La bonne fortune du budget indien

Mardi 10 Mars 2015

CAMBRIDGE – Le gouvernement du Premier ministre indien Narendra Modi connaît une période de chance. La baisse du prix des matières premières autour du monde, et notamment du pétrole brut, vient faciliter la gestion du budget national. En outre, l’Office central des statistiques (CSO) ayant revu sa méthodologie de calcul des données du PIB, cette tâche s’en trouve encore davantage facilitée. D’après le CSO, compte tenu du changement méthodologique appliqué, la croissance annuelle de la production pour le deuxième trimestre 2014 a atteint 8,2 %, soit bien au-dessus des 5,3 % initialement prévus.


Sur la base de cette révision des chiffres du PIB, l’Inde prévoit une croissance moyenne de 7,4 % pour l’exercice clos en mars 2015. En outre, il est prévu que le pays enregistre un taux de croissance de 8 à 8,5 % lors du prochain exercice. Aucun changement budgétaire ne peut générer une accélération de croissance aussi marquée, qui plus est sans le moindre coût. Il est par conséquent raisonnable d’affirmer que le département des statistiques, habituellement peu extravagant, a coupé l’herbe sous le pied du budget de cette année.
Néanmoins, le budget du ministre des Finances Arun Jaitley  constitue une réussite à plusieurs égards – notamment en ce qu’il parvient à aligner vision et mise en œuvre. Plus précisément, il poursuit la vision gouvernementale d’un agenda de croissance assouplissant les démarches d’affaires en Inde, tout en ciblant de meilleurs mécanismes de délivrance des prestations sociales.
Du côté de la dépense, le budget s’avère expansionniste, accroissant considérablement les dépenses d’investissement, introduisant de nouveaux programmes de prestations sociales, et développant le crédit dans divers secteurs. Bien qu’aucun effort significatif ne soit fourni pour plafonner les dépenses liées à quelques-uns des plus importants programmes budgétaires, parmi lesquels la loi nationale de garantie de l’emploi rural (qui assure 100 jours de salaire pour les ménages ruraux) ou encore la subvention à l’achat d’engrais, des mesures d’amélioration de la mise en œuvre ainsi que de la réduction des fuites sont actuellement entreprises. Et si le budget mentionne un désinvestissement au niveau de certaines unités du secteur public déficitaires, ce budget ne traduit aucun sentiment d’urgence sur ce front.
À l’heure où l’investissement privé demeure faible, eu égard à la lourdeur de l’endettement du secteur des entreprises ainsi qu’à un important volume d’actifs douteux au sein des banques, le gouvernement a clairement décidé d’amorcer le processus via des dépenses d’infrastructure. Or, les besoins infrastructurels de l’Inde dépassent largement ce que le gouvernement peut dépenser. En ce sens, le nouveau programme « prêt à l’emploi » destiné aux partenariats public-privé, en vertu duquel « toutes les autorisations et liaisons doivent être mises en place avant qu’un projet ne soit octroyé, » constitue une amélioration majeure par rapport au modèle PPP antérieur.
La réussite du budget dépendra de la question de savoir comment fonctionneront ces investissements du secteur public, qui dépendront eux-mêmes d’autres politiques, en premier lieu desquelles la loi sur l’acquisition des terrains (destinée à promouvoir le développement industriel dans les zones rurales), qui s’est d’ores et déjà heurtée à des difficultés. Par ailleurs, l’investissement et l’octroi de ressources de la part du gouvernement se trouvent depuis longtemps parasités par la corruption, et il reste encore au gouvernement de Modi à démontrer sa capacité à appliquer les promesses du budget de manière transparente et durable.
Du côté de la fiscalité, il a été procédé à une annonce majeure : réduction du taux d’imposition des sociétés de 30 % à 25 % sur les quatre prochaines années, destinée à encourager l’investissement du secteur privé. La mise en œuvre d’une taxe sur les biens et les services – forme de taxe sur la valeur ajoutée autour de laquelle le gouvernement a réalisé des avancées remarquables – constituerait un accomplissement majeur, et boosterait considérablement l’économie. En revanche, malgré une hausse substantielle des dépenses, le budget se fonde principalement sur la croissance et sur l’optimisation de la perception des impôts pour maintenir dans des limites raisonnables le déficit budgétaire du pays.
Parmi les nombreuses mesures proposées dans le budget, et consistant à booster les flux entrants d’investissement étranger, une proposition apparaît particulièrement risquée d’un point de vue macroprudentiel. Le gouvernement prévoit en effet de « supprimer la distinction entre les différents types d’investissements étrangers, notamment entre les investissements de portefeuilles étrangers et les investissements directs étrangers, pour la remplacer par des seuils composés. »
Il existe pourtant de nombreuses raisons de traiter différemment ces deux types d’investissements. L’investissement de portefeuille, souvent qualifié de « hot money » en raison de sa nature volatile, est susceptible d’accroitre la vulnérabilité de l’économie face aux caprices de la finance internationale. Les investissements directs étrangers, d’un autre côté, se révèlent beaucoup plus stables, et se basent sur des fondamentaux nationaux. Étant prévu que les taux d’intérêt connaissent une hausse cette année aux États-Unis, on peut s’attendre à ce qu’augmentent également la volatilité sur les marchés de capitaux internationaux. Dans ce contexte, il serait prudent de maintenir la distinction entre investissement de portefeuille et IDE.
De manière générale, le projet de budget s’attache à répondre aux défis majeurs auxquels l’économie indienne est confrontée. Pour autant, la transcription des bonnes intentions en résultats attendus dépendra de manière cruciale de la capacité du gouvernement à faire passer un certain nombre de réformes complémentaires et nécessaires de manière urgente, autour de problématiques réglementaires sensibles telles que les terrains, le droit du travail, et l’environnement.
En tout état de cause, ce budget projette un signal clair quant aux intentions du gouvernement Modi. Au moins à court terme, il passe en effet d’une pratique de « gouvernement minimum et gouvernance maximum » à un exercice de « gouvernement modéré et gouvernance maximum. »
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Gita Gopinath, professeur d’économie à l’Université d’Harvard, est intervenante universitaire à la Federal Reserve Bank de Boston, et associée de recherche auprès du Bureau national de recherche économique. Elle compte également parmi les jeunes leaders internationaux du Forum économique mondial.
 
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