquent, la durabilité. Une croissance équitable sur le plan social et durable sur le plan environnemental.

La stratégie vise à s'assurer que, dans tous les pays, nos mères et nos filles jouissent du même droit à la propriété que leurs frères, peuvent bénéficier de l'héritage, et accèdent sur un pied d'égalité à la terre et au patrimoine.

Elle est conçue pour permettre à toutes les régions et à toutes les catégories socioéconomiques de participer pleinement à la prospérité croissante et à en tirer parti.

Enfin, pour un continent dont l'empreinte écologique a augmenté de 250% au cours des cinquante dernières années–et où le désert avance, tandis que les ressources marines et forestières diminuent–il est tout simplement logique que nous recherchions un mode de croissance respectueux de l'environnement, qui tire le plus grand parti du vaste potentiel d'économie verte de l'Afrique pour créer des
emplois.

Au cours de ce mois, ici au Maroc, à Ouarzazate, nous avons mis en service la plus grande centrale solaire au monde que nous avons
financée par le guichet BAD et par nos fonds climatiques. Dans le même ordre d'idées, en Afrique de l'Est (au nord du Kenya) la Banque
appuie –au moyen de son guichet du secteur privé et des garanties du FAD– ce qui sera le plus grand projet d'énergie éolienne en Afrique.

Que ce soit pour l'énergie hydroélectrique, géothermique, solaire ou éolienne, notre continent n'a pas encore pleinement exploité son potentiel. C'est cela l'essence même de notre nouvelle stratégie. Elle est porteuse à la fois de transformation, d'emplois et de durabilité.

Une concentration, sans dérive stratégique

En élaborant cette stratégie, nous étions également conscients de la nécessité de rester concentrés sur les domaines où nous avions des avantages comparatifs et d'éviter toute dérive stratégique. Notre nouvelle stratégie conserve la même orientation, évite les dérives
et continue de mettre l'accent sur les trois domaines prioritaires dans lesquels la Banque affiche un bilan convaincant, notamment: l'infrastructure; l'intégration économique régionale et le développement du secteur privé; ainsi que la gouvernance et l'obligation de rendre compte, le développement des compétences et la technologie.

Parallèlement, elle accorde une attention suffisante à trois domaines transversaux : l'appui aux États fragiles; le genre; l'agriculture et la sécurité alimentaire.

Une Banque solide dotée de capacités d'exécution

Cependant, la qualité de toute stratégie, où qu'elle soit déployée, dépend de la qualité des personnes qui la mettent en œuvre, ainsi que de la solidité de l'organisation qui la déploie. Les différents rapports que vous avez devant vous–les présentations financières, le
Rapport sur l'efficacité du développement–vous auront assurés de la solidité et de la résilience de notre institution.

En dépit des turbulences observées sur les marchés, la situation financière de la Banque reste très solide. Pour l'exercice 2012, nous avons réalisé un revenu assez confortable et fait preuve d'une solide capacité à supporter les risques. Notre test de résistance montre que, même dans les situations les plus difficiles, les perspectives financières à moyen terme de la Banque restent tout à fait satisfaisantes.

Cependant, soucieux de la prudence qui caractérise notre gestion financière, nous restons très attentifs aux turbulences qui secouent le marché mondial et les économies de nos clients. C'est pourquoi, compte tenu des sombres perspectives du marché et de la transition cours dans certains pays d'Afrique du Nord, nous avons décidé de renforcer notre situation financière par un accroissement substantiel de nos réserves.

En effet, dans la proposition qui vous est soumise, nous recommandons d'affecter aux réserves un montant supplémentaire de 175 millions de dollars (soit près de la moitié de notre revenu net de cette année).

Les personnes

Une bonne stratégie a certes besoin d'un bon fin ancement, mais également de notre principal atout : notre personnel. La Banque africaine de développement est un des plus hauts lieux de concentration de talents exceptionnels sur le continent. C'est pour cette raison que la Stratégie décennale est accompagnée d'une Stratégie prospective de gestion des personnes, pour nous permettre de continuer de disposer des meilleures personnes, motivées et capables de bien servir nos pays.

