Jeffrey D. Sachs est professeur de développement durable, de politique et d’administration de la santé et directeur du Earth Institute de l’Université de Columbia.
Depuis le lancement du Global Apollo Programme to Combat Climate Change (Programme mondial Apollo de lutte contre le changement climatique) en début d’année, moi-même et de nombreuses autres personnes y ont adhéré avec enthousiasme. Ce programme, nommé d’après la mission spatiale de la NASA à destination de la Lune, est fondé sur la notion de « changement technologique dirigé ». En d’autres termes, nous pouvons, par un effort conscient, appuyé par des fonds publics, orienter le développement de technologies avancées permettant de garantir la sécurité et le bien-être de l’humanité. En tête de liste figurent les énergies propres, qui nous permettront d’éviter le réchauffement climatique causé par la combustion d’énormes quantités de charbon, de pétrole et de gaz dans le monde entier.
Le Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) (projet de filières de décarbonisation profonde) a démontré qu’un avenir à faible intensité carbone est à notre portée, avec des avantages immenses, et à un coût très modeste. Aux États-Unis, par exemple, la réduction de 80 pour cent des émissions de gaz à effet de serre est non seulement faisable, elle n’implique que des dépenses supplémentaires équivalant à 1 pour cent du PIB par an. Et les bénéfices – dont un climat plus stable, des infrastructures plus performantes, des véhicules et un air plus propres – seraient astronomiques.
La voie vers un avenir à faible intensité de carbone comporte trois volets : améliorer l’efficacité énergétique, produire de l’électricité à partir de sources à faible émission de carbone (comme les énergies solaire et éolienne) et passer des hydrocarbures aux énergies à basse émission de carbone pour propulser les véhicules (comme les voitures électriques ou équipées de piles à combustible) et chauffer les bâtiments. Ce sont des objectifs clairs et atteignables et le secteur public doit jouer un rôle de premier plan en vue de les faire progresser.
Les politiciens doivent cesser de subventionner le charbon, le pétrole et le gaz et commencer à appliquer des taxes sur leur utilisation. Ils doivent en outre répondre à la demande de nouvelles lignes électriques permettant d’acheminer les énergies solaire, éolienne, géothermale et hydroélectrique d’endroits reculés (dont les plates-formes en mer) vers les centres urbains.
Mais satisfaire ces exigences présuppose des avancées technologiques qui permettent à la production énergétique à faible émission de carbone d’être compétitive par rapport aux combustibles fossiles. C’est là qu’intervient le Programme Apollo, avec son objectif ambitieux de rendre le coût des énergies renouvelables inférieur à celui du charbon, pétrole et gaz.
Bien sûr, les énergies renouvelables sont parfois moins chères que les combustibles fossiles – lorsque le soleil brille et que le vent souffle avec régularité. La principale difficulté des énergies renouvelables est celle du stockage, sur deux plans.
Premièrement, il est nécessaire de stocker l’énergie renouvelable de manière efficace et économique pour la propulsion des véhicules. S’il existe déjà des voitures électriques de bonne qualité, il est indispensable d’améliorer leur autonomie et d’abaisser leur coût pour qu’elles soient plus attrayantes que les véhicules conventionnels. La priorité technologique est de mettre au point des piles et batteries moins chères, plus durables, à recharge plus rapide et plus légères.
Deuxièmement, il faut trouver le moyen de stocker l’énergie à caractère intermittent pour les moments où le soleil ne brille pas, le vent ne souffle pas et les rivières ne coulent pas avec suffisamment de force pour faire tourner les turbines hydroélectriques. Plusieurs systèmes de stockage de l’énergie sont déjà utilisés ou en développement. Un exemple en est la centrale hydroélectrique de pompage-turbinage dont le principe consiste à utiliser les énergies renouvelables en excès pour pomper de l’eau dans des bassins d’accumulation et de turbiner cette eau plus tard pour produire de l’électricité. Un autre est la conversion des énergies renouvelables en hydrogène (par le craquage de l’eau) ou en carburants liquides de synthèse comprenant du dioxyde de carbone issu de l’air. D’autres encore sont les moteurs à air comprimé et le stockage à grande échelle dans des batteries.
Les technologies à fable émission de carbone peuvent encore être améliorées sous bien des aspects. Les réseaux électriques dédiés aux énergies renouvelables doivent être dotés de systèmes plus sophistiqués pour équilibrer l’offre et la demande énergétiques. L’amélioration du captage et du stockage du carbone pourrait permettre d’utiliser en toute sécurité une partie des combustibles fossiles. Et les centrales nucléaires pourraient être plus sûres avec des dispositifs de sécurité passifs et des cycles de combustibles produisant moins de déchets radioactifs et de matières fissiles pouvant être utilisées pour la fabrication d’armes nucléaires.
