L’impératif imparfait de la Grèce

Mardi 28 Juillet 2015

La Grèce et ses créanciers sont maintenant occupés à mettre en œuvre un accord qui offre un soutien financier en échange de réformes de grande envergure. Bien que les réserves sur l'accord abondent, les conditions politiques n’en permettaient pas de meilleur. Néanmoins, l’accord peut – et doit – servir de base pour sauver la Grèce et la zone euro.


Pour que le plan fonctionne, le Premier ministre grec Alexis Tsipras doit démontrer un réel engagement  envers un programme de réforme auquel ni lui, ni la plupart des citoyens grecs ne croient. Et il doit forger une alliance avec les partis pro-européens de la Grèce, parce que seul un gouvernement uni sera en mesure d’y parvenir.
Les créanciers doivent trouver l'argent pour financer le plan de sauvetage. Et le Fonds monétaire international doit convenir avec l'Eurogroupe de la façon de rétablir la viabilité de la dette en Grèce, une condition indispensable pour que le pays retrouve l'accès aux marchés de capitaux.
Au cours de cet effort, une distinction essentielle doit être faite : bien que la Grèce se soit engagée à réformer de manière profonde et rapide son économie, elle ne doit pas être contrainte à un assainissement budgétaire précipité. En effet, une telle approche pourrait saper les réformes structurelles dont le pays a un besoin urgent, notamment en détruisant le capital politique nécessaire à leur adoption.
Malheureusement, le récent accord comprend des propositions irréalistes en termes d’ajustement budgétaire. Avant que les banques grecques ne ferment et que des contrôles de capitaux soient imposés à la fin juin, la Commission européenne avait fixé le déficit budgétaire primaire pour cette année entre 4 et 6 milliards d’euros (4,3 – 6,5 milliards de dollars), ou entre 2 et 3% du PIB. Maintenant, il semble que le déficit primaire (qui exclut les paiements d'intérêts) pourrait atteindre 6% du PIB, avec un PIB en baisse de 4%.
Pourtant, le nouvel accord prévoit que la Grèce rattrape le déficit budgétaire de l'année en seulement cinq mois. Comme la Grèce et d'autres pays de la zone euro l’ont déjà appris à leurs dépens, essayer de précipiter l’ajustement budgétaire augmente le fardeau de la dette, parce que le resserrement de la liquidité et l'incertitude qui en découle sapent la production et les efforts de réforme.
Par exemple, l'une des initiatives clés pour résoudre le déficit budgétaire est une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée à 23% pour presque tous les biens et services. Or, avec une fraude à la TVA en Grèce aussi élevée que 50%, la hausse handicapera encore davantage les entreprises qui paient la TVA, qui ont tendance à être plus grandes et plus efficaces, par rapport aux entreprises qui ne paient pas. La Grèce devrait donc se concentrer d'abord sur la construction de l'infrastructure juridique et technique pour lutter contre l'évasion fiscale.
Le gouvernement de la Grèce aura du mal à adhérer au nouveau programme si les objectifs budgétaires n’ont pas de sens. Bien qu'il soit politiquement irréaliste de renégocier l'accord à ce stade, une analyse sérieuse de l'ajustement budgétaire nécessaire, peut-être arbitrée par des experts indépendants, est nécessaire.
La dernière analyse  de la viabilité de la dette grecque par le FMI renforce cette évaluation. Malgré la pression de l'Allemagne et d'autres pays pour l’intégrer à ce nouveau programme de renflouement, le Fonds ne participera pas s’il juge que la dette de la Grèce n’est pas soutenable. Cela implique de rendre cohérents les encours de la dette et les flux financiers de l'économie, grâce une bonne combinaison d'objectifs budgétaires difficiles mais possibles et d’un allégement de la dette.
La discipline budgétaire ne devrait pas avoir la priorité sur les importantes réformes structurelles inclues dans la nouvelle entente, notamment les mesures visant à réformer les retraites, le système juridique, les marchés de produits, l'administration publique et le système judiciaire. La mise en œuvre sera très difficile, même sans objectifs budgétaires excessivement serrés ; avec de tels objectifs, elle pourrait devenir impossible.
Les précédentes tentatives de réforme des retraites, par exemple, ont été partielles et indécises, à cause d’exceptions et de périodes de grâce qui ont nui à leur efficacité. De même, bien que les tentatives de réforme du Code de procédure civile, visant à améliorer l'efficacité du système judiciaire, aient débuté en 2011, peu de progrès ont été accomplis, principalement en raison de l'incapacité du gouvernement à faire face à l'opposition des associations de juristes, qui risquent de perdre les frais excessifs qu’ils exigent pour des procédures inutiles. Et, bien que les bases aient été jetées pour les réformes des marchés de produits, aucune initiative n’a été prise pour préparer une réforme sérieuse de l’administration publique.
La clé pour surmonter ces défis est que le peuple grec s’approprie ces réformes, de sorte que l'intérêt public puisse prévaloir sur les intérêts particuliers. Mais cela, aussi, sera difficile, compte tenu de l'opinion largement répandue selon laquelle les réformes sont imposées à la Grèce par ses créanciers. Tsipras doit montrer la voie en construisant un large consensus.
Les détails de la loi de réforme sont importants. Plutôt que de tenter de respecter les délais irréalistes, les législateurs devraient procéder de manière posée.
Pendant ce temps, les banques grecques – qui, compte tenu de leur énorme volume de prêts non performants, sont maintenant plus susceptibles d'être insolvables qu’illiquides – auront besoin d’une recapitalisation massive, financée par le Mécanisme européen de stabilité et non l'Etat grec, afin de briser le lien entre dettes bancaires et dette souveraine. L'opération pourrait aussi exiger des restructurations.
Dans cet effort, il faut éviter de faire supporter des pertes aux déposants, ce qui aurait des conséquences sociales néfastes, ou de nationaliser les banques, ce qui consacrerait le clientélisme dans le système financier. L'ESM vendrait ensuite les banques lors de ventes aux enchères ouvertes pour récupérer son investissement.
Beaucoup de personnes en Grèce, ainsi que quelques-unes en-dehors, ont qualifié le nouvel accord d’ « oppression néo-colonialiste ». Et, en effet, l'humiliation de la Grèce dans les négociations n’était pas sans évoquer le traitement du président indonésien par le FMI pendant la crise financière asiatique de 1997. (Certains créanciers ont l’impression qu'ils sont les véritables victimes, exploités par leurs homologues grecs qui n’ont jamais eu l’intention de tenir leurs promesses.)
Cependant, les Grecs doivent mettre de côté ces réactions émotionnelles et reconnaître la nécessité d'un grand nombre des réformes proposées. L'incapacité de la Grèce à les mettre en œuvre a permis au clientélisme, à l'oligarchie, à la corruption et à l'évasion fiscale qui sous-tendent le dysfonctionnement économique et politique du pays de continuer de façon pratiquement illimitée.
L'alternative est une sortie de la Grèce de la zone euro. (La suggestion du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, selon lequel la Grèce pourrait juste prendre un "time out" temporaire est une fiction.) Les économistes qui prétendent que cette situation ne représenterait pas une catastrophe économique et politique pour la Grèce devraient examiner de près la structure du commerce grec, la réponse anémique des exportations aux dévaluations internes qui ont déjà été énormes, ainsi que les bilans des sociétés et des ménages.
Certains accueilleraient les dégâts que cela causerait à l'unité européenne ; nous n’en sommes pas. Le récent accord est loin d'être idéal. Mais la Grèce et ses créanciers doivent le faire fonctionner.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Les auteurs sont professeurs à London Business School.
© Project Syndicate 1995–2015
 
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