Aujourd'hui une nouvelle question des deux Chine se pose, mais en termes très différents. Faut-il considérer l'empire du Milieu comme un pays puissant à l'avenir prometteur malgré quelques difficultés à court terme, ou comme un pays confronté à de graves problèmes structuraux et à un avenir à long terme des plus incertains. Laquelle de ces deux Chine verra-t-on émerger ?
Jusqu'à il y a peu, la question ne se posait pas. La croissance de l'économie chinoise a été supérieure à 10%, un taux étonnant, pendant plus de 30 ans. La Chine a dépassé le Japon pour devenir la deuxième économie mondiale. Des centaines de millions de Chinois pauvres ont accédé à la classe moyenne. Nombre de pays en développement ont paru séduit par le modèle chinois efficace et autoritaire - notamment après la crise financière de 2008 qui a débuté aux USA, discréditant le capitalisme et le libéralisme à l'américaine.
Mais la question de l'avenir de la Chine est devenue inévitable. Officiellement, sa croissance économique a chuté aux alentours de 7%, mais selon de nombreux observateurs, le chiffre est en réalité au-dessous de 5%. Ce fléchissement n'a rien de surprenant, tous les pays émergents sont passés par une phase analogue lors de leur développement. Néanmoins, la rapidité et le degré du changement ont pris les autorités de court et alimenté leur crainte que le taux de croissance n'atteigne pas une valeur suffisante pour que la Chine poursuive sa modernisation telle qu'elle a été planifiée.
L'intervention massive du gouvernement pour stopper la dégringolade de la Bourse en juillet traduit son inquiétude face à un ralentissement plus brutal que prévu. Et il a procédé ce mois-ci à une dévaluation surprise du yuan, ce qui laisse à penser que l'abandon du modèle économique basé sur les exportations ne donne pas les résultats attendus.
Quant à la campagne anti-corruption du président Xi Jinping, elle donne de plus en plus l'impression d'être une stratégie de consolidation du pouvoir, plutôt qu'une politique destinée à réformer l'Etat au nom de l'intérêt général. La corruption est endémique, ce qui fait que la campagne de Xi reste encore très populaire. Mais la vague de poursuites déclenchée par Xi dissuade les responsables chinois de prendre des décisions par crainte de se voir traîné un jour prochain devant les tribunaux.
Aussi, parle-t-on de moins en moins du modèle chinois et de plus en plus des réalités de la Chine. A part le ralentissement de la croissance, cette réalité comporte les graves dégâts causés à l'environnement - la conséquence de décennies d'industrialisation rapide fondée sur l'exploitation du charbon. D'après de récentes estimations, la pollution de l'air tue 1,6 millions de Chinois chaque année.
Le vieillissement de la population - conséquence involontaire de sa politique draconienne de l'enfant unique - constitue une menace supplémentaire sur la prospérité à long terme. Le taux de dépendance (la proportion d'actifs par rapport aux inactifs) étant appelé à croître rapidement au cours des prochaines années, la croissance économique restera plafonnée, tandis que les dépenses de santé et le coût des retraites vont imposer des contraintes budgétaires croissantes.
Il est de plus en plus évident que ce que veulent les dirigeants chinois, c'est la croissance économique que peut générer le capitalisme, sans les inconvénients de ce dernier. Ils veulent l'innovation que suscite une société ouverte, sans la liberté intellectuelle que cela suppose. Il y aura inévitablement des renoncements à faire.
Certains observateurs craignant une montée en puissance de la Chine poussent un soupir de soulagement à la vue de ses difficultés actuelles. Mais c'est peut-être là une réaction à courte vue.
Le ralentissement de l'empire du Milieu pourrait retentir sur le redémarrage de l'économie mondiale. Il serait moins disposé à participer à la lutte mondiale contre le réchauffement climatique. Mais surtout, se débattant aux milieux de difficultés, il pourrait être tenté par une politique étrangère aventuriste pour apaiser une opinion publique déçue par la faiblesse de la croissance et l'absence de libertés politiques. Or certains signes montrent que c'est exactement la direction dans laquelle s'engage le gouvernement en mer de Chine méridionale. Le nationalisme pourrait devenir la principale source de légitimité d'une classe dirigeante qui ne peut plus s'abriter derrière un niveau de vie en croissance rapide.
Les USA et d'autres devraient intervenir pour que la Chine ne succombe pas à cette tentation. Mais ils seraient aussi bien avisés de lui indiquer qu'elle est bienvenue parmi les grandes puissances mondiales si elle fait preuve de responsabilité et agit conformément au droit international.
Mais c'est à la Chine de choisir. Le gouvernement devra trouver le bon équilibre entre le rôle du marché et celui de l'Etat, entre croissance économique et protection de l'environnement et entre son propre pouvoir et les droits des citoyens.
La Chine est confrontée à des choix difficiles mais inévitables. On ne peut exclure des désordres sociaux à grande échelle. Quoi qu'il en soit, les 30 prochaines années ne ressembleront pas aux trois décennies précédentes. C'est la seule certitude.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Richard Haas préside le Council on Foreign Relations.