Les systèmes

Une bonne stratégie a également besoin de systèmes solides. Elle a besoin d'une institution apte à réagir, souple et dont la gestion est
axée sur les résultats. Je me réjouis d'indiquer que la Banque a continué d'enregistrer des progrès dans tous ces domaines. Ces progrès vont du renforcement des contrôles internes et de la vigilance dans la lutte contre la corruption dans le cadre des projets, à une plus grande diffusion de l'information et au renforcement des organes de surveillance.

Toutefois, au regard de la nouvelle stratégie et pour renforcer notre capacité d'exécution, j'ai demandé au bureau d'études McKinsey de travailler avec nous sur ces questions, en vue de déterminer les principaux atouts et les lacunes majeures pour lesquelles des mesures s'imposent.

À cet égard, permettez-moi de souligner le rôle essentiel que doit jouer la décentralisation. Pour nous, la décentralisation est
un nouveau modèle opérationnel et non une simple opération de déconcentration ou de délégation de pouvoirs. La décentralisation est une opération coûteuse, mais–comme nous le savons tous–elle est porteuse de gros dividendes lorsqu'elle est menée efficacement.

Le fonctionnement de nos 33 bureaux extérieurs et de nos 2 centres de ressources régionaux pilotes nous coûte quelque 60 millions de dollars par an. Ce montant représente 14% de l'ensemble de notre budget administratif. Nous devons par conséquent nous attacher à utiliser nos ressources de manière optimale, en consolidant notre portefeuille et en veillant à une meilleure coordination sur le terrain. C'est la raison pour laquelle 36% de nos effectifs sont désormais sur le terrain, où ils gèrent 42% du portefeuille.

L'augmentation générale du capital et la confiance renouvelée

Si la Banque est si solide sur les plans financier et opérationnel, elle le doit, dans une large mesure, à la confiance que vous placez en elle. C'est pour moi un réel plaisir de vous annoncer que, malgré les contraintes budgétaires auxquelles beaucoup d'entre vous font face,
presque tous les pays ont intégralement libéré les parts qu'ils ont souscrites au titre de la récente augmentation générale du capital, ce qui, pour moi, constitue une marque de confiance.

Le FAD

Je voudrais également remercier les États participants au Fonds africain de développement pour les résultats spectaculaires des trois dernières reconstitutions du FAD, à savoir les FAD-10, 11 et 12. En dépit des coupes budgétaires, certains d'entre vous ont pu sanctuariser les fonds alloués à l'aide au développement international. Dans la perspective de la conclusion de la 13ème
reconstitution du FAD, œuvrons de concert pour faire du Fonds une institution encore plus solide. Le Fonds a prouvé ce dont il était capable. Son bilan est particulièrement crédible. Il a accompli un travail remarquable pour les États fragiles en répondant à leurs besoins spécifiques en matière d'intégration régionale, de développement du secteur privé, et j'en passe.

Comme nous nous approchons de 2015, l'année butoir pour les OMD, prenons la résolution de faire ce grand effort sur la dernière ligne droite. Dans cette perspective, le fait que l'Australie soit en train d'achever les formalités d'adhésion à la Banque et au Fonds ne peut être pour moi qu'un motif de grande satisfaction.

Je me réjouis également que la Libye ait annoncé sa participation prochaine au Fonds.

Je voudrais vous assurer ici que la Banque également s'efforcera de faire plus pour le Fonds–sous réserve du respect des principes énoncés dans notre nouveau modèle de répartition du revenu.

Cela étant, vous conviendrez avec moi que, pour l'avenir, le défi à relever sera celui de l'innovation et de la démultiplication des ressources limitées du Fonds.

À cet égard, nous avançons des propositions très concrètes dans le cadre des négociations relatives au FAD-13.