Compte tenu des pertes astronomiques potentielles, qui se chiffrent en milliers de milliards de dollars, liées au changement climatique induit par l’activité humaine, et des milliers de milliards de dollars investis chaque année dans les systèmes énergétiques mondiaux, les gouvernements seraient bien avisés d’investir chaque année quelques dizaines de milliards de dollars dans la recherche et le développement en vue d’un avenir à faible intensité de carbone. Dans ce contexte, plus d’un politicien aurait déjà du suivre les traces de JFK, en déclarant que les énergies propres étaient l’objectif Lune primordial de cette génération et bailler les fonds publics permettant de le réaliser.
Mais, à ce jour, aucun ne l’a fait. Aux États-Unis, par exemple, le gouvernement alloue 31 milliards de dollars par an à la recherche biomédicale (avec des bénéfices certains en termes de santé) et près de 65 milliards par an à la recherche et développement militaires, mais seulement 7 milliards par an pour la recherche énergétique non militaire et sur ce montant, 2 milliards seulement pour la recherche et développement des énergies renouvelables. C’est une aberration choquante, pour deux raisons ; d’abord, les États-Unis et le reste du monde gaspillent un temps précieux dans le processus de décarbonisation ; ensuite, les États-Unis laissent échapper leurs chances de développer leurs propres industries de haute technologie.
Ensemble, le Programme Apollo et le DDPP montrent la voie de l’accord que les gouvernements devraient conclure lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris en décembre prochain. Tout d’abord, les gouvernements doivent s’engager à décarboniser leurs économies pour maintenir le réchauffement des températures en dessous du seuil critique de 2° Celsius. Ensuite, ils doivent s’engager à dévoiler, au cours des deux prochaines années, des trajectoires nationales de décarbonisation profonde d’ici 2050. Et enfin, ils doivent unir leurs forces pour financer le nouvel objectif Lune des énergies propres. Le fonds commun de départ devrait s’élever à 15 milliards de dollars par an au moins, et augmenter rapidement par la suite, à mesure de l’émergence d’avancées technologiques clés offrant un rendement élevé.
Comme l’a démontré JFK, les grands progrès commencent par un grand objectif, ambitieux, mais réalisable. L’objectif d’aujourd’hui, appuyé par le Programme Apollo, est la décarbonisation profonde de l’économie. Il est temps pour les dirigeants mondiaux de s’engager en faveur de l’objectif Lune des énergies propres pour sauver la planète.
Traduit de l’anglais par Julia Gallin
Jeffrey D. Sachs est professeur de développement durable, de politique et d’administration de la santé et directeur du Earth Institute de l’Université de Columbia. Il est également conseiller spécial du secrétaire général des Nations unies pour les Objectifs du millénaire pour le développement.
© Project Syndicate 1995–2015
Le Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) (projet de filières de décarbonisation profonde) a démontré qu’un avenir à faible intensité carbone est à notre portée, avec des avantages immenses, et à un coût très modeste. Aux États-Unis, par exemple, la réduction de 80 pour cent des émissions de gaz à effet de serre est non seulement faisable, elle n’implique que des dépenses supplémentaires équivalant à 1 pour cent du PIB par an. Et les bénéfices – dont un climat plus stable, des infrastructures plus performantes, des véhicules et un air plus propres – seraient astronomiques.
La voie vers un avenir à faible intensité de carbone comporte trois volets : améliorer l’efficacité énergétique, produire de l’électricité à partir de sources à faible émission de carbone (comme les énergies solaire et éolienne) et passer des hydrocarbures aux énergies à basse émission de carbone pour propulser les véhicules (comme les voitures électriques ou équipées de piles à combustible) et chauffer les bâtiments. Ce sont des objectifs clairs et atteignables et le secteur public doit jouer un rôle de premier plan en vue de les faire progresser.
Les politiciens doivent cesser de subventionner le charbon, le pétrole et le gaz et commencer à appliquer des taxes sur leur utilisation. Ils doivent en outre répondre à la demande de nouvelles lignes électriques permettant d’acheminer les énergies solaire, éolienne, géothermale et hydroélectrique d’endroits reculés (dont les plates-formes en mer) vers les centres urbains.
Mais satisfaire ces exigences présuppose des avancées technologiques qui permettent à la production énergétique à faible émission de carbone d’être compétitive par rapport aux combustibles fossiles. C’est là qu’intervient le Programme Apollo, avec son objectif ambitieux de rendre le coût des énergies renouvelables inférieur à celui du charbon, pétrole et gaz.
Bien sûr, les énergies renouvelables sont parfois moins chères que les combustibles fossiles – lorsque le soleil brille et que le vent souffle avec régularité. La principale difficulté des énergies renouvelables est celle du stockage, sur deux plans.