© Project Syndicate 1995–2015
Jusqu'à il y a peu, la question ne se posait pas. La croissance de l'économie chinoise a été supérieure à 10%, un taux étonnant, pendant plus de 30 ans. La Chine a dépassé le Japon pour devenir la deuxième économie mondiale. Des centaines de millions de Chinois pauvres ont accédé à la classe moyenne. Nombre de pays en développement ont paru séduit par le modèle chinois efficace et autoritaire - notamment après la crise financière de 2008 qui a débuté aux USA, discréditant le capitalisme et le libéralisme à l'américaine.
Mais la question de l'avenir de la Chine est devenue inévitable. Officiellement, sa croissance économique a chuté aux alentours de 7%, mais selon de nombreux observateurs, le chiffre est en réalité au-dessous de 5%. Ce fléchissement n'a rien de surprenant, tous les pays émergents sont passés par une phase analogue lors de leur développement. Néanmoins, la rapidité et le degré du changement ont pris les autorités de court et alimenté leur crainte que le taux de croissance n'atteigne pas une valeur suffisante pour que la Chine poursuive sa modernisation telle qu'elle a été planifiée.
L'intervention massive du gouvernement pour stopper la dégringolade de la Bourse en juillet traduit son inquiétude face à un ralentissement plus brutal que prévu. Et il a procédé ce mois-ci à une dévaluation surprise du yuan, ce qui laisse à penser que l'abandon du modèle économique basé sur les exportations ne donne pas les résultats attendus.
Quant à la campagne anti-corruption du président Xi Jinping, elle donne de plus en plus l'impression d'être une stratégie de consolidation du pouvoir, plutôt qu'une politique destinée à réformer l'Etat au nom de l'intérêt général. La corruption est endémique, ce qui fait que la campagne de Xi reste encore très populaire. Mais la vague de poursuites déclenchée par Xi dissuade les responsables chinois de prendre des décisions par crainte de se voir traîné un jour prochain devant les tribunaux.
Aussi, parle-t-on de moins en moins du modèle chinois et de plus en plus des réalités de la Chine. A part le ralentissement de la croissance, cette réalité comporte les graves dégâts causés à l'environnement - la conséquence de décennies d'industrialisation rapide fondée sur l'exploitation du charbon. D'après de récentes estimations, la pollution de l'air tue 1,6 millions de Chinois chaque année.
Le vieillissement de la population - conséquence involontaire de sa politique draconienne de l'enfant unique - constitue une menace supplémentaire sur la prospérité à long terme. Le taux de dépendance (la proportion d'actifs par rapport aux inactifs) étant appelé à croître rapidement au cours des prochaines années, la croissance économique restera plafonnée, tandis que les dépenses de santé et le coût des retraites vont imposer des contraintes budgétaires croissantes.
Il est de plus en plus évident que ce que veulent les dirigeants chinois, c'est la croissance économique que peut générer le capitalisme, sans les inconvénients de ce dernier. Ils veulent l'innovation que suscite une société ouverte, sans la liberté intellectuelle que cela suppose. Il y aura inévitablement des renoncements à faire.
Certains observateurs craignant une montée en puissance de la Chine poussent un soupir de soulagement à la vue de ses difficultés actuelles. Mais c'est peut-être là une réaction à courte vue.
Le ralentissement de l'empire du Milieu pourrait retentir sur le redémarrage de l'économie mondiale. Il serait moins disposé à participer à la lutte mondiale contre le réchauffement climatique. Mais surtout, se débattant aux milieux de difficultés, il pourrait être tenté par une politique étrangère aventuriste pour apaiser une opinion publique déçue par la faiblesse de la croissance et l'absence de libertés politiques. Or certains signes montrent que c'est exactement la direction dans laquelle s'engage le gouvernement en mer de Chine méridionale. Le nationalisme pourrait devenir la principale source de légitimité d'une classe dirigeante qui ne peut plus s'abriter derrière un niveau de vie en croissance rapide.
Les USA et d'autres devraient intervenir pour que la Chine ne succombe pas à cette tentation. Mais ils seraient aussi bien avisés de lui indiquer qu'elle est bienvenue parmi les grandes puissances mondiales si elle fait preuve de responsabilité et agit conformément au droit international.
Mais c'est à la Chine de choisir. Le gouvernement devra trouver le bon équilibre entre le rôle du marché et celui de l'Etat, entre croissance économique et protection de l'environnement et entre son propre pouvoir et les droits des citoyens.
La Chine est confrontée à des choix difficiles mais inévitables. On ne peut exclure des désordres sociaux à grande échelle. Quoi qu'il en soit, les 30 prochaines années ne ressembleront pas aux trois décennies précédentes. C'est la seule certitude.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Richard Haas préside le Council on Foreign Relations.
© Project Syndicate 1995–2015