Financement du développement de l'Afrique

L'année prochaine, en 2014, nous fêterons notre jubilé : le cinquantième anniversaire de la Banque. Nous aurons beaucoup de choses à célébrer. Nos réalisations. Le parcours de l'Afrique. Mais nous devrons également nous projeter dans l'avenir. Une des questions cruciales à laquelle nous devons répondre est la suivante : comment financer le développement de l'Afrique dans les 50 années à venir ?
Cette question devient encore plus importante maintenant que nous envisageons la mise en place du programme de développement pour l'après-2015.

Des progrès importants ont été accomplis vers la réalisation des OMD, surtout dans les pays ayant affiché une très forte croissance et fait preuve d'innovation. Toutefois, la plupart de ces réalisations ont été financées par les donateurs. À titre d'exemple, les concours des donateurs dans le secteur de la santé, pour ces 10 dernières années, ont été multipliés par 10. Cette aide s'est traduite par une forte
réduction de la mortalité infantile et des progrès dans la lutte contre le VIH–en particulier la réduction de la transmission de la mère à l'enfant et l'accès aux antirétroviraux. Maintenant que ces concours extérieurs diminuent, il se pose la question de la préservation de ces acquis par des financements nationaux, et l'optimisation de l'utilisation des ressources.

De même, dans des domaines prioritaires de l' infrastructure tels que l'énergie, il est désormais évident que les dons et les prêts concessionnels extérieurs ne suffiront pas à couvrir les besoins de financement. Je voudrais reconnaître et saluer les efforts que bon nombre de pays ont déployés pour optimiser les recettes intérieures. Pour la seule Afrique subsaharienne, trois quarts des 464 milliards de dollars consacrés aux dépenses publiques proviennent désormais des ressources intérieures. Les envois de fonds des travailleurs migrants représentent actuellement 3% du PIB de l'Afrique, soit plus de 20% de l'aide publique au développement.

Dans le même esprit, je voudrais encourager davantage de pays à se faire évaluer par les agences de notation et à se financer sur les marchés de capitaux, à condition de faire preuve de prudence et de plus de rigueur dans la gestion de la dette intérieure, afin de garantir une utilisation judicieuse des fonds ainsi mobilisés. À cet égard, nous pourrons tirer des enseignements de la crise financière asiatique de 1997. Les marchés sont actuellement inondés de liquidités.

L'Afrique a plein de projets crédibles. Le véritable défi–que nous nous employons à relever aujourd'hui– est de porter ces projets à un niveau bancable, et de gérer les risques commerciaux, politiques et réglementaires que pourraient poser ces projets, afin d'attirer les gestionnaires de fonds, les fonds souverains, et d'autres intervenants.

Notre guichet du secteur privé a, à son actif, un grand nombre de ce type de projets ciblant les infrastructures. La Banque a acquis de l'expérience dans la gestion de ces projets. Ces cinq dernières années, les besoins de financement des infrastructures (hormis les projets adossés à des ressources naturelles) ont été estimés à quelque 93 milliards de dollars par an. Sur ce montant, le secteur public et les institutions de financement du développement ont fourni près de 40 milliards de dollars, et le secteur privé un peu moins de 10 milliards.

Ce niveau fait ressortir un déficit de financement de l'infrastructure en Afrique d'environ 50 milliards de dollars par an. Le moment est venu de changer de rythme. Nous devons passer à la vitesse supérieure.

Le «Fonds 50 Afrique »
L'année dernière à Tokyo, je vous ai présenté une proposition sur la manière dont nous pourrions renforcer le financement de l'infrastructure pour obtenir des projets bancables porteurs de transformation, en mobilisant les propres ressources internes de l'Afrique. Depuis lors, les services de la Banque travaillent d'arrache-pied pour approfondir cette idée. Le fruit de ce travail est le Fonds 50 Afrique, qui pourrait, à notre avis, transformer le paysage du financement de l'infrastructure, en opérant sur une base purement commerciale.

Le Fonds 50 Afrique remédiera aux faiblesses qui empêchent l'Afrique d'attirer les capitaux privés dans l'infrastructure, à savoir sa capacité à rendre les projets bancables et sa capacité à gérer les risques commerciaux, politiques et réglementaires que pourraient poser ces projets.

