Depuis, les avocats et les économistes tentent de démêler le dédale des implications de la décision de Griesa. La justice américaine peut-elle réellement revendiquer l’autorité de sa justice au-delà des frontières de l’Amérique ?
Aujourd’hui, la Grande Bretagne a finalement apporté un peu de clarté sur cette question, en affirmant que le remboursement des intérêts payés sur les obligations issues en Grande Bretagne sont couverts par la loi britannique, et non par les décisions de la justice américaine. Ce retournement – fort apprécié après la série de décisions adoptées par les juges américains qui ne semblent pas comprendre les complexités des marchés financiers globaux – constitue des leçons importantes.
Mais surtout, le fait que les négociations sur la dette argentine ont été préemptées par une cour américaine – avant d’être contredite par une cour de justice britannique – rappelle tristement que les solutions basées sur le marché pour gérer les crises liées aux dettes souveraines engendrent généralement le chaos. Avant la décision de Griesa, et ses conséquences, on pensait souvent – et c’est une erreur – que les solutions aux problèmes de remboursement de la dette souveraine devaient être résolues par le biais de négociations décentralisées, en l’absence d’un cadre légal fort. Même après, la communauté financière et le FMI espéraient rétablir l’ordre par un simple réajustement des contrats d’emprunt, particulièrement les termes des clauses dites d’actions collectives (qui lient tous les créanciers à une proposition de restructuration approuvée par une supermajorité).
Mais de simples modifications, comme les amendements aux contrats, ne suffiront pas à surmonter les déficiences du système. Avec de multiples dettes sujettes à une ribambelle de lois parfois contradictoires en fonction des différentes juridictions, une formule basique permettant d’additionner le vote des créanciers – que les partisans d’une approche fondée sur les marchés ont encouragé – ne parviendrait pas à résoudre les problèmes compliqués de marchandage. Il ne permettrait pas non plus d’établir les taux de change utiles pour évaluer le montant de la dette en différentes devises. Si les marchés sont désignés pour régler ces problèmes, les solutions seront déterminées par les rapports de force dans les pouvoirs de négociations respectifs, et non par des considérations d’efficacité ou d’équité.
Les conséquences de ces dysfonctionnements ne sont pas de simples inconvénients. Tarder à convenir des restructurations des dettes peut entrainer des récessions économiques plus profondes et durables, comme l’illustre le cas de la Grèce.
Ce qui nous amène à la seconde leçon à tirer de la décision britannique. Dans la mesure où les enjeux sont élevés et le système passablement mal en point, les marchés obligataires ont peu de raison de rester aux Etats-Unis. L’Amérique s’est toujours enorgueilli de la force de son « autorité de la loi », un argument qui a fait de Wall Street l’hôte des plus grands marchés obligataires. Mais la décision de Griesa, fondée sur une interprétation particulière, et selon nous indéfendable, de certains des termes du contrat de l’Argentine, montre que les intérêts commerciaux américains peuvent prévaloir sur les décisions de justice.
La fameuse autorité de la loi américaine n’est peut-être plus aussi solide. D’une manière perverse, elle protège le fort contre le faible. La faillite Griesa n’est que le dernier chapitre d’une série de décisions qui ont révélé ce que l’on pourrait qualifier de symptôme de « corruption à l’américaine », dans lequel le lobbying et les contributions de campagnes compromettent tout le système, même lorsqu’aucun responsable officiel n’est pris en faute. Les Etats-Unis seraient avisés de réagir avant que le marché obligataire ne migre loin de New York.
La Chine devrait s’apprêter à reprendre le flambeau. Son épargne dépasse aujourd’hui largement celle des Etats-Unis, et elle rêve de faire de Shanghai un centre financier global. Cette ambition est désormais à portée de main si l’on en juge par le mal fait à la crédibilité américaine après la crise financière de 2008. Mais si Shanghai devait émerger en tant que leader des marchés obligataires, la Chine devra prendre la mesure des défauts des cadres juridiques ailleurs dans le monde, et donc concevoir une alternative efficace et équitable.
Le dernier message que transmet la décision de justice britannique devrait être entendu par tous les pays. Il serait urgent de relancer les efforts de l’ONU pour inscrire les restructurations de dette dans un cadre juridique multinational. Si les Américains font tout pour saper ces efforts, la décision de la Grande Bretagne nous rappelle que l’autorité des juges américains ne s’étend pas au-delà les frontières.
Cette dernière révélation provoquera peut être quelques migraines à Wall Street, mais pour les nombreux pays partout dans le monde qui dépendent de cette dette souveraine, c’est sans aucun doute une excellente nouvelle.
Joseph E. Stiglitz, Prix Nobel d’économie, est professeur d’université à l’université Columbia. Son dernier ouvrage paru, co-écrit avec Bruce Greenwald, est Creating a Learning Society: A New Approach to Growth, Development, and Social Progress (Créer une société de la connaissance : une nouvelle approche de la croissance, du développement et du progrès social, ndt) ; Martin Guzman, chercheur post-doctorat au département d’économie et de finance de l’École de commerce de l’université Columbia, co-préside le groupe de travail sur le dialogue politique pour la restructuration de la dette et les faillites souveraines de l’université Columbia.