Premièrement, il est nécessaire de stocker l’énergie renouvelable de manière efficace et économique pour la propulsion des véhicules. S’il existe déjà des voitures électriques de bonne qualité, il est indispensable d’améliorer leur autonomie et d’abaisser leur coût pour qu’elles soient plus attrayantes que les véhicules conventionnels. La priorité technologique est de mettre au point des piles et batteries moins chères, plus durables, à recharge plus rapide et plus légères.
Deuxièmement, il faut trouver le moyen de stocker l’énergie à caractère intermittent pour les moments où le soleil ne brille pas, le vent ne souffle pas et les rivières ne coulent pas avec suffisamment de force pour faire tourner les turbines hydroélectriques. Plusieurs systèmes de stockage de l’énergie sont déjà utilisés ou en développement. Un exemple en est la centrale hydroélectrique de pompage-turbinage dont le principe consiste à utiliser les énergies renouvelables en excès pour pomper de l’eau dans des bassins d’accumulation et de turbiner cette eau plus tard pour produire de l’électricité. Un autre est la conversion des énergies renouvelables en hydrogène (par le craquage de l’eau) ou en carburants liquides de synthèse comprenant du dioxyde de carbone issu de l’air. D’autres encore sont les moteurs à air comprimé et le stockage à grande échelle dans des batteries.
Les technologies à fable émission de carbone peuvent encore être améliorées sous bien des aspects. Les réseaux électriques dédiés aux énergies renouvelables doivent être dotés de systèmes plus sophistiqués pour équilibrer l’offre et la demande énergétiques. L’amélioration du captage et du stockage du carbone pourrait permettre d’utiliser en toute sécurité une partie des combustibles fossiles. Et les centrales nucléaires pourraient être plus sûres avec des dispositifs de sécurité passifs et des cycles de combustibles produisant moins de déchets radioactifs et de matières fissiles pouvant être utilisées pour la fabrication d’armes nucléaires.
Compte tenu des pertes astronomiques potentielles, qui se chiffrent en milliers de milliards de dollars, liées au changement climatique induit par l’activité humaine, et des milliers de milliards de dollars investis chaque année dans les systèmes énergétiques mondiaux, les gouvernements seraient bien avisés d’investir chaque année quelques dizaines de milliards de dollars dans la recherche et le développement en vue d’un avenir à faible intensité de carbone. Dans ce contexte, plus d’un politicien aurait déjà du suivre les traces de JFK, en déclarant que les énergies propres étaient l’objectif Lune primordial de cette génération et bailler les fonds publics permettant de le réaliser.
Mais, à ce jour, aucun ne l’a fait. Aux États-Unis, par exemple, le gouvernement alloue 31 milliards de dollars par an à la recherche biomédicale (avec des bénéfices certains en termes de santé) et près de 65 milliards par an à la recherche et développement militaires, mais seulement 7 milliards par an pour la recherche énergétique non militaire et sur ce montant, 2 milliards seulement pour la recherche et développement des énergies renouvelables. C’est une aberration choquante, pour deux raisons ; d’abord, les États-Unis et le reste du monde gaspillent un temps précieux dans le processus de décarbonisation ; ensuite, les États-Unis laissent échapper leurs chances de développer leurs propres industries de haute technologie.
Ensemble, le Programme Apollo et le DDPP montrent la voie de l’accord que les gouvernements devraient conclure lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris en décembre prochain. Tout d’abord, les gouvernements doivent s’engager à décarboniser leurs économies pour maintenir le réchauffement des températures en dessous du seuil critique de 2° Celsius. Ensuite, ils doivent s’engager à dévoiler, au cours des deux prochaines années, des trajectoires nationales de décarbonisation profonde d’ici 2050. Et enfin, ils doivent unir leurs forces pour financer le nouvel objectif Lune des énergies propres. Le fonds commun de départ devrait s’élever à 15 milliards de dollars par an au moins, et augmenter rapidement par la suite, à mesure de l’émergence d’avancées technologiques clés offrant un rendement élevé.
Comme l’a démontré JFK, les grands progrès commencent par un grand objectif, ambitieux, mais réalisable. L’objectif d’aujourd’hui, appuyé par le Programme Apollo, est la décarbonisation profonde de l’économie. Il est temps pour les dirigeants mondiaux de s’engager en faveur de l’objectif Lune des énergies propres pour sauver la planète.
Traduit de l’anglais par Julia Gallin
Jeffrey D. Sachs est professeur de développement durable, de politique et d’administration de la santé et directeur du Earth Institute de l’Université de Columbia. Il est également conseiller spécial du secrétaire général des Nations unies pour les Objectifs du millénaire pour le développement.
© Project Syndicate 1995–2015