Il tirera parti de la longue expérience de la Banque dans ce domaine, qui nous a permis de financer l'infrastructure à hauteur de
5,6 milliards de dollars au cours des six dernières années, avec un effet de 6 à 9 pour 1. Nous examinerons les grandes lignes de cette proposition aujourd'hui et demain.

C'est Victor Hugo qui a affirmé qu'il n'est rien au monde d'aussi puissant qu'une idée dont l'heure est venue. L'heure est maintenant venue d'agir. Et c'est John F. Kennedy qui a demandé « Si ce n'est pas maintenant ce sera quand?» et «Si nous ne le faisons pas, qui le fera?»

Les priorités de l'Afrique sont clairement énoncées dans le Programme pour le développement des infrastructures en Afrique, le PIDA. Nous devons donc nous atteler maintenant à la mise en œuvre. En ce 50ème anniversaire de l'Afrique, c'est l'unique moyen par lequel nous pourrons mobiliser le financement de l'infrastructure à plus grande échelle. Et l'accroissement du financement ira de pair avec une planification minutieuse, l'amélioration de la gouvernance, de l'entretien et de la gestion du risque en matière de réglementation.

Ressources naturelles

Cette semaine, nous avons parlé longuement des ressources naturelles de l'Afrique. Les infrastructures appuyées par les ressources naturelles ont bénéficié d'une impulsion assez forte au cours des sept dernières années. Pour autant qu'elles soient bien gérées, les ressources naturelles de l'Afrique offrent d'immenses possibilités de financement de notre développement–pas seulement le développement des infrastructures, mais aussi celui de notre capital humain.

Les problèmes sont bien connus de nous tous. La «malédiction des ressources» n'est pas une fatalité, c'est un problème politique. C'est un problème de déficit de gouvernance. C'est un problème que l'on peut éviter.

Les ressources naturelles devraient être une bénédiction et non une malédiction.

Ce mois, dans un rapport qui fait date et dont vous avez probablement pris connaissance, l'Africa Progress Panel tire la sonnette d'alarme sur le pillage des ressources naturelles de l'Afrique. Par des contrats déséquilibrés, des modèles de propriété complexes, les prix de transfert et toutes sortes de subterfuges juridiques, les sociétés multinationales privent les pays africains de leurs droits en évitant de leur payer ce qu'elles leur doivent.

J'espère que ce rapport suscitera une action collective, visant à mettre un terme à ce pillage des ressources de l'Afrique, dont nos pays ont tant besoin pour leurs populations.

La Facilité africaine de soutien juridique–un instrument important dont la mission est de permettre aux pays africains d'obtenir ce qu'ils méritent de leurs ressources–jouera son rôle à cet égard. Je tiens à féliciter les pays qui appuient cette Facilité. J'attends avec intérêt de voir d'autres pays leur emboîter le pas, afin que tous ensemble, nous puissions mettre fin à ces activités de recherche de rente et améliorer la gouvernance de nos ressources naturelles.

États fragiles

Je ne saurai terminer mon propos sans revenir à la question des États fragiles et à l'impact qu'ils ont sur les chances de réussite de l'Afrique. Alors que l'Afrique progresse, certaines parties de notre continent s'enfoncent de plus en plus dans la misère et la crise, du Sahel, à la Somalie, en passant par la République centrafricaine.

Il s'agit de crises qui ne peuvent simplement pas rester confinées dans un pays. Les répercussions au-delà des frontières représentent souvent le plus grand facteur de déstabilisation. C'est ainsi que la crise somalienne a eu un impact non seulement sur la Corne de l'Afrique, mais aussi sur la grande région de l'Afrique de l'Est. C'est au Kenya que se trouverait le plus vaste camp de réfugiés au monde–un camp plus grand que la troisième ville du pays. De même, la crise malienne a eu des conséquences de vaste portée en Afrique de l'Ouest. Les pays et les populations d'Afrique centrale paient un lourd tribut pour les troubles chroniques en République centrafricaine.