Aujourd’hui, la Grande Bretagne a finalement apporté un peu de clarté sur cette question, en affirmant que le remboursement des intérêts payés sur les obligations issues en Grande Bretagne sont couverts par la loi britannique, et non par les décisions de la justice américaine. Ce retournement – fort apprécié après la série de décisions adoptées par les juges américains qui ne semblent pas comprendre les complexités des marchés financiers globaux – constitue des leçons importantes.
Mais surtout, le fait que les négociations sur la dette argentine ont été préemptées par une cour américaine – avant d’être contredite par une cour de justice britannique – rappelle tristement que les solutions basées sur le marché pour gérer les crises liées aux dettes souveraines engendrent généralement le chaos. Avant la décision de Griesa, et ses conséquences, on pensait souvent – et c’est une erreur – que les solutions aux problèmes de remboursement de la dette souveraine devaient être résolues par le biais de négociations décentralisées, en l’absence d’un cadre légal fort. Même après, la communauté financière et le FMI espéraient rétablir l’ordre par un simple réajustement des contrats d’emprunt, particulièrement les termes des clauses dites d’actions collectives (qui lient tous les créanciers à une proposition de restructuration approuvée par une supermajorité).
Mais de simples modifications, comme les amendements aux contrats, ne suffiront pas à surmonter les déficiences du système. Avec de multiples dettes sujettes à une ribambelle de lois parfois contradictoires en fonction des différentes juridictions, une formule basique permettant d’additionner le vote des créanciers – que les partisans d’une approche fondée sur les marchés ont encouragé – ne parviendrait pas à résoudre les problèmes compliqués de marchandage. Il ne permettrait pas non plus d’établir les taux de change utiles pour évaluer le montant de la dette en différentes devises. Si les marchés sont désignés pour régler ces problèmes, les solutions seront déterminées par les rapports de force dans les pouvoirs de négociations respectifs, et non par des considérations d’efficacité ou d’équité.
Les conséquences de ces dysfonctionnements ne sont pas de simples inconvénients. Tarder à convenir des restructurations des dettes peut entrainer des récessions économiques plus profondes et durables, comme l’illustre le cas de la Grèce.
Ce qui nous amène à la seconde leçon à tirer de la décision britannique. Dans la mesure où les enjeux sont élevés et le système passablement mal en point, les marchés obligataires ont peu de raison de rester aux Etats-Unis. L’Amérique s’est toujours enorgueilli de la force de son « autorité de la loi », un argument qui a fait de Wall Street l’hôte des plus grands marchés obligataires. Mais la décision de Griesa, fondée sur une interprétation particulière, et selon nous indéfendable, de certains des termes du contrat de l’Argentine, montre que les intérêts commerciaux américains peuvent prévaloir sur les décisions de justice.
La fameuse autorité de la loi américaine n’est peut-être plus aussi solide. D’une manière perverse, elle protège le fort contre le faible. La faillite Griesa n’est que le dernier chapitre d’une série de décisions qui ont révélé ce que l’on pourrait qualifier de symptôme de « corruption à l’américaine », dans lequel le lobbying et les contributions de campagnes compromettent tout le système, même lorsqu’aucun responsable officiel n’est pris en faute. Les Etats-Unis seraient avisés de réagir avant que le marché obligataire ne migre loin de New York.
La Chine devrait s’apprêter à reprendre le flambeau. Son épargne dépasse aujourd’hui largement celle des Etats-Unis, et elle rêve de faire de Shanghai un centre financier global. Cette ambition est désormais à portée de main si l’on en juge par le mal fait à la crédibilité américaine après la crise financière de 2008. Mais si Shanghai devait émerger en tant que leader des marchés obligataires, la Chine devra prendre la mesure des défauts des cadres juridiques ailleurs dans le monde, et donc concevoir une alternative efficace et équitable.
Le dernier message que transmet la décision de justice britannique devrait être entendu par tous les pays. Il serait urgent de relancer les efforts de l’ONU pour inscrire les restructurations de dette dans un cadre juridique multinational. Si les Américains font tout pour saper ces efforts, la décision de la Grande Bretagne nous rappelle que l’autorité des juges américains ne s’étend pas au-delà les frontières.
Cette dernière révélation provoquera peut être quelques migraines à Wall Street, mais pour les nombreux pays partout dans le monde qui dépendent de cette dette souveraine, c’est sans aucun doute une excellente nouvelle.
Joseph E. Stiglitz, Prix Nobel d’économie, est professeur d’université à l’université Columbia. Son dernier ouvrage paru, co-écrit avec Bruce Greenwald, est Creating a Learning Society: A New Approach to Growth, Development, and Social Progress (Créer une société de la connaissance : une nouvelle approche de la croissance, du développement et du progrès social, ndt) ; Martin Guzman, chercheur post-doctorat au département d’économie et de finance de l’École de commerce de l’université Columbia, co-préside le groupe de travail sur le dialogue politique pour la restructuration de la dette et les faillites souveraines de l’université Columbia.