C'est un domaine dans lequel le Fonds africain de développement mène une action louable et où son rôle demeure pertinent et particulièrement nécessaire.
Par l'intermédiaire de la Facilité du Fonds en faveur des États fragiles qui est dotée d'un budget de 600 millions de dollars, nous avons fait le maximum pour accompagner le relèvement des pays affectés. La Banque a un bilan remarquable dans ce domaine.

Je voudrais demander votre appui au titre du FAD-13. Il y a fort à faire dans ce domaine.

Avec l'aide de la Présidente Ellen Johnson Sirleaf et d'un groupe d'experts, nous élaborons une nouvelle stratégie visant à accélérer le relèvement de ces pays et à limiter l'impact de leur situation sur leurs voisins.

Ce domaine doit rester au cœur de l'action du Fonds. Alors que la Somalie revient péniblement à une vie normale, nous allons renforcer notre appui à ce pays. C'est ainsi qu'au cours des trois dernières années, nous avons pu l'aider à mettre en place les éléments de base d'un système de gestion financière.

Nous étions l'une des toutes premières institutions à agir ainsi. C'est la raison pour laquelle, lors de la récente Conférence de Londres sur la Somalie, j'ai été en mesure d'annoncer un programme triennal de 20 millions de dollars pour aider ce pays à reconstituer sa capacité à gérer ses propres ressources, et celles fournies par les donateurs. Nous sommes disposés à contribuer davantage à la reconstruction de la Somalie, et c'est la raison pour laquelle nous prendrons rapidement les dispositions pour ouvrir notre bureau à Mogadiscio, dès que la situation en matière de sécurité le permettra. À Londres, j'ai lancé un appel en faveur de l'apurement rapide du modeste montant des arriérés de la Somalie, pour lui permettre de reprendre la collaboration avec la communauté internationale.

Je voudrais réitérer cet appel ici. Dans le même esprit, lors de la récente conférence parrainée par l'UE sur le Mali, nous avons annoncé une contribution de 240 millions de dollars, pour cette année et l'année prochaine, en appui au relèvement de ce pays.

Le Mali est un pays dans lequel nous avions, avant la crise, un solide portefeuille, en particulier dans l'infrastructure, la gestion de l'eau, l'irrigation et la sécurité alimentaire.
Nous sommes prêts à jouer notre rôle et nous le jouerons pleinement au Mali et dans la région du fleuve Mano, conformément à nos Plans régionaux. Et pour ce qui est de la République centrafricaine, nous sommes disposés à recevoir les éclairages des pays de la région sur la meilleure manière d'apporter notre aide. Institutions affaiblies, stupéfiants, crime organisé

Le risque de trafic de stupéfiants et de crime organisé représente l'une des principales conséquences de ce type de fragilité et de faiblesses institutionnelles.

Le crime organisé profite désormais de s faiblesses institutionnelles et des capacités de défense limitées de certains pays pour introduire les stupéfiants en Afrique.

La région du fleuve Mano en Afrique de l'Ouest est la zone la plus menacée, mais le problème s'étend bien au-delà de celle-ci. C'est une menace pour tous. Et la menace pèse désormais sur la faune de l'Afrique. C'est un phénomène qui a pris des proportions alarmantes. Les deux tiers des éléphants d'Afrique ont été exterminés rien qu'au cours des dix dernières années. Il ne s'agit plus simplement d'actes perpétrés par des braconniers isolés. Ce sont des bandes criminelles internationales bien armées et bien financées qui déciment notre faune. Il est établi que ces bandes sont souvent liées aux financiers du terrorisme et aux narcotrafiquants, qui profitent des gouvernements affaiblis.

Je tiens à féliciter et à remercier le Président Ali Bongo, qui défend inlassablement cette cause. Il a tiré la sonnette d'alarme et il mérite notre sou tien. Avec le Président Bongo et le Fonds mondial pour la nature, nous allons lancer ce jour, ici à Marrakech, une initiative spéciale–un cri de ralliement.

Des traités internationaux existent et ont été signés, mais ils sont impunément violés. Ces traités ne font parler d'eux que lorsqu'ils font l'objet de violations, dans ce commerce criminel mais manifestement lucratif.

Chaque pays a un rôle à jouer, notamment les pays de destination, ainsi que les autorités des ports maritimes d'origine. Il ne s'agit pas simplement d'un problème de conservation des espèces sauvages. Ce sont nos écosystèmes qui sont menacés; ce sont les économies des pays fortement tributaires du tourisme qui vont en pâtir. Le problème, c'est le financement des activités criminelles; ce sont les moyens de subsistance de communautés entières qui sont en jeu.

Retour à Abidjan

Il vous est présenté aujourd'hui une résolution–proposée par notre Comité consultatif des gouverneurs–pour approuver la Feuille de route de notre retour en Côte d'Ivoire, après dix années passées dans notre agence temporaire de relocalisation à Tunis. Nous comprenons parfaitement qu'il s'agit d'une opération complexe, qui doit être gérée minutieusement.
La Feuille de route vise fondamentalement à assurer un retour ordonné. L'objectif global consiste à garantir la sécurité et le bien-être des fonctionnaires de la Banque et de leurs familles, et à réduire au minimum les perturbations pouvant affecter la capacité opérationnelle de l'institution au cours de cette transition.
Nous allons appliquer fidèlement cette Feuille de route dès l'instant où nous aurons votre feu vert. Nous le ferons en étroite collaboration avec notre pays hôte, la Côte d'Ivoire, ainsi qu'avec le Gouvernement de Tunisie, qui nous a offert une généreuse hospita
lité pendant dix ans. Si tout se passe comme prévu, l'an prochain–en 2014–c'est à notre siège à Abidjan que nous célébrerons notre 50e
anniversaire.
Remerciements
Je ne saurai terminer mon intervention sans adresser mes remerciements à la Haute direction et au personnel pour l'excellent travail accompli tout au long de l'année.
Je remercie le Conseil d'administration sortant, dont les membres ont été des partenaires indispensables, œuvrant de concert avec mes collègues et moi-même pour traverser des eaux parfois houleuses. Je me réjouis à l'idée d'accueillir le prochain Conseil, et l'assure de ma collaboration sans réserve et de celle du personnel et de la Direction. Nombreuses sont les obligations internes et internationales auxquelles la Banque doit faire face au cours des semaines et des mois à venir:
- ramener la Banque à son siège,
- assurer l'exécution des plans financier et opérationnel de la Banque,
- superviser la mise en œuvre de la nouvelle Stratégie,
- mettre en œuvre les engagements au titre de l'Augmentation générale du
capital,
- conclure la reconstitution du Fonds africain de développement...... entre bien d'autres obligations.
Conclusion
Permettez-moi de conclure en vous remerciant mesdames et messieurs les gouverneurs, pour votre appui.
Je vous remercie, chers partenaires, pour votre collaboration.
Je vous remercie, messieurs les anciens Présidents de la Banque, pour votre amitié et les conseils que vous nous avez donnés quand nous en avions besoin.
Je vous remercie, institutions sœurs, pour votre coopération.
Je vous remercie, vous tous ici présents, pour la confiance que vous nous faites.
Je voudrais maintenant terminer par où j'ai commencé: nous vivons aujourd'hui un grand moment pour l'Afrique.
Le problème qui se pose actuellement à l'économie mondiale est ce lui d'une croissance faible, anémique. Ce sont en grande partie les marchés émergents qui donnent l'impulsion nécessaire.
Ainsi, le monde a besoin de l'Afrique, comme l'Afrique a besoin du monde. La Banque africaine de développement continuera, avec votre
appui, à s'efforcer de devenir, dans ce parcours, le pôle d'excellence dont l'Afrique a besoin et dont elle peut être fière.
Je vous remercie.
African Development Bank Group
 
